Vis ma vie de pilote de F1 !

Sur la "comu F1", je remarque pas mal d'erreurs sur le comportement des pilotes. Parce que beaucoup de gens ne connaissent pas le quotidien des pilotes, ni leur histoire.

Voici donc une tentative d'expliquer le parcours-type. C'est un agrégat de plusieurs pilotes. Un peu comme les images générées par Dall-e Mini...

Les années karting
Dès 7 ans, un pilote peut courir en Minime. Il faut voir ces bouts de chou, qui nagent dans leurs combis ! Beaucoup roulent pour le fun, sans se projeter. Même si certains se bagarrent en peloton comme s'ils jouaient un championnat du monde ! Depuis Luca Corberi, les fédérations ont édité un guide de bonne conduite pour les pilotes et leurs parents.

Comme souvent dans le sport, tout change à l'arrivée au collège. Un kart Cadet est presque trois fois plus puissant qu'un kart Minime, avec seulement 20kg de plus. Surtout, il y a davantage de championnats et davantage de compétition. Notre pilote en herbe passe de plus en plus de temps sur les circuits. "Tu viens samedi, à l'anniversaire de Manon ? - Ben non, j'ai compet'." "T'as vu la saison 2 de la nouvelle série Marvel ? - Ben non, j'ai compet'." Il a déjà un pied hors du collège. En plus, il se concentre sur les matières "utiles" pour sa carrière (anglais, gym, math...), délaissant le reste (histoire-géo, biologie, littérature...) 

A 13 ans, notre pilote enchaine les championnats (Rotax Max, Nationale, KF3...) avec les premières sorties à l'étranger. Avec son casque et sa combi personnalisé, notre pilote est déjà un pro, dans sa tête. Ses étagères débordent de coupes, de médailles et de photos. Gagner, c'est devenu une habitude et lorsqu'il n'est "que" 2e, il fulmine.
L'année des 15 ans, là, c'est le CIK-FIA et le X30, avec des budgets plus très loin de l'automobile. Et les personnes qui rôdent dans les paddocks, discutant avec son père : "Il est talentueux, votre fils. J'étais team-manager de telle écurie de F1, j'ai de très contacts, là-bas et je pourrais l'amener en F1..." ou bien "Il a déjà piloté une F4, votre fils ? J'offre un coaching personnalisé. De quoi lui faire gagner 2 ou 3 secondes avant son premier vrai test..." Certains sont d'authentiques "détecteurs de talents", beaucoup, de simples charlatans.

Premiers pas en auto
La F4, c'est un peu comme la seconde : un retour en bas de l'échelle. Certains pilotes sont fils de patron d'écuries (comme David Schumacher), d'autres habitent à deux pas d'un circuit (comme les sœurs Al Qubaisi.) Mais dans la plupart des cas, la F4 est synonyme d'exil.
Ces dernières années, on voit de plus en plus de binationaux, fils d'expatriés. Ils sont né ici et ont grandi là, ils maitrisent déjà deux ou trois langues et leurs parents ont des nationalités différentes. En tant que citoyens du monde, ils sont davantage prêts pour le nomadisme de la vie de pilote.

Vous vous souvenez des années fac ? Parfois, dans votre studette, vous aviez des coups de cafards. Alors imaginez un adolescent de 16 ans, qui est loin de chez lui de mars à octobre. Car il y a le championnat, mais aussi, les essais collectifs, les essais privés, le coaching, les séances de simulateur... Or, les écuries sont souvent basées au beau milieu de nul part. Certaines possèdent des studios ou des collocations pour les pilotes venus de loin. Les jours où ça va mal, il se répète qu'un jour, il sera champion du monde de F1 et que cela vaut quelques sacrifices.
Beaucoup de pilotes choisissent de rester au sein de la même équipe, d'échelon en échelon. De quoi se donner un peu de stabilité. Les mécanos jouent un peu les grands frères.
Les courses sont l'occasion de croiser d'autres jeunes de son âge. Le paddock a des airs de cours de récré : "Ça c'est le tout nouveau tube de k-pop, c'est une tuerie !", "J'ai les nouvelles Jordan, elles sont en série limitée : c'étaient les dernières en 39." Loi de Murphy oblige, dès que notre pilote se lie avec un autre pilote, ce dernier renonce peu après. Problème de budget, résultats insuffisants ou trop de pression, beaucoup craquent dans les premières années. Certains rebondissent en "caisses à portes", mais pour notre pilote, c'est un synonyme d'échec : lui, il fera de la F1, pas du GT ou du WEC !
La sagesse voudrait que le soir, notre pilote potasse ses cours du CNED, qu'il lise un livre et dépose ses primes sur son livret A... Mais ça reste un adolescent de 16 ans. Il préfère regarder des vidéos de Tik Tok et claquer ses primes en casques audio, voire en PC de gamer ! Il faut dire que le solde de son compte en banque fait le yoyo. Quand il faut avancer des fonds, il a un trou de plusieurs milliers d'euros et lorsqu'il touche une commission sur un sponsor ou qu'il signe avec une filière, c'est une pluie de billets verts !

