Marco Polo, par Philippe Ménard


Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, point de voitures dans cet article. Ni camions, motos ou quoi que ce soit à moteur. Et pour cause, le thème du jour, c’est un livre sur Marco Polo. En l'occurrence, Marco Polo, Voyage sur la Route de la Soie, aux éditions Glénat.
Marco Polo ne fut pas le premier Européen à visiter la Chine. 
Missionnaires, mercenaires, esclaves, marchands, ambassadeurs… Il y avait déjà des Européens installés en Chine, au Moyen-âge. Guillaume de Rubrouck se rendit à Karakoum (Pékin) en 1254, soit 18 ans avant le Vénitien. Il y croisa d'ailleurs des Français. Le Franciscain raconta son épopée dans l'Itinerarium, qui se voulait être une lettre ouverte à Saint Louis. Guillaume de Rubrouck était déçu de n'avoir converti ni musulmans, ni bouddhistes. Il décrivit des pays ravagés par les invasions et les pillages, des hommes rustres et incultes. Bref, rien de très enchanteur.
A contrario lorsque Marco Polo se confia à Rustichello de Pisa, il évoqua des richesses et des coutumes fantastiques. Son oublier des batailles et des aventures. Son Livre des merveilles fut un succès et c'est grâce à lui que beaucoup d’occidentaux découvrirent l’Asie.
Le voyage de Marco Polo ressemble étrangement au tracé de la Croisière Jaune.

Certes, le relief et l'interdiction de pénétrer l'URSS dictèrent partiellement le tracé. Néanmoins, ce n’est pas une coïncidence. André Citroën et ses hommes voulaient être des Marco Polo modernes. C’est dire si sept siècles plus tard, son épopée inspira…
Marco Polo fut également l’un des premiers à évoquer la Route de la Soie (même si le terme n’apparut que bien plus tard), une thématique qui revient en force aujourd’hui.

L’intérêt de ce livre, c’est de comparer les vues.

Les illustrateurs des premiers manuscrits n’avaient jamais vu d’Asiatiques et encore moins des pagodes. Ils ont donc représenté l’Asie sur un modèle Européen. L'homme au chapeau doré, c'est censément Kubilai Khan, empereur Mongol qui régnait alors sur la Chine. Et la scène est censé se passer dans un palais impérial...

L’auteur les compare aux représentations perse, chinoises et japonaises contemporaines.

Voici un portrait de ce même Kubilai Khan. Premier constat : les Chinois savaient beaucoup mieux dessiner que les Européens.
Enfin, lorsqu’il en reste des vestiges, l’auteur montre des photos de lieux traversées par Marco Polo. L'occasion de brosser une Asie centrale toujours aussi sauvage.

Marco Polo a-t-il vraiment été en Chine ? Ibn Battuta fut nettement plus précis. Les Européens l’ont pourtant encensé, lui attribuant l’arrivée des pâtes en Europe ou déclarant qu’il avait visité l’Amérique. Surtout, il avait eu un rôle important auprès de l'empereur Chinois.

D’emblée, les Anglais ont été dubitatifs. Après tout, Marco Polo n'aurait pas été le premier mythomane, ni le dernier. Il avait été précédé par le mythique Prêtre Jean, puis il y eu Sir John Mandeville (qui aurait traversé le monde musulman de part en part), Robert Drury (censément naufragé à Madagascar), George Psalmanazar (un Taïwanais blond aux yeux bleus), la princesse Caraboo (une servante se faisant passer pour Javanaise), etc.
Lorsqu’à la renaissance, Portugais, Espagnols et Néerlandais débarquèrent en Chine, ils remarquèrent des différences. Et surtout, aucune trace de Marco Polo dans les archives Chinoises. Plus troublant, pourquoi le Vénitien n’a-t-il pas remarqué que les gens buvaient du thé ou qu’ils écrivaient avec des caractères très spéciaux ? Les universitaires ont noté des incohérences : par endroit, il décrivait minutieusement chaque ville traversée, alors que certaines régions étaient à peine évoquées. Et souvent, il employait l’orthographe perse des lieux. Pour les anglo-saxons, l’explication est limpide. Le marchand, installé au bord de la Mer Noire ou de la Mer Caspienne aurait longuement conversé avec des marchands Perses revenus de Chine. Une fois de retour à Venise, il compila les anecdotes recueillies.
L’une des explications tient peut-être dans la diffusion des confidences. Marco Polo raconta ses aventures à Rustichello de Pisa. Le manuscrit originel fut copié et recopié, l’imprimerie n’arrivant que deux siècles plus tard. Rustichello de Pisa écrivait dans un sabir de Français mâtiné d’Italien, que les copistes maitrisaient plus ou moins. Enfin, certains copistes cherchèrent peut-être à épicer l’œuvre, à coup d’animaux fantastiques et de situations improbables.
Qui plus est, Marco Polo évoquait surtout l'Asie Centrale. Or, les navigateurs et marchand n'allaient pas à l'intérieur des terres. Il faudra attendre le XIXe siècle avec les Russes et surtout Ferdinand von Richthofen (père du terme "Route de la Soie" et oncle du Baron Rouge) pour que des occidentaux s'aventurent dans la région. Or, Richthofen confirma partiellement les descriptions de l'explorateur.
Enfin, au temps des Yuan, la dynastie de Kubilai Khan, comportait un fort taux d'illettrisme. D'où l'absence d'archive.

