Oscar Lombardo et le savon de Marseille

Aujourd'hui, je vais vous parler d'une BD : Oscar Lombardo et le savon de Marseille par Michel Kiritzé. J'en ai acheté un exemplaire d'occasion et visiblement, il a appartenu à une bibliothèque de la Haute-Marne. Rassurez-vous, c'est un album "déclassé". Mais il possède toujours sa fiche de prêt !

Oscar Lombardo, c'était un héros pour enfants, qui n'a eu le droit qu'à un seul album. Donc peu de dialogues et une intrigue simplissime. A la place, notre homme court quasiment de la première à la dernière page...

Le rapport avec l'automobile, c'est cette cascade en Renault Master, sur deux pages.

Elle m'avait marqué pour deux raisons.

La première, c'est que l'on voit rarement des Master, que ce soit en BD ou dans un film. IMCDB recense 1394 apparitions au cinéma ou à la télévision. Mais d'ordinaire, ce van se contente de faire de la figuration. Ici, il fait parti de l'action !

La seconde, c'est qu'en 1985, les BD étaient avant tout diffusées dans des hebdomadaires (Spirou, le journal de Tintin, Pilote, Circus...) Oscar Lombardo fut d'abord publié dans Astrapi. Astrapi n'était pas un magazine de BD stricto sensu. C'était un magazine pour enfants parlant de sciences (géographie, physique, sciences naturelles...) et avec quelques bandes dessinées pour égayer.

Quoi qu'il en soit, les histoires étaient découpées en épisodes de 3, 4 pages. Évidemment, le magazine, vous l'aviez parcouru en deux temps, trois mouvements. Et après, vous deviez patienter une semaine pour connaitre la suite des aventures d'Oscar Lombardo, mais aussi de Marion Duval, Petit-Renard, etc. Alors vous relisiez le magazine en attendant, puis vous le re-relisiez, puis re-re-relisiez jusqu'à ce qu'enfin, le numéro suivant arrive ! Voilà pourquoi, 35 ans plus tard, je me rappelle de cet épisode du Renault Master !

Petite parenthèse : pour faire monter le suspens, il fallait que chaque épisode se termine sur une interrogation (on parlerait aujourd'hui de cliffhanger.) Dans l'album, on voit bien ces cassures, qui trahissent le découpage. La suite au prochain numéro...

De l'obligation de bien dessiner les voitures

Plus que la veste vert pomme du héros, ce qui trahit l'âge du capitaine, c'est la forme de l'album. L'horizon des auteurs, c'était Tintin. L'une des clefs du succès d'Hergé, c'était de se documenter : bâtiments, costumes, véhicules... Il y avait goûté avec le Lotus Bleu (1936.) Mais c'est surtout après-guerre que le recours à la documentation fut systématique.

Les autres furent à la traine. Dans La Jeep (1945), une brève aventure de Spirou, Jijé ne fait guère d'efforts sur cette 11cv familiale :

Puis Dupuis impose à Jijé, puis à André Franquin, de s'appliquer davantage. Ainsi dans Mystère à la frontière (1950), la 11cv de Franquin est très réaliste (NDLA : mis à part la couleur.)

Désormais, donc la documentation était la norme. Certains auteurs publient volontiers des carnets de croquis. Véritable rat de bibliothèque, Hugo Pratt dévoilait ses sources d'inspirations, en préambule de ses albums.

En ouvrant une magazine de BD des années 70, 80, 90, on est surpris par l'exactitude. Les amateurs de voitures, comme votre serviteur, se délectent de voir d'anciens modèles en arrière-plan. Comme la 204 des méchants, dans Oscar Lombardo.

Sauf que bien sûr, tout le monde n'a pas le temps, les moyens ou l'envie de passer des mois à faire des recherches. Et à l'époque, point de Google ! Michel Kiritzé, je le soupçonne d'avoir travaillé d'après des photos (magazines, brochures, etc.) Telle cette Cadillac DeVille apparaissant deux fois sous le même angle...

