Rétromobile 2019 : 10. Berliet T100

La Fondation Marius Berliet vient chaque année à Rétromobile. D'habitude, tout le monde s'en contrefiche. Par exemple, l'an dernier, il n'y avait personne pour le centenaire de Paul Berliet. Il n'y a guère que mézigue pour s'intéresser aux camions Berliet. Et pas juste durant Rétromobile...

Oui, mais cette année, ils exposent le T100. Ce camion gigantesque (euphémisme) à traversé la France grâce à Prémat TP, l'entreprise du père d'Alexandre Prémat. C'était l'un des grands évènements de Rétromobile. Donc certains se sont découverts une passion foudroyante pour Berliet !
L'histoire du T100 nous ramène dans des pages pas très reluisantes de l'histoire de France, au crépuscule du colonialisme.

En 1947, la Compagnie Française du Pétrole (future Total) faisait de la prospection pétrolière en Algérie. La CFP trainait des pieds. Depuis sa création, elle disposait de gisements en Iran et en Iraq (pris aux Allemands dans le cadre des réparations de la Première Guerre Mondiale.) Américains, Britanniques et Français se partageaient d'immenses gisements au Moyen-Orient. Avec l'ARAMCO et une diplomatie très agressive, les Américains étaient en train de s'accaparer le gâteau. Néanmoins, les prévisionnistes disaient qu'il y en avait assez pour tout le monde...
Ce fut donc Shell qui passa au tamis le désert Algérien. En 1954, ils trouvèrent du pétrole, dans le Grand Erg Occidental. On était en pleine bataille d'Alger. La France semblait se diriger vers une cession de l'Algérie. Néanmoins, avec la découverte de gisements, la donne changeait. Il fallait garder l'Algérie ! Paul Berliet était le roi Français du camion destiné au BTP. Il voulait se diversifier dans l'énergie. Il est vrai que dans l'énergie, on ne regardait guère à la dépense... En 1956, il visita les fameux champs de pétrole. Les camions -qui avaient peu évolués depuis la Seconde Guerre Mondiale- étaient englués dans les dunes. Or, l'industrie pétrolière avait besoin en permanence de transporter d'énormes infrastructures.
L'année suivante, au salon de Paris, Berliet dévoilait le T100, un camion tout-terrain, capable de franchir les dunes avec 50 tonnes d'équipements. Pendant ce temps, Guy Mollet avait créé l'Organisation Commune des Régions Sahariennes. En gros, il disait aux FLN : "OK pour l'indépendance de l'Algérie, mais on se garde le sud et ses champs de pétrole." Sans surprise, les indépendantistes répondirent par un bras d'honneur. Idem pour les pays d'Afrique de l'Ouest, qui refusèrent. Guy Mollet tenta même de raboter les frontières du Maroc et de la Tunisie pour en intégrer des pans à son OCRS !
En 1958, les nuages s'accumulèrent. La CFP et Esso trouvèrent du pétrole et du gaz dans des zones plus accessibles. On délaissa le Grand Erg Occidental (au temps du pétrole bon marché, on pouvait s'offrir ce luxe.) Les deux T100 en service en Algérie ne servirent à rien. Le projet dans le mineraie fut un flop : les roues du T100 étaient trop fragile. Tout comme le camion destiné aux Américains. Charles de Gaulle arrivait au pouvoir et rapidement, il promettait l'indépendance aux Algériens. Tant pis pour la rente pétrolière. Paul Berliet, qui avait anticipé l'indépendance, fit construire une usine d'assemblage de camions à Rouïba. Et bien sûr, il devint le grand ami des présidents Algériens.
A la fin des années 50 Berliet se retrouvait enfermé dans une monoculture GLR. Il n'avait pas complètement remisé ses ambitions dans l'énergie. Le GBO 6x6, plus petit et plus polyvalent, fut produit en moyenne série. Maurice Berliet, le grand-frère de Paul, fut chargé de traverser le Sahara pour tester la robustesse du camion.
Puis il y eu un nouveau géant : le GXO (1971), un ultime effort du constructeur. Qui fut un nouveau flop. Certains surnomment le GXO, "le 5e [prototype de] de T100."

Les Américains, en particulier Kenworth, étaient les fournisseurs attitrés du secteur.
Notez qu'en 1958, à la proclamation de la Ve République, Léon Mba déposa une demande officielle pour faire du Gabon un DOM. Ce qui lui fut refusé. Après tout, le Gabon n'avait pas de pétrole. Les prospections réalisées en 1926 par des Américains n'avaient rien donné... Le gag, c'est qu'à la même époque, on y découvrait des gisements et qu'à partir de 1965, le pays produisait des millions de tonnes de barils, chaque année.
En 1968, Elf s'invita à la table de la compagnie nationale, la SPAFE. Ce fut le début d'une des pages de la Françafrique...

On parle fréquemment de "malédiction du pétrole". Car l'or noir vient souvent avec son cortège de corruption, de prédation, de délits d'initié et autres détournements de fonds publics. Et les populations n'en voient jamais la couleur. Notamment les Algériens et les Gabonais.

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