Philippe Ménard, lui, ne veut pas croire aux controverses. Marco Polo a visité l'Asie, point.

Les Chinois, eux, sont désormais les meilleurs avocats de l'explorateur !

Il représente l’historicité des liens de la Chine avec l’Europe. Il était également témoin d’une Chine prospère et puissante. Conforme à la narration du Parti. Voilà donc Marco Polo célébré !

Les autorités Chinoises croient voir des traces de son passage partout ! A Suzhou, on prétend qu’il aurait été maire de la ville et qu’il aurait commandité la construction d’un pont en pierres, inspiré de ceux qu’il connaissait à Venise…
Le plus important, finalement, c’est son héritage.

Le Livre des merveilles fut donc largement diffusé à la fin du Moyen-âge. Une époque de soif de connaissance et de dépassements. D’aucuns révèrent alors de richesses et de gloire.
On pense bien sûr aux conquistadors. Au collège, on vous raconte que les conquistadors montaient sur une caravelle, disaient : « Cap sur les Indes ! » et hop, ils appareillaient !
Ca n’a aucun sens. Lorsque l’on fait décoller une fusée. On cherche à éviter qu’elle n’explose sur le pas de tir. D’où la création d’agences comme la NASA ou le CNES. De même, armer un bateau pour qu’il se brise au premier récif, ça n’a pas de sens ! Au XVe siècle, Henri le Navigateur fut un piètre stratège militaire. Petit-frère du roi du Portugal, il créa un village dédié à la navigation, la Vila do Infante, en 1416. Il y regroupa cartographes, anciens navigateurs, constructeurs de bateaux, traducteurs, etc. C’était le CNES du XVe siècle ! Henri le Navigateur souhaita atteindre les pays évoqués par Marco Polo. Néanmoins, il s’agissait de trouver une route commerciale sûre et navigable, afin de créer des liaisons régulières. Les Portugais pensaient à l'origine que la côte septentrionale de l'Afrique était au sud du cap Bojador (NDLA : Boudjour, au Maroc.) L'expérience montra que le cap était beaucoup plus au sud que cela... Les expéditions continuèrent, toujours plus au sud. 30 ans après la mort du prince, Bartolomeu Dias passa le cap de Bonne Espérance. En 1498, Vasco de Gama arrivait aux Indes. Et en 1522, l'expédition de Ferdinand de Magellan bouclait le premier tour du monde.

Marco Polo inspira également le capitalisme de la renaissance. Au Moyen-âge, posséder une pochette en soie et une fiole d'épices, c'était bien le maximum que les rois les plus riches pouvaient s'offrir. Dans Le livre des merveilles, les marchands comprirent que les marchandises rares et chères ne l'étaient que parce qu'il y avait énormément d'intermédiaires et que l'Europe de l'ouest était la dernière servie.
Les marchands voulurent des "circuits courts" avant l'heure. Les princes comme Henri le Navigateur financèrent leurs premières expéditions avec des ordres politico-religieux, à l'instar de l'ordre du Christ. Or ces ordres devaient également financer les guerres, la construction d'églises, le mécénat artistique, etc. Alors qu'Henri avait besoin d'armer des navires toujours plus gros, pour partir toujours plus loin, avec toujours plus d'hommes à bord. Les princes s'ouvrirent donc à un financement privé.
Armer un bateau, cela coute une fortune. D'où un besoin de surface financière pour ces marchands, qui s'allièrent. Il fallait également un réseau de distributeurs, à l'intérieur des terres, pour écouler les tonnes de marchandises importés, auprès des têtes couronnées d'Europe. L'activité de négoce était potentiellement très lucrative, mais elle impliquait aussi de grosses sorties d'argent. D'où l'importance du banquier et d'une procédure modernisée de crédits. Comme disait Notorious B.I.G., plus d'argent, plus de problème : d'où un droit commercial formalisé et l'apparition de tribunaux, avec juges et avocats.
Ainsi, les explorations profitèrent à la bourgeoisie citadine. Alors que l'Europe glissait vers l'absolutisme, la bourgeoisie commençait à s'enraciner dans le paysage. Et elle finit par concurrencer l'aristocratie, avant de la détrôner. En d'autres termes, sans Marco Polo, il n'y aurait pas eu 1789.

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