Rétromobile 2019 : 26. Mercedes Targa Florio

Ces derniers temps, lorsque j'évoque la firme à l'étoile, j'écris "Mercedes-Benz" et non plus "Mercedes". Néanmoins, ici, c'est bien une Mercedes "tout court" : cette voiture date de 1922. Elle porte un nom barbare : 6/40/65. Mais elle est passée à la postérité comme "Mercedes Targa Florio".
La Targa Florio était l'une des seuls grandes compétitions européennes de l'immédiat après-guerre. En théorie, les constructeurs Allemands furent interdits de courir jusqu'en 1924 (cela faisait parti des conditions de leur défaite), partout dans le monde. Mais visiblement, personne n'était très regardant. C'est toujours la même histoire : lorsqu'une course ou un championnat manque de voitures (or, ici, beaucoup de constructeurs avaient été ruiné par quatre années de guerre), il ouvre grand les vannes...

Mercedes s'imposa ainsi, en 1921, avec la 28/95. Son châssis datait de 1914. Son 6 cylindres avec deux carburateurs développait 98ch. Cet engin de 1,8 tonnes atteignait 110 km/h en pointe. Max Sailer domina les Alfa Romeo officielles, à la surprise générale.

La 28/95 reçu un compresseur et devint 28/95/135. Trop lourde et avec un châssis trop juste, elle était incontrôlable.
Pour la Targa Florio 1922, Mercedes voulu construire une voiture inédite. Paul Daimler, fils ainé de Gottlieb Daimler, joua les directeur technique.
La 10/40/65 était plus basse et plus fine. Elle ne pesait que 700kg. Surtout, son moteur était un bijou technologique. Un 4 cylindres 1,5l à culasse quatre soupapes, double-arbre-à-came et surtout, un compresseur Roots. D'où une puissance de 65ch.

Hélas, ce fut un flop. Paul Scheef se contenta d'une victoire de classe. Giulio Masetti s'imposa avec une Mercedes privée (une voiture de 1914 !) Daimler Jr se sentait à l'étroit dans l'entreprise créée par son père. On le considérait comme un "fils de". Alors, il parti chez Horsch.
Ferdinand Porsche le remplaça. Comme tout cadre de ce niveau, il mit tous les anciens projets au placard. Signalons qu'il emmenait avec lui un jeune mécanicien, rencontré chez Austro-Daimler : Alfred Neubauer...
En ce moment, c'est le temps des présentations des F1 2019. Aujourd'hui, cela semble normal de voir des écuries, avec des voitures construites ex nihilo et un organigramme technique, chapeauté par un team-manager. Pourtant, rien n'allait de soit.

La toute première épreuve, c'était le Paris-Rouen 1894. Pendant près de 20 ans, le sport auto restait très rudimentaire dans son organisation. La voiture était une voiture "normale" (souvent immatriculée et vendue à un particulier après la course), à peine préparée. Les pilotes étaient des dirigeants de l'entreprise ou des proches du patron. Les mécaniciens, eux, provenaient de l'usine et ils faisaient des heures supplémentaires. Les maitre-mots, c'était le bénévolat.
En 1910, Peugeot eu une toute autre approche : créer un atelier dédié (avec l'appuie d'Hispano-Suiza) pour concevoir des voitures spécifiques (qui ne seraient pas immatriculées.) Et surtout, mécaniciens et pilotes ne travailleraient qu'à la compétition, avec un statut salarié. Pour les ouvriers de l'usine Peugeot de Sochaux, ces collègues du service compétition étaient payés à ne rien faire ! Ils les surnommèrent "les Charlatans". Grâce à cette approche plus professionnelles, Peugeot domina les courses des années 10.
Ce fonctionnement inspira, à commencer par Mercedes. Pour le Grand Prix [de France] 1914, la firme conçu une voiture spécifique. Cinq exemplaires en furent alignés. Mercedes avait remarqué que le terrain (des routes en terre battue autour de Lyon) était très abrasif pour les pneus. Le constructeur inventa la stratégie de course. Sailer et Pilette jouèrent les lièvres, tandis que Lautenschlager, Wagner et Salzer devaient davantage économiser leur monture. Comme prévu, les Peugeot suivirent les "lièvres" et tout le monde détruisit ses pneus. Lautenschlager, Wagner et Pilette (qui a su changer ses roues sans perdres de temps) héritèrent des commandes et ils réalisèrent un triplé.
En 1923, Alfred Neubauer débarqua chez Mercedes, dans les bagages de Porsche. Pilote moyen, guère passionné par la mécanique, il se créa un poste de team-manager complètement inédit. Au Grand Prix de l'Avus 1926, Rudolf Caracciola n'a pas vu le damier et il continua de piloter, alors que la course était finie (et qu'il l'avait gagné !) Il fallait informer les pilotes, durant la course. Au Grand Prix de Solitude 1926, Neubauer se tint au bord de la piste, informant les pilotes avec une série de drapeaux et en faisant le sémaphore (s'inspirant du base-ball !)... Ce qui lui valu d'être dégagé de la piste par les commissaires. Les drapeaux, ça ne marchait pas. Il inventa le panneautage. Un support avec le nom du pilote (en trois lettres), la position et le nombre de tours. Il fallait y penser. Neubauer inventa également l'entrainement : changer les roues en un temps record, remplir le réservoir, optimiser les relais, dans les courses d'endurances, etc. Les rivaux réalisèrent que le travail de Neubauer n'était pas si idiot que cela... Et en 1929, Alfa Romeo demanda à Enzo Ferrari de faire la même chose...

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