Caturday à domicile !

Samedi dernier, j'ai croisé cette Jaguar XJ-S targa 6 cylindres près de chez moi. Là, le trottoir depuis lequel j'ai pris cette photo, c'est celui qui mène à mon domicile, un peu plus loin, sur la gauche ! Un samedi, en plus... Il faut savoir que sur Twitter, samedi (saturday en anglais) est rebaptisé "Caturday", le jour des Jaguar...

Il y a un tiers de siècle, j'ai été en Grande-Bretagne. BP offrait des Corgi "two inches" à ses clients. Et c'est comme ça que j'ai eu une XJ-S vert anglais, que j'adorais. Depuis, c'est une madeleine de Proust...

Cette XJ-S est vraiment rutilante. A l'origine, la XJ-S n'était proposée qu'en coupé. Un sacrilège de plus pour cette remplaçante de facto de la Type E. En 1983, Jaguar lança la targa (alias XJ-SC) ; une XJ-S découvrable. Puis il y eu une "vrai" cabriolet, en 1988.
Une proche du propriétaire est venue voir ce que je faisais, avec mon portable. Elle m'a précisé que la voiture serait à vendre. Non merci, déjà qu'une XJ-S coupé est hors de mes moyens, alors une targa... A fortiori en état concours... Je vais garder ma MX-5 et ma Logan ! Dire qu'au milieu des années 90, la cote des XJ-S était au ras des pâquerettes ; 15 000 frs pour un cabriolet V12... Aujourd'hui, comptez plutôt 30 000€, voire 40 000€...
La Jaguar XJ-S fut produite de 1976 à 1996. Ce furent 20 années terribles pour Jaguar. La gamme se limitait au duo XJ6/XJ12-XJ-S. Durant ces 20 années, Jaguar serra les fesses pour ne pas connaitre le destin de De Tomaso, de Monteverdi ou d'Iso-Rivolta.
En 1976, la marque au félin faisait encore parti de British Leyland. La XJ-S fut d'ailleurs l'un des rares lancement du groupe, dans la seconde partie des années 70 (avec la Rover SD1.) De part son positionnement, Jaguar était au-dessus de la mêlé et William Lyons (qui officiellement avait pris du recul) avait su intriguer pour qu'elle soit relativement bien traitée. Mais la réputation des XJ6/XJ12 et XJ-S était déplorable. De gros paquebots énergivores (on est au lendemain de la crise du pétrole) et prompts à rouiller. La légende dit que des cadres supérieurs de BL devaient recevoir des XJ-S de fonction et ils firent pression pour avoir d'autres voitures !
Durant 20 ans, Jaguar s'éloigna de BL (ce qui se fit en 1982.) En 1977, il récupéra l'atelier de pressage de Castle Bromwich et il en fit une usine. Le site historique de Browns Lane, à Coventry, ayant une capacité trop limitée. Le malheur des uns fit le bonheur des autres. En 1980, BL décida de fermer l'usine MG d'Abingdon et de stopper net la production des B et Midget. De quoi désemparer les nombreux distributeurs US. Lorsque Jaguar et Land Rover les démarchèrent, ils ne se firent pas priés pour prendre un panneau ! De même, après avoir tenté de sauver Jensen, les Qvale père et fils voulurent importer des Maserati aux USA. L'aventure fit long feu et les Qvale se tournèrent vers Jaguar, au milieu des années 80. Grâce à tout cela, les ventes US passèrent de 4 349 unités en 1977 à 22 919 unités en 1987.
Sur le front sportif, Jaguar avait capté l'antenne sportive US de BL, à savoir l'équipe Group 44 de Bob Tullius. Tullius courrait en IMSA avec des XJ-S V12, dénommées XJR-3, puis XJR-4. En 1982, il voulu construire entièrement un proto. C'est Jaguar USA qui l'autorisa à sauter le pas. Fabcar construisit la voiture (citation needed) et la XJR-5 vit le jour. Groupe 44 disputa les 24 heures du Mans 1984 avec. A la même époque, Tom Walkinshaw alignait des Rover SD1 en BTCC (dont il prenait lui-même le volant.) La SD1 arrivait en fin de carrière et Rover n'avait ni les moyens, ni l'ambition de poursuivre. L'Ecossais se tourna vers Jaguar. Il disputa (et gagna) l'ETCC avec une XJ-S. A la disparition du championnat, sa société TWR relaya Groupe 44 comme partenaire de Jaguar en endurance. D'où la XJR-6, qui disputa les 24 heures du Mans 1986. En Groupe C, Porsche s'était endormi sur ses lauriers, face à des seconds couteaux comme Courage, Nimrod ou Sauber. Les Jaguar-TWR collectionnèrent les lauriers avec les titres WSC 1987, 1988 et 1991 et des victoires au Mans en 1988 et 1990. TWR se rapprocha de Jaguar et il créa des XJ et XJ-S tunées. Puis il eu l'épisode XJ220 et la supercar XJR-14...