 

Mais par contre, lorsqu'il faut dessiner le véhicule sous un angle où il n'avait pas de photo, c'était plus laborieux...

L'école de Marcinelle

A cet instant, je devrais déclarer : "Ça, au moins, c'était de la bonne BD ! Aujourd'hui, tout ce que l'on trouve au rayon enfant, c'est de la..." Effectivement, lorsque l'on parcourt un album de L'élève Ducobu ou de Les blagues de Toto, on est consterné. C'est juste indigent, tant sur le fond, que la forme !

Pour autant, au temps de l'apogée de l'école de Marcinelle (ou "BD Franco-Belge), le niveau qualitatif était bas.
Le premier souci, c'était la consanguinité. A dessinait comme B, parce qu'ils avaient animé une chronique ensemble. B travaillait sur tel série avec le scénariste C, qui travaillait également pour D. D avait repris telle série lancée par E. E était l'ex-assistant de F. F avait débuté dans un studio de cinéma avec G, etc. Tout le monde avait travaillé avec tout le monde, tout le monde avait regardé par-dessus l'épaule de tout le monde. D'où des dessins et des histoires qui avaient tendance à se ressembler.
Le second soucis, c'était la "méthode Dupuis" (devenue "méthode Raoul Cauvin".) A savoir que lorsque l'on avait trouvé une série qui marche, on débite au rythme d'un album par an. On retira Spirou à Jean-Claude Fournier, car il n'avait produit que 9 albums en 10 ans ! François Walthery était décrit comme fainéant, parce qu'il n'avait réalisé que 13 albums de Natacha en 17 ans ! Il fallait du débit. Et bien sûr, les possibilités de développement des personnages étaient limités ; impossible de les faire vieillir ou de les mettre en couple. Forcément, au-delà du vingtième album, cela ronronne ; les personnages se "flanderisent".

Bref, on ne peut qu'être d'accord avec Anne Berberian : 

En 1991, Akira débarquait dans les librairies Françaises. Enfin autre chose que des personnages à tête rondouillarde et de l'humour comment-vas-tu-yau-de-poële ! Les éditeurs traditionnels crachèrent sur les manga. Je me souviens d'un numéro de Spirou Magaziiine qui n'était qu'une longue litanie anti-manga et anti-Japon, quitte à être franchement raciste. Cela ouvrit donc la porte à de nouveaux éditeurs, comme Glénat (qui publia Akira.)

 

Le journal de Tintin, Pilote et Circus avaient tous les trois disparus en 1988. C'est toute cette école de Marcinelle qui fut ensuite rejetée et ringardisée. Il y eu un rejet en bloc, des lecteurs, puis de la nouvelle génération de dessinateurs. On jeta le bébé avec l'eau du bain : plus de personnages rondouillards, mais aussi plus de travaux de recherches systématique. Seuls les amateurs de voitures prennent le temps de s'appliquer, les autres, non. Des éditeurs comme l'Association refusèrent jusqu'au format traditionnel d'album cartonné A4.

Oscar Lombardo n'eu pas 40 albums. Bayard Presse n'a jamais été Dupuis ! Pour eux, la publication d'albums -et plus généralement, la BD- n'était qu'une activité connexe de leur métier d'éditeur de journaux.
Ensuite, c'est un héros typique de l'école de Marcinelle. Un mélange de Tintin (avec des personnages comme le milliardaire excentrique) et de Gaston Lagaffe (pour le côté gaffeur.) On a l'impression d'avoir déjà vu une cinquantaine de héros comme lui. Qui plus est, on ne sait rien (et on apprend rien) sur son passé. Au lieu de mettre en place un héros, Michel Kiritzé le met d'emblée dans l'action. Alors comment s'attacher à lui ?

Remarquez, peut-être que Michel Kiritzé n'avait jamais songé à en faire un personnage récurrent.


Commentaires

  1. Une fois encore, merci. Encore un article bien documenté par un auteur qui maitrise ou s'applique à se documenter sur les sujets abordés.

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