Lamborghini - minute

Une Lamborghini Gallardo blanche. Encore une. A la limite, ça aurait été une Porsche 911 ou une Audi R8, j'aurais à peine pensé à prendre une photo. Mais une Gallardo ne se fond jamais dans le décor. J'adore cette voiture car elle vous fait réagir. Il y a une part d'agression ou de provocation. Et à mon sens, c'est grâce à ça que dans 20 ans, on parlera toujours de la Gallardo. Alors que la R8 aura été effacée par les voitures qui l'auront remplacée.

Aujourd'hui, j'ai lu un article des Inrocks. Il parle de presse féminine. Ce qui m'a frappé, c'est qu'en remplaçant quelques mots, ça devient une analyse sur la presse auto ! La première différence, c'est l'enjeu. En gros, un homme achète l'Auto-Journal s'il cherche une nouvelle voiture. Alors que des femmes vont acheter Elle ou Marie-Claire toutes les semaines. Donc davantage de lecteurs. De plus, les femmes achètent plus d'habits, de cosmétique et d'accessoires. Donc, les marques leur courent après. Les titres féminins comme Vogue ou Elle ont des éditions internationales. Ce sont des mastodontes, alors que la presse auto reste une affaire d'artisans nationaux. Enfin, il y a davantage de rapports incestueux. Tout le monde est "mari de...", "frère de..." Dans l'automobile actuelle, c'est moins visible. Quoi qu'il en soit, je pense que c'est tout le "print" qui souffre des mêmes maux.

L'interview modifiée :
Quelle place cette presse occupe-t-elle encore dans la vie de l'automobile ?
Il y a une baisse générale des ventes. On peut en déduire que la presse automobile, qui a été un secteur florissant, dégageant d'énormes profits, remplit de moins en moins la fonction qu'elle occupait auprès de ses lecteurs. Jusqu'à la fin des années 90, l'automobile était un compagnon. Son lectorat se reconnaissait en lui, et lui restait globalement fidèle. Aujourd'hui on parle de lecteurs “zapping”, qui passent indifféremment d'un titre à l'autre. Comme s'ils étaient devenues soudain capricieux, inconséquents et frivoles ! Les services études adorent ce type d'explications psycho-socio car elles bluffent les décideurs et justifient leur propre existence au sein des groupes. On prétend qu'internet et Facebook ont changé les comportements. On ne se dit pas que c'est parce que les journaux manquent d'identité et sont interchangeables que les lecteurs les confondent et les délaissent.
On a l'impression que les journaux masculins se sont concentrés sur l'actualité et les peoples. Comment expliquer le rétrécissement de son spectre ?
Par l'influence des services publicité et marketing sur les décisions éditoriales, au nom d'une pseudo-rationalité. De plus en plus, la régie (donc grosso modo, Renault) nomme les rédacteurs en chef. D'où le nombre croissant de rédacteurs “produits” à la tête des grands titres. On est passé de Jean-Marie Ballestre ou Jaby Crombac à Fast & Furious. Quand j'ai commencé, la régie publicitaire était très éloignée de la rédaction. Et cela fonctionnait, car un magazine n'est pas un produit “marketable” comme un autre. C'est un produit culturel, quoi qu'on dise. Et il doit garder un côté artisanal : un rédacteur en chef très investi (et non un vendeur de luxe ou un super attachée de presse), une équipe stable et si possible soudée, des collaborateurs réguliers... Tout cela garantit une persévérance dans la ligne éditoriale, une exploration de sujets inédits, une émulation entre les titres. Ce qu'on appelle l'âme d'un journal. Ça évite les errances (nouvelles formules à répétition parce que rien ne marche), le clonage et l'ennui.
La presse automobile a-t-elle accéléré la fusion du masculin et du people ?
Le filon du people dans la presse masculine haut de gamme est apparu en France dans les années 2000. Jusqu'alors, la presse people était une presse populaire, féminine, à gros tirage, avec peu d'annonceurs. Son contenu était essentiellement des conseils pratiques et du commérage. La presse automobile, elle, se consacrait à la promotion des voitures et du sport auto. On y défendait une certaine esthétique, une élégance. Le premier à mélanger les genres fut Driven en 2004. Les titres historiques ont suivi, et cela a boosté leurs ventes dans un premier temps. Mais comme au même moment ils ont baissé leur prix, cela ne leur a pas tellement profité. Au contraire. Ils se sont banalisés et “cheapisés”. D'autant qu'on a élagué les rédactions, fait partir les journalistes “reportage” pour recruter des journalistes “actu-insolite-people”, donné des postes de pouvoir à des rédactrices inexpérimentées et peu payées. Les magazines sont devenus des magasins : il faut sortir son porte-monnaie à chaque page ! De moins en moins de sujets de fond, de transmission de savoirs concrets, d'introspection... Ces choix ont montré leurs limites. La presse automobile est typiquement un secteur mis à mal par la financiarisation et l'ignorance des décideurs parachutés à la tête des groupes.
Pourquoi la presse automobile a-t-elle peu investi le web ? Tout se passe comme si ce terrain gigantesque avait été abandonné aux blogueurs... Par manque de réactivité, c'est certain, et par arrogance, comme tous les autres médias dans un premier temps. Ce n'est plus très vrai aujourd'hui. Au contraire, chaque titre possède son site web, et généralement une équipe dédiée. Mais je crois à la spécificité de la presse magazine et du papier. Le blogueur a une démarche autocentrée. C'est un lecteur devenue prescripteur. Rien à voir avec un journal qui puise sa sève dans le travail collectif, la découverte de talents, une relation intimiste avec son lecteur... En même temps, tout ce qui se passe d'intéressant aujourd'hui est sur le net. Et la raison n'est pas l'irréversibilité des mutations technologiques. A mon avis, c'est plutôt ce dont on vient de parler : l'embourgeoisement de la presse écrite, sa pétrification, son obsession consumériste, son vide... Les gens les plus doués que j'ai croisés dans ma vie professionnelle ont tous été éjectés. C'est quand même un problème ! Ils font tous autre chose. D'un autre côté, c'est encourageant : il suffit de changer le système !

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