En concession, le temps semblait s'être arrêté. Il s'agissait avant tout de fiabiliser les modèles. La XJ-S connu un premier lifting en 1983. En 1986, la XJ6 fut remplacée par la XJ40 (dont les études avaient débutés en 1973 !) La XJ12 S3, dérivée d'un modèle né en 1968, poursuivit sa route jusqu'à l'éphémère XJ40 V12. Il y eu le projet mort-né de Type F, puis ce fut tout jusqu'à la berline X400 de 1993 (qui reprenait la cellule centrale de la XJ40.)
En 1990, Ford prit le contrôle de Jaguar. A cet instant-là, les XJ40, XJ12 et XJ-S avaient respectivement 4 ans, 14 ans et 22 ans ! Cela expliqua sans doute le trou d'air des ventes, après un pic à 50 000 unités. Le début des années 90 fut donc marqué par ce que les Britanniques appellent pudiquement des "[emplois] redondants". En 1996, la première étape du Jaguar sauce Ford fut le lancement de la XK, qui remplaçait la XJ-S. Puis, la S-Type (1998) annonçait une extension de gamme. L'ambition était de transformer la marque en félin en acteur du premium, au même titre qu'Audi, BMW et Mercedes...
Le verre à moitié-plein, c'est que durant la production de la XJ-S, Jaguar arriva à poursuivre son chemin, vaille que vaille, à améliorer ses voitures et à dépoussiérer son image, grâce à la compétition. Alors que Maserati, qui était peu ou proue dans la même situation que Jaguar en 1976, sombra. Sans parler de ses ex-consœurs de BL comme MG ou Triumph...
Le verre à moitié-vide, c'est que dans le même temps, BMW avait lancé TROIS générations de berlines (Série 3, 5 et 7), la Série 6, la Série 8, la M1 (avec la création de Motorsport GmbH), la Z1 (avec la création de son B.E. Technik GmbH), le programme F1, le rachat de Rover, etc. En 1990, BMW vendait 20 fois plus de voitures que Jaguar (NDLA : je n'ai pas trouvé de chiffres antérieurs) et en 1996, le rapport était de 1 à 30.
En 2018, Jaguar a vendu 180 833 voitures, un record. Mais avec une croissance de seulement 1,2%. Et au troisième trimestre, le constructeur a même connu un recul. La faute au Brexit et à un marché Chinois morose, certes. Mais il faut noter que 2018 est la première année sans gros lancement. Les XE et F-Pace ont sans doute atteint leur apogée. Sans trop me mouiller, je présage une contraction des ventes en 2019.
Or, JLR avait du investir lourdement, ces dernières années. Au temps de Ford, Land Rover -et surtout Jaguar- s'approvisionnait chez l'ovale bleu en moteur, en plateforme et en ingénierie industrielle. Ce qui n'était plus possible après la revente du binôme. Il a donc fallu muscler les moyens de recherche et développement. L'autre conséquence, c'est que le point-mort de Jaguar était beaucoup plus élevé. Or, Castle Bromwich avait une capacité d'environ 50 000 unités par an. La XE a beau squatter l'usine Land Rover de Solihull (où était produite la SD1 !) et la E-Pace, le site Steyr de Graz, cela restait insuffisant. D'où la construction de Nitra, en Slovaquie, ainsi que le site Chinois de Changshu (avec Chery), préalable obligatoire pour percer véritablement en Chine. A moyen terme, JLR aura également besoin d'un site Américain. Toutes ces usines rajoutent à l'addition. Et même à 180 833 unités, le matou n'est pas à l'équilibre.
Jaguar est en phase en conquête. Il ne peut pas lancer une XE et espérer chatouiller les A4 et Série 3. De toute façon, il n'en a pas les moyens. A mon avis, a minima, ce n'est qu'à la troisième génération de XE, E-Pace et F-Pace qu'il sera vraiment un acteur établi du premium. Ce qui nous amène en 2025, voire 2028. D'ici-là, la route sera longue, avec des accélérations (comme sur la période 2014-2017) et des coups de mou, comme en 2019 et 2020 (jusqu'à la seconde génération de "petites" Jaguar...)

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