Aux portes de la F1
On retrouve notre pilote, quelques années plus tard. Le voilà en F2. En formule de promotion, les années comptent double. Dire que 18 mois plus tôt, il jouait un titre en F4 ! Ça lui semble pourtant si loin... Il s'est habitué à cette vie sur la route. Maintenant, lorsqu'il rentre chez lui, il s'ennuie. Il faut dire que la décoration de son nouveau 2-pièces est minimaliste. Il n'a même pas enlevé l'étiquette, sur le micro-ondes !
Son monde, c'est le sport auto. Il ne s'est jamais assis derrière un bureau ou sur les bancs d'un amphi. Il ne veut plus juste admirer les pilotes de F1, il veut vivre comme eux. La 911 GT3 qu'il avait au Red Bull Ring, elle était louée. La Rolex, c'est un mécano qui la lui a acheté sur le marché de Vintimille. A Yas Marina, il dort dans un quatre étoiles (en même temps, il n'y a pas de Campanile, là-bas...), mais il y mange des bolino, faute d'argent pour aller au restaurant. Et puis sa copine soi-disant chanteuse, elle n'a que quelques dizaines de téléchargement sur SoundCloud... Mais il vit une vie de rêve !
Surtout, désormais, chaque fois qu'il met les pieds sur un circuit, il signe des autographes, il fait des selfies avec des fans. Sur les réseaux sociaux, ils sont plusieurs dizaines de milliers à le suivre. Son sujet de conversation préféré, c'est lui-même et comment il compte tout gagner en F1. Si vous êtes patron d'écurie, sponsor potentiel ou journaliste pour un grand média, il sera toute ouïe. Si vous êtes un civil, ça sera juste : "Bonjour, au revoir." Il a du feu sur le gaz et il s'attend ailleurs. Avec les pilotes de F1 c'est l'inverse : ce sont eux, qui l'ignorent. Ils suivent la F2 et la F3 du coin de l’œil, mais ils savent que l'essentiel du peloton renoncera.
Dans sa tête, c'est sûr : l'an prochain, il sera en F1. Et un jour, il sera champion du monde de F1. A voiture égale, il peut battre Lewis Hamilton ou Max Verstappen ! Chaque fois qu'il appelle son manager, il n'a qu'une question : "C'est signé ?" Et parfois, il en oublie de se concentrer sur son championnat de F2...

Les débuts en F1
Enfin ! Le contrat est long. Notre pilote le parcours avec autant d'intérêts que les "termes et conditions" d'une appli. La seule chose qui l'intéresse, c'est son statut : pas question d'être N°2 ! Son manager, lui, négocie la durée, les garanties et les clauses de sortie.

A peine son baquet officialisé, il reçoit les félicitations de Lewis Hamilton. "Comment est-ce que Lewis Hamilton sait que j'existe ?" Notre pilote change à peine, mais c'est le regard des autres, qui est métamorphosé.
Dans le paddock, c'est incroyable ! Il peut échanger quelques mots avec Beyonce ou Neymar ! Et c'est désormais lui qui prend de haut les pilotes de F2.
En F1, le turnover est faible (nonobstant les pigistes engagés pour cause de Covid.) Même un pilote très moyen comme Antonio Giovinazzi peut rester deux ou trois saisons. Alors les pilotes savent que tout nouvel arrivant est là pour quelques temps. La F1, c'est une confrérie, on vit les mêmes choses, alors on se serre les coudes. En cas de sortie de piste violente, on s'enquiert de l'état du pilote. Même si l'on pense que c'est un con. Et puis, le monde est petit. Il y a les anciens équipiers, ceux qui s'étaient affrontés dans les disciplines inférieures, ceux qui étaient dans la même structure (mais à des niveaux différents), ceux qui se sont retrouvés plusieurs heures à attendre le même avion. Sans oublier qu'à proximité de certains circuits, il n'y a souvent qu'un seul hôtel. Les couloirs sont l'occasion de discussions en "off". Bref, tout le monde parle avec tout le monde.

Pour notre pilote, c'est désormais de février à novembre qu'il est en permanence sur la route. Désormais, c'est lui qui joue les grands frères, auprès des mécanos. D'ailleurs, il a été témoin au mariage de l'un d'eux. Les mécanos et les ingénieurs, ce sont les personnes avec qui il passe le plus de temps. Ils prennent l'avion ensemble et ils mangent ensemble. Le team-manager, par contre, il est dans sa tour d'ivoire. Pour une discussion franche, il faut prendre rendez-vous.
Avec les protocoles Covid, plus question de mettre le nez dehors ; d'un pays, il ne voit que l'aéroport, l'hôtel et le circuit. Terminé, les victoires fêtées en boite de nuit. Et plus encore les cinq à sept avec les race queens, façon James Hunt. De toute façon, il n'y a plus de race queen, ni de grid girl. Il parait que c'est une bonne chose ; notre pilote n'en a aucune idée.
Au moins, s'il a un bon contrat, l'écurie s'occupe de tout ; il n'a rien à payer. C'est son manager qui s'occupe de payer les factures... Y compris ses propres honoraires. Notre pilote sait à peine combien d'argent il a sur son compte en banque. Aussi, il connait à peine le nom du président de la république ou le prix d'un menu Best of.
L'attachée de presse lui dit ce qu'il doit déclarer en public. Pour certaines interview, elle valide aussi les questions au préalable. Quant aux fans, il peut à peine les approcher, à cause du protocole sanitaire. Il n'y a guère que sur les réseaux sociaux qu'il peut communiquer à peu près librement. Du coup, il entend peu les critiques.


(Images générées par Dall-e Mini.)

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