Genève, my two cents

Il y a le feu au lac ! Pour cause de coronavirus, le salon de Genève 2020 a été annulé. Au tout dernier moment.

Certains stands étaient achevés et il y avait même déjà des voitures sur place ! Des journalistes étrangers, un peu hagards, ont débarqué en ville, sans but. Autant de scènes surréalistes, qui ont été racontées sur les réseaux sociaux.

Genève, c'est un salon que j'aime bien. C'est un grand salon Européen et surtout, un salon "neutre". La Suisse n'ayant pas de grand constructeur international, Genève distribue son espace à part équitables entre les différents pays. Il a également pris le parti d'ouvrir la porte aux constructeurs exotiques, aux artisans et aux tuners. L'occasion donc de voir des véhicules inédits.
Je suis fan. Mais j'ai l'impression d'être bien seul.
Cette annulation de Genève au dernier moment, cela signifie des licenciements, du chômage technique. Et plus généralement, de la déception pour tous les professionnels qui préparaient l'évènement depuis des mois...

Dans le même temps, cela fait aussi des heureux.

Y compris le promoteur. Ça aurait été un "petit" Genève : l'Alfa Romeo Giulia GTA, l'Audi A3 Sportback, la DS9, la nouvelle Fiat 500, la Mercedes-Benz Classe E, la Volkswagen Golf GTI... Ça ne fait pas la rue Michel ! Dans le temps, chaque constructeur se devait d'aller à Genève. Et avec les mains pleines !
JLR, MINI, Subaru, Tesla ou Volvo avaient prévu de snober le rendez-vous helvète. Et c'est à Paris que Citroën a dévoilé son Ami ëlectric (sic.)
Et il n'y a pas que les constructeurs qui brillent par leur absence. A Paris, en 2018, 10 000 visiteurs manquaient à l'appel. Un an plus tard, à Francfort, c'était la douche froide : 350 000 personnes volatilisées, soit 31% de la fréquentation. Le "salon de Francfort" 2021 aura lieu à Munich. Difficile de croire qu'avec son affiche plutôt légère, les Helvètes auraient échappés à une contraction de la fréquentation. Ce sabordage bien opportun permet au promoteur de sortir par le haut, en attendant 2021...

(NDLA : en guise d'illustration, le lancement de la Ford Focus 3, en 2010, avec le speaker de Ford parlant devant un parterre de 4 personnes...)
Les constructeurs font preuve d'un attentisme extrême. Les généralistes se retrouvent face à des incertitudes. Et au lieu de se décanter avec le temps, ces incertitudes sont rejointes par d'autres incertitudes, qui s’agglomèrent.

Historiquement, il y a d'abord le dieselgate, en 2014. Le mythe du "diesel propre" s'effondrait. Et avec lui, le magistère de Volkswagen sur l'industrie Allemande. Par démagogie, les politiques de tous les pays jetèrent l'essence avec l'eau du diesel. A moyen-terme, on ne pourra plus vendre de thermiques sur le vieux continent ; la voiture électrique, ce vieux serpent de mer, passe du conditionnel à l'impératif. Ce saut technologique est consommateur de moyens techniques et financiers. Il n'en reste pas moins qu'en prime l'électrique plafonne, à 2%, 3% du marché, malgré des lancement ambitieux. La fin annoncée des aides et le manque de développement du réseau de bornes n'arrangeront rien.

En 2016, la Grande-Bretagne décidait de quitter l'Union Européenne. Depuis quatre ans, la question des échanges entre l'ile et le continent, après le Brexit, reste en suspens. Dans un contexte de surcapacité des usines Européennes, il était tentant d'en profiter pour baisser discrètement le rideau. Tel Honda à Swindon (un souvenir d'Austin-Rover) ou Ford à Bridgend.

Et voici qu'on ne peut même plus compter sur la Chine ! La Chine, ce royaume du prêtre Jean, pour GM et Volkswagen, a connu un trou d'air en 2019. Avec le coronavirus, le pays est figé. On n'a pas encore de chiffres pour février. Mais ils n'est pas sûr qu'en février, beaucoup de gens aient poussé la porte d'un concessionnaire, alors que la plupart des 1,4 milliard de Chinois se terrent chez eux. De toute façon, beaucoup d'usines sont arrêtées. Au mieux, avec les beaux jours, le coronavirus disparait et le marché repart. L'année aurait été amputée d'un trimestre, mais c'est mieux qui si c'était pire... Le pire, ce serait une crise économico-sociale inédite depuis 45 ans.

Voilà les causes de l'attentisme. Les constructeurs naviguent à vue ; ils lèvent le pied sur les nouveautés. D'où ces salons bien tristes, surtout pour qui se souvient du début des années 2010, où il y avait trois, quatre lancements par an et par généraliste.
Pour combler les espaces vides, chaque salon a sa stratégie. A Genève, c'était exposition de voitures anciennes et "village" avec équipementiers, outilleurs, professionnels, etc. Car dans un contexte de crise, les tuners et les designers se font rares, à leur tour.
Sauf que le prix du billet, lui, il a plutôt tendance à augmenter ! Et je ne parle pas du prix du parking et du sandwich...

Le visiteur n'est pas une vache à lait. Payer plein pot pour voir trois nouveautés, deux maquettes d'hypercar, quelques anciennes et quatre vendeurs de polish miracle, non merci !

Ce qui m'a le plus marqué, sur les réseaux sociaux, c'est qu'à part la presse, personne ne semble regretter l'annulation du salon.
A Paris, Francfort ou Genève, le mot d'ordre des promoteurs est identique : "Il est urgent de ne rien faire ! ou bien "On n'a rien essayé et l'on est déjà à court d'idée."

Les constructeurs, eux, eurent tôt fait de passer Genève par pertes et profits. On l'a dit, Citroën n'avait même pas prévu d'y dévoiler son Ami ëlectric. Certains, comme DS, ont convié la presse pour une présentation statique. D'autres ont opté pour la conférence de presse virtuelle. Au moins là, ils maitrisent parfaitement leur message et à qui ils s'adressent.

Est-ce qu'en 2020, le format du salon de l'automobile grand public et généraliste est-il encore incontournable ? Moi, je répondrait oui. Sauf que je fais déjà parti des vieux cons ! Donc mon opinion n'est plus représentative.
Ce format possède une certaine pesanteur. Il faut louer un stand pendant plusieurs jours. Les professionnels n'assistent qu'à une ou deux journées dédiées et ensuite, impossible pour le constructeur de remodeler sa présentation en fonction de son actualité.
Le CES et le SEMA Show (qui ont tous deux lieux à Las Vegas) sont deux évènements phares, brefs, suivis par une audience jeune. Or, ces deux salons sont réservés aux professionnels. Le public n'a même pas besoin de s'y rendre pour s'y intéresser. On note également que ce sont des salons spécialisés.
Il faut également souligner que des constructeurs comme Tesla privilégient les keynote façon Apple. Le constructeur évite les salons ou alors, il vient avec des robocop... Tout cela ne l'empêche pas de conquérir des parts de marché.

En plus d'être hyper-attentistes, les constructeurs sont devenus hyper-précautionneux. Les salons sont autant d'opportunités pour des assoc' groupusculaires de faire de l'agit'prop. D'envahir un stand, qui au nom d'un supposé sexisme, qui au nom de l'écologie, sans oublier les végans... Des images jugées à chaque fois désastreuses par les marques concernées.
L'avenir, cela pourrait donc être des apparitions dans des salons de niche et des conférences virtuelles. Des évènements pop-up, où il faut montrer patte blanche. Et les salons de l'auto appartiendront au passé.

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