Rétromobile 2019 : 2. Chevrolet Corvette

Ca manque toujours d'Américaines, sur ce blog ! C'est sûr que si j'étais de l'autre côté de l'Atlantique, j'en verrai davantage...

Quoi qu'il en soit, voici une Chevrolet Corvette "C1", sur un stand de polish.
Calandre à dents, 4 phares, sorties d'air latérale, mais seulement deux feux arrières : c'est donc un millésime 1960 ou 1961. Elle offrait un choix de six moteurs (tous des V8) de 230ch à 315ch. On avait déjà fait beaucoup de chemin depuis le 6 cylindres du millésime 1953 ! Et pourtant, c'est bien la même voiture, maintes fois reliftée...
D'emblée, il y eu énormément de travail autour de la Corvette. Harley Earl, le chef du design, était un fan de voitures de sport et il avait l'oreille des dirigeants de GM. Ca tombait bien, car les ventes mirent longtemps à décoller...
Chevrolet disposait d'un nouveau concept. La question était de savoir ce que l'on mettait dedans. Fallait-il en faire un véhicule plus luxueux, quitte à la badger Oldsmobile ? Devait-on créer un coupé, voire un break de chasse ? Fallait-il des moteurs plus puissants ? Si oui, quel est l'optimum performance/coût/fiabilité ? Jusqu'où pouvait-on intégrer des composants des berlines Chevrolet sur la Corvette (et vice-versa) ?

Des dizaines de prototypes furent créés. Certains furent dévoilés au public et d'autres furent engagés en course.
A l'époque, Ford et GM avaient encore une seule berline par marque (Ford et Chevrolet ayant en plus un modèle sportif et un pick-up.) Mais cette berline était déclinée en quatre carrosserie, trois finitions, une demi-douzaine de moteurs et le tout, avec une carrosserie complètement inédite tous les deux ans (et des lifting annuels.)
Cela demandait des moyens techniques colossaux. Surtout qu'à l'époque, point d'ordinateurs ! Tout se faisait à la machine à écrire, au plan bleu, à la règle à calculer et avec des maquettes en plâtre ! Certes, les deux groupes disposaient de bureaux de design et de centres d'essais cyclopéens. Sans oublier des équipementiers filialisés, qui leur offraient une grande flexibilité.

L'astuce, c'était l'extrême décentralisation. A l'époque, il y avait énormément de jeunes qui souhaitaient concevoir des voitures. Y compris des noirs, des latinos et des Asiatiques. Certains gagnaient leur croute avec de l'illustration de science-fiction. D'autres préparaient des hot rod ou des GT. D'autres encore maitrisaient la construction en fibre de verre...
GM et Ford allaient les voir. Certains étaient rapatriés à Detroit. D'autres se voyaient offrir un budget pour monter une équipe de 5, 10 personnes, sur place. Des micro-centres de recherche qui travaillaient sur des problématiques bien spécifiques. Et de temps en temps, ils envoyaient les résultats au siège. Les plus célèbres furent ceux liés au sport automobile, notamment les structures de Carroll Shelby et Mickey Thompson. Il y eu un gros travail sur la Corvette, puis la Mustang et l'ensemble des muscle cars. Mais à la fin des années 50, d'autres structures travaillèrent sur les 4x4, l'électrique, les "sub-compacts", les vans, la sécurité, la pollution, les véhicules pour pays émergents... GM, Ford et dans une moindre mesure, Chrysler, faisaient suffisamment de volumes pour pouvoir prélever des sommes dédiées à la recherche.
Dans les années 80, les marges se sont écroulées. Les Américains se retrouvèrent avec des coûts fixes astronomiques. Accessoirement, les ventes de sportives s'étaient effondrées ; ce n'était plus un secteur compétitif. Ces bureaux furent fermés les uns après les autres. Le modèle économique, c'était de tout centraliser.
Aujourd'hui, lorsque l'on voit GM et Ford débarquer les mains vides au salon de Detroit, on ne peut que regretter l'époque de l'armée mexicaine de R&D...
Pour la petite histoire, Ford et GM ont copié leur organisation sur l'armée Américaine.

Au printemps 1916, Pancho Villa organisa des raids au Nouveau Mexique et au Texas. Il attaquait des bases militaires et repartait avec chevaux et armes. Ce fut un vrai traumatisme pour les Américains. L'armée bâti des forts à l'extrémité est de la frontière. Villa fut assassiné (à la mitrailleuse lourde !) en 1923. Néanmoins, jusqu'au milieu des années 30, l'armée de terre restait dimensionnée pour poursuivre les guérilleros sur les pistes, avec des chevaux et quelques camions.
J. Edgar Hoover signala à Franklin D. Roosvelt que les Japonais voulaient envahir le Pacifique (y compris l'Alaska, Hawaï et la Californie), tandis que les Allemands travaillaient sur l'arme nucléaire. En résumé, avec ses canassons basés dans l'Arizona, l'US Army n'allait pas y faire grand chose... L'armée avait besoin d'avions, de croiseurs, de tanks, d'armes, de bombes... Encore une fois, il n'y avait pas d'ordinateurs et elle avait un manque cruel de puissance de calcul. Ce qui impliquait de regrouper une masse importante de mathématiciens. Construire de grands centres de recherche, c'est bien. Mais cela demande du temps. Or, dès 1938, la guerre semblait de plus en plus inévitable.
D'où la solution de faire appel à de micro-structures de recherche, hyper-spécialisées. Ainsi, le projet Manhattan, qui développa la première bombe atomique, était basée dans les bâtiments d'un camp de scouts. L'intérêt était d'avoir des équipes très réactive. Et parce qu'elles sont hyper-spécialisées, les fuites éventuelles n'avaient qu'un intérêt limité (vu que chaque structure ne possédait qu'une pièce du puzzle.) Qui plus est, la petitesse de ces équipes était moins prompt à attirer l'intention du renseignement ennemi.
Et en une dizaine d'années, les Etats-Unis se dotèrent d'une des armées les plus puissantes.

C'est donc ce modèle horizontal qui inspira les constructeurs Américains après la guerre.

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