Je ne suis pas du genre à donner un nom à mes voitures. Pour mon premier food-truck, Oscar Lombardo s'est imposé tout seul. Et le second, j'ai eu envie de l'appeler Jean-Michel. Plus exactement "Ràng Mî Xie Er", à prononcer avec une voix nasillarde et en détachant chaque syllabe.
Au début du second morceau des Concerts en Chine, une présentatrice présente l'artiste. Tentant tant bien mal d'adapter son nom en phonétique. L'artiste répondu un mystérieux "nomén ho" sans doute appris par cœur. Cela rappelle, dans Poland, la longue disgression du présentateur sur le "Rock elektroniczny".
En 1980, les Tangerine Dream avait été le premier groupe d'Allemagne de l'Ouest à jouer à l'Est (en l'occurrence, au Palast der Republik de Berlin Est.) Il s'apprêtait à s'engouffrer encore plus loin derrière le Rideau de Fer : en Pologne. Mais Jean-Michel Jarre voulait aller encore plus loin, dans un pays encore plus fermé, encore plus interdit : la Chine. C'était ce rêve prométhéen d'une musique électronique, sans parole, qui permettrait de communier avec le public, au-delà de la barrière linguistique et culturelle.
Les érudits noteront que les albums Poland et Concerts en Chine possèdent presque exclusivement de la musique enregistrée en studio. Les Tangerine Dream venaient de quitter Virgin et ils ne possédaient pas les droits de leur catalogue. Quant à Jean-Michel Jarre, on peut supposer que l'équipement audio disponible en Chine, en 1981, était très médiocre. Rien que sur la courte séquence d'introduction, les micros saturaient. Comme pour se faire pardonner, Jean-Michel Jarre mixa des sons récupérés à droite et à gauche (la TV Chinoise, des passants...) et en tira Souvenirs de Chine. Pour l'exotisme, le dos de l'album reprenait le nom de l'artiste et le titre, mais traduits en Chinois.
Le disque sorti en 1982 et ma mère l'acheta peu après. Elle le passait en boucle. Mon premier contact avec la Chine. Il faut croire que j'ai été conditionné !
Bien des années plus tard, j'ai récupéré le double-33 tours. Je le montrais fièrement à mes hôtes Chinois. Le très sinisant Jonques de pêcheurs au crépuscule ne les séduisait pas. Mon ex-femme le qualifiait même de "musique de restaurant Chinois".
Pire : il y a une faute sur la pochette. Normalement, en Chine, on dit le nom d'abord. Mes invités étaient donc étonnés par ce "Jarre Jean-Michel".
Normalement, tout sera prêt ce week-end pour accueillir mon Type H. Jean-Michel est lui, apprêté depuis la fin mars. Il n'était pas question de le mettre dans un lieu provisoire. Plus de deux mois qu'il attend, dans son coin. Je ne l'ai jamais vu achevé.
L'expérience m'a appris que rien ne se passe jamais "normalement". A fortiori lorsque vous multipliez les intervenants divers. Donc prudence.
Pourtant, en théorie, dans quelques jours, je pourrais m'attabler à son comptoir. Ce moment est là, à portée de main. Et pourtant... Mes tabourets, eux, sont à leur poste.
La mauvaise blague, c'est que peu après avoir écrit ces lignes, on m'a informé que Jean-Michel se prenait une semaine dans la vue...
Samia m'avait aidé pour Oscar Lombardo. Sa spécialité, c'est le plan galère. J'en avais compilé quelques unes dans un roman.
Vendredi, elle devait passer sur le billard. Samia subira une anesthésie générale et il faut la raccompagner. Elle m'appelle mardi soir : en fait, c'est mercredi. Et bien sûr, c'était dans une clinique de Paris intra muros.
J'y pars après le travail. Ca bouchonne beaucoup. Devant moi, un Scenic décide de changer de file, sans mettre son clignotant. Un motard choisi le klaxon au frein. La moto prend cher, mais a priori, le motard n'a rien. Bien plus tard, j'arrive à destination. Soixante kilomètres en une heure et demi, c'est plutôt bien payé, aux heures de pointe.
Samia est dans le coaltar... Mais elle se rappelle que son frigo est vide. Et qu'elle a un colis Amazon à venir chercher. C'est la joie des gens qui n'ont pas de voitures : dès qu'ils sont véhiculés, ils en profitent ! Me voilà, roulant d'un endroit mal famé vers un endroit encore plus mal famé. Avec à chaque fois, des gens assis par terre, qui me dévisagent. Et Samia qui fait comme si de rien n'était... J'imagine déjà le carrousel de MSN, demain : "Cet animatrice a été cash sur cet invité de TPMP", "un homme de 45 ans agressé en Seine-Saint-Denis", "Quelle famille a créé Peugeot ? Seuls les fans auront 8/10 à ce quizz sur Peugeot"
Une fois Samia déposée chez elle, je pars sans demander mon reste... Mais je m'arrête 200 mètres plus loin, car cette Citroën Traction Avant 11cv Légère mérite bien quelques photos !
Je redémarre, entrant bientôt sur une bretelle salvatrice, qui m'emmène loin de ce coupe-gorge. La radio diffuse Making plans for Nigel de XTC. Un titre qui apparait dans mon prochain roman. Au passage, le titre a changé. Dis camion ne faisait pas l'unanimité. Il s'appellera donc Chinoiserie industrielle. A lire obligatoirement, bien sûr !
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