Le Mans 2000-09

Les années "00", ça vous semble hier et pourtant... Non seulement cette décennie appartient au passé, mais il existe déjà une nostalgie des années "00". La preuve avec ce livre consacré à la première décennie des 24 Heures du Mans du XXIe siècle.

John Brooks n'est pas écrivain, mais photographe. De plus, il n'est pas Sarthois, mais Anglais. En 1971, il eu le coup de foudre en voyant Le Mans. 7 ans plus tard, il assistait de ses propres yeux au triomphe d'Alpine. De 1984 à 2019, il mitrailla les bolides des 24 heures du Mans.

Quentin Spurring avait débuté une série de livres sur les 24 Heures du Mans. Chaque livre étant consacré à une décennie. John Brooks le supplée pour les années "00". En voilà donc un qui connait son sujet !

On passe rapidement sur la préface de Tom Kristensen. Le multiple vainqueur fit une préface très politiquement correct.

Au moins, cela rajoute à l'aspect officiel du livre, qui dispose de l'imprimatur de l'ACO.

Le découpage est simple : chaque édition est un chapitre. Une brève contextualisation, puis l'on passe aux essais, puis au week-end des 24 heures du Mans, avec la course. Il se focalise sur la tête de course. Avec le podium final.


Puis l'auteur s'attarde longuement sur les "autres". On sent que John Brooks possède une tendresse pour eux. Qu'il s'agisse d'usines malchanceuses ou d'équipages privés venus avec trois bouts de ficelles.

Et même si l'auteur est Britannique, il décrit surtout les concurrents français. L'occasion de (re)voir les WR, les Debora, les R&S de Philippe Gache, les Courage, le Paul Belmondo Racing, etc.

John Brooks se veut exhaustif et raconter les 24 heures du Mans de chaque concurrent. Le livre fourmille d'anecdotes.

Par exemple, on a presque oublié qu'en 2005 et 2006, Sébastien Loeb a couru au Mans, avec Pescarolo. L'Alsacien termina 2e, en 2006. Certes, il était épaulé par Franck Montagny et Eric Helary, mais la performance incita le respect. Avec les félicitations de Tom Kristensen.


Ce livre s'adresse à un lectorat plutôt anglo-saxon et plutôt novice. Quiconque ayant un minimum de connaissance trouvera que John Brooks fait du Will Buxton. A force d'expliquer des évidences, comme lorsqu'il présente Henri Pescarolo et Pescarolo Sport...

Deuxième reproche : John Brooks reste au bord de la piste. Que ce soit avec son appareil-photo ou son stylo. Les seuls exceptions, ce sont la traditionnelle parade et le podium.

Aussi, on l'a évoqué plus haut. Pour lui, les 24 heures du Mans commencent au premier jour des essais et se terminent à la fin de la cérémonie du podium. Tout ce qui se passe avant, après ou hors du circuit est à peine évoqué.

En conséquence, cet ouvrage ne fait pas ressortir l'aspect grandiose du Mans.
C'est déjà un site immense. Personnellement, ce ne sont pas les Hunaudières qui m'impressionnent. C'est cette courte ligne droite des stands. Lorsque vous sortez de la chicane Ford (ou du raccord, si vous êtes en configuration Bugatti), vous avez cette ligne droite encadrée de deux immenses tribunes. Même lorsqu'elles sont vides, vous avez l'impression d'entendre la clameur. Ce n'est pas une piste, c'est une arène ! J'ai ressenti le même effet au Stade de France. Les 24 Heures du Mans, c'est aussi une forêt de camion-ateliers et de gazebos. Avec un ballet permanent de mécaniciens, de pilotes, de team-managers. Connus ou pas. Sans oublier les officiels de l'ACO, les commissaires du piste... Et les policiers ! Ce sont aussi des milliers de spectateurs. Certains viennent chaque année et ils plantent toujours leur tente dans le même coin du circuit. Et la ferveur déborde le circuit. C'est tout Le Mans qui est repeint aux couleurs des 24 heures ! A commencer par le fameux McDo...

Et côté sportif, chaque année, de nombreux concurrents ne participent qu'aux 24 Heures du Mans. Il y a toujours des projets fous, qu'ils soient nés lors d'un conseil d'administration ou dans un obscur garage... Beaucoup n'atteignirent jamais Le Mans et certains ne dépassèrent pas le stade du dessin. Et une fois dans la Sarthe, la partie n'est pas forcément gagnée... Même pour les équipes usines, le budget n'est bouclé qu'au dernier moment, avec un sponsor de dernière minute...

Ainsi, pour le film Michel Vaillant, John Brooks se contente d'évoquer la participation de la Lola "Vaillante" et de la Panoz "Leader" à l'édition 2002. Il n'évoque même pas le retour de l'équipe de Luc Besson, à l'automne, pour faire davantage de prises de vues. Ni le film lui-même.

Le dernier défaut - dont l'auteur ne peut être tenu pour responsable -, c'est que sportivement, ce n'était pas une décennie terrible. Les photos en quatrième de couverture, ce n'était pas juste quatre voitures victorieuses. C'était les quatre voitures s'étant imposée au Mans !

Le triplé de l'Audi R8, en 2000, c'était la récompense du travail fourni. Les R8R et R8 Coupé de 1999 avaient déçu. Pour 2000, Audi avait fait construire des voitures complètements inédites. De plus, en remportant Le Mans, comme Mercedes-Benz et BMW avant lui, la firme aux anneaux démontrait qu'elle pouvait désormais s'assoir à la table du premium allemand. C'était significatif des ambitions d'Audi, alors qu'il n'était encore qu'un aiguillon face au binôme BMW-Mercedes-Benz.

Après le triplé de 2000, il y a eu le doublé de 2001. Puis un autre triplé, en 2002, dans l'ordre des numéros de course (comme les Porsche 956, en leur temps.)

En 2003, petite pause, avec la victoire des Bentley Speed 8. VW fit un gros travail de marketing pour "vendre" ces voitures, à l'heure où Bentley s'émancipait de Rolls-Royce. Après, les amateurs n'étaient pas dupe : ce n'était qu'une évolution des R8 Coupé de 1999. Les voitures étaient construites chez l'ex-Tom's UK et alignées par Richard Lloyd (alors qu'Audi s'appuyait sur Joest.) De plus, elles étaient chaussées de Dunlop (vs Michelin pour Audi), mais ça parlait beaucoup allemand dans le stand des "verts"...

Fin  2002,  Audi se retirait théoriquement. Un retrait très théorique, vu que Joest poursuivait avec des faux-nez (Audi Sport UK, Audi Sport North America...) De plus Dallara continuait de produire des châssis.
Les R8 dominaient Le Mans et l'ALMS. Audi proposait un service à la carte. Johansson ou Oreca optèrent pour des vieux châssis, mais dont ils s'occupaient entièrement. Hughes de Chaunac annonçait Alain Prost parmi les pilotes ! En 2004, le team Goh s'imposa avec une voiture soutenue par l'usine. En 2005, le Team Champion demanda en plus une voiture neuve. La Pescarolo-Judd gagna la pole, mais la vraie-fausse équipe Américaine triompha, grâce à l'inégalable Tom Kristensen. Le Danois remporta ainsi ses cinquièmes 24 heures du Mans consécutives !

L'édition 2005 avait prouvé que la R8 avait encore de la ressource. Néanmoins, Audi avait une nouvelle idée derrière la tête : le diesel. Le diesel en course, c'était une vieille lune (cf. cet excellent article.) Longtemps, les voitures diesel se destinaient aux gros rouleurs. Des voitures économiques, solides, mais poussives. Dès les années 90, les constructeurs Allemands voulurent dynamiser l'image des diesel. Après des demi-succès en tourisme, Audi fit du lobbying auprès de la FIA (même si la Lola-Caterpillar lui souffla la politesse.)

Le résultat, ce fut l'Audi R10 TDI. La moisson pu reprendre.

La domination d'Audi eu lieu faute de concurrents. Les années 00, c'était une décennie où les grands constructeurs étaient obnubilés par la F1. Y compris des fidèles de l'endurance comme BMW ou Toyota. Peu de monde misait sur la Sarthe. Même à son apogée, Pescarolo ne disposait pas des moyens techniques et financiers de la firme aux anneaux. Et il y eu aussi ceux qui baissèrent vite les bras, comme Chrysler ou Cadillac. Qui se rappelle de cette époque où Oreca (Chrysler) et DAMS (Cadillac) se voyaient en futur vainqueur ?

D'années en années, de plus en plus de membres du conseil d'administration d'Audi se déplacèrent dans la Sarthe. Il suffisait de contrôler les voitures immatriculées à Ingolstadt, sur le parking. Audi avait même fait bâtir des bâtiments pour VIP, tout du long du circuit. Les cadres dirigeants pouvaient ainsi voir gagner leurs voitures, de différents endroits, sans avoir à se mêler à la plèbe.

Le livre se contente de décrire ce qu'il se passe lors des 24 heures, sans aucun recul. Néanmoins, en lisant le récit des voitures des R10 TDI, on comprend le péché originel du dieselgate. On perçoit une tendance qui se dessinait. Les ingénieurs Allemands furent atteint par le Besserwisser, la melonite à l'allemande. Ils gagnaient parce qu'ils étaient les meilleurs. Les meilleurs en diesel. Deux tiers des voitures vendues en Europe étaient des diesel. Le groupe Volkswagen était le N°1 Européen. Il faisait le forcing pour imposer le diesel aux USA. Audi négociait avec la Nascar pour faire rouler un TDI ! L'étape suivante, c'était la Chine. Demain, le monde entier roulerait en TDI. Il allait falloir les convaincre. Mais ce n'était pas un problème, car Audi était les meilleurs. Audi était les experts. Il connaissait les besoins des automobilistes, mieux que les automobilistes eux-mêmes. Le futur s'écrivait en trois lettres : T.D.I.

Cette auto-persuasion se heurta à la réalité en 2009. Audi avait décidé de remplacer la R10 TDI par la R15 TDI. Plus qu'une évolution, la R15 TDI inaugurait un V10 turbo-diesel, plus compact que le V12 turbo-diesel de la R10 TDI.
Mais Audi avait enfin un adversaire à son niveau : Peugeot. Il fut l'autre lobbyiste du diesel, avec sa 908 HDI FAP. La firme au lion avait recruté tous les exclus de F1 : Marc Gené, Franck Montagny, Stéphane Sarrazin, Pedro Lamy, Christian Klien...

Les 908 réalisèrent un doublé. Beaucoup firent le parallèle avec le triplé des R8 en 2000, y voyant un passage de témoin. Surtout qu'il y avait le précédent des 905... Les années 10 allaient être celles du lion ! La suite, on la connait.

Enfin, il y a de nombreux tableaux statistiques et de camembert. Points en ELMS, nombre de participations (par constructeur et par pilote), causes d'abandons... 

Comme souvent chez les auteurs Britanniques, l'index est bien renseigné. Très utile pour rechercher des informations a posteriori.

Ca serait donc un livre pour un formulix qui voudrait en savoir davantage sur les 24 heures du Mans.

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