Voici une histoire imaginaire, que j'ai rêvé une nuit, avant de la coucher sur papier. Imaginaire... Mais qui aurait pu arriver ! Dans les années 30, un descendant de Confucius rêvait d'une Chine bâtie sur le modèle de société imaginée par Montesquieu. Son signe de ralliement ? Les Renault !
Shanghai, 2025. Madame Wang se rend à son travail, dans un quartier récemment refait. D'un seul coup, le sol se dérobe sous ses pieds ! Encore un travail bâclé. Les Chinois ont d'ailleurs un terme pour cela : "Le travail déchet-de-tofu" (rapport à l'aspect du béton de mauvaise qualité qui s'effrite.) La jeune femme effectue une chute de plusieurs mètres. Heureusement, plus de peur que de mal.
Sous terre, madame Wang découvre une véritable crypte, avec un cercueil, de vieux tracts et un coffre plein de logos Renault !
Shanghai, 1930. Kong Chen Fu fut un notaire sans histoire de la concession française. A la mort de sa femme, il se mit à lire, pour tromper l'ennui. Francophile, comme de nombreux bourgeois Chinois, il s'orienta vers les philosophes des lumières. Voltaire, Diderot et surtout, Montesquieu.
Notez que Kong est un lointain descendant de Confucius (dont le nom chinois est Kong Fu Zi, maitre Kong.)
C'est sûr Montesquieu qu'il s'est focalisé. Rappelons que ce philosophe et politologue utilisait des histoires anciennes (Lysimaque) ou imaginaires (Lettres Personnes) comme parabole de la France monarchique. Kong y voyait des parallèles avec une Chine despotique et corrompue.
Dans sa soif de documents sur Montesquieu, il tomba sur un roman écrit peu avant la Première Guerre Mondiale. Au détour d'une phrase l'auteur comparaissait quelque chose à "la Renault de Montesquieu". Dans un style ampoulé, il évoquait l'usine Renault, rue Montesquieu, à Boulogne-Billancourt.
Néanmoins, Kong, par mauvaise maîtrise du Français, compris qu'il s'agissait de la voiture du baron ! Habitant dans la concession française, il croisait quotidiennement des voitures frappées du losange. La voiture était une conquête récente, en Chine. Mais il savait qu'en Europe, il y avait des voitures depuis plus longtemps. Combien de temps ? Est-ce que Montesquieu avait connu la voiture ?
Kong voulait passer à l'action. Il esquissa un programme politique, basé sur l'Esprit des lois. Il souhait une Chine où le président aurait des comptes à rendre. La corruption endémique décourageait les initiatives de développement économique ou social. Les superstitions y ajoutait un carcan, face à l'acceptation du progrès. Mais contrairement aux communistes, Kong ne plaidait pas pour un changement radical et le recours à la force.
Le fait d'être un Kong lui conférait d'emblée une autorité morale.
Au sein des settlements de Shanghai, on voyait d'un mauvais œil toute activité politique. Kong parti prêcher à Nankin - alors capitale de la République Chinoise -, puis à Pékin. Il était écouté par une bourgeoisie occidentalisée, lassée par le Guomindang, mais effrayée par le communisme.
S'inspirant de la passion supposée de Montesquieu pour Renault, Kong prit le losange pour emblème. Les quatre faces représentaient chacun des thèmes de l'Esprit des lois : gouvernement, liberté, système politique et société. Accessoirement, dans la culture chinoise, il n'y a pas une trinité, mais une quadrinité (cf. les quatre livres de Confucius, les quatre livres extraordinaire et sous le communisme, les quatre vermines, les quatre vieilleries, la bande des quatre...) Le losange était donc un emblème très chinois.
Cong séduisit une large audience. Au milieu des années 30, son Parti du Losange comptait plusieurs centaines d'adhérents. Des permanences ouvraient dans les grandes villes. Cong dut recruter un secrétaire, Zou Si Rui. Ensemble, ils allaient de meeting en conférence. Lao She, auteur du Pousse-Pousse - LE roman Chinois de l'entre-deux guerres - était membre du parti.
Le signe de ralliement, c'était de rouler en Renault. Certains apposaient même des logos Renault sur d'autres voitures !
Malheureusement pour Kong, ce fut un feu de paille. En 1937, les Japonais envahissaient la Chine. Ce n'était plus le temps des parlotes de salon ! D'autant plus que Kong adopta une position ambigüe, appelant à la paix et à "l'unité des civilisations confucéennes". Malgré les attrocités commises d'emblée par l'armée Impériale. Zou Si Rui rejoignit le Manchukuo, où il devint propagandiste, à la solde des Japonais. D'autres membres firent parti de la "République de Chine", une espèce d'état Vichyste monté de toute pièce par Tokyo. Tout cela acheva la réputation de Kong.
La suite fut assez floue. Dans le chaos Chinois des années 40, difficile de suivre la trace de Kong. Il réapparut à Shanghai, dans un modeste appartement. Octogénaire, il était d'une santé fragile et se déplaçait peu. L'essentiel de ses biens furent probablement confisqués par les Japonais. Bien que le Parti du Losange soit complètement dissout, Kong conservait une certaine aura dans son voisinage. C'était d'ailleurs les femmes du voisinage qui s'occupaient de lui.
Le 27 mai 1949, au terme de batailles sanglantes, les communistes prirent le contrôle de Shanghai. La nuit, des soldats - sans doute saouls - s'amusaient à tirer en l'air. Sans doute attiré par le bruit, Kong alla à sa fenêtre. Il fut foudroyé par une balle perdue. On ne le découvrit que le lendemain.
Les temps étaient rudes, mais les voisins tinrent à lui offrir une sépulture digne. Une cave de l'immeuble fut ainsi transformée en tombeau, où le politicien reposait, avec son fameux coffre remplit de losanges.
Dans les années qui suivirent, nombre de résidents filèrent à Hong-Kong et Taiwan. D'autres furent exilés de force. Kong et son tombeau tombèrent dans l'oubli. L'immeuble fut réquisitionné pour loger les enseignants d'une école voisine. Puis il fut rasé dans les années 70, sauf les caves. L'usine qui devait être construite dessus n'a jamais été bâtie. Il y eu ensuite un alignement de boutiques de plein pieds, sur le site. Puis une grande avenue. Pour aller au plus vite, l'entrepreneur se contenta de construire par dessus l'existant. D'où la mésaventure de madame Wang...
Bien sûr, tout ceci est faux.
Cheng Cong Fu fit parti de la toute première génération de pilotes Chinois. A l'instar de
Ho-Pin Tung chez BMW, Cheng fut recruté par Mercedes-Benz. Il fut un éphémère pilote d'essai McLaren, puis on le vit en DTM. Lâché par l'étoile, faute de résultat, il rentra en Chine où Audi en fit son fer de lance. Un statut qu'il possède toujours, près de 20 ans plus tard.
Notez que son nom de famille est "Cheng" et non "Cong". D'ailleurs, son "Cong" s'écrit "丛". Alors que le nom de famille de Confucius s'écrit "孔". Confucius était un philosophe, il vivait en jouant les précepteurs itinérant. De son vivant, il aurait ainsi instruit trois mille élèves. Ce n'était pas un moine et il eu des enfants, dont un fils. 2500 ans plus tard, ses descendants sont clairement identifiés. Contrairement à ce que raconte Wikipédia, il n'existe pas qu'un seul descendant. Impossible donc, de se revendiquer Cong comme cela ! D'ailleurs, seuls ses descendants authentiques portent le nom 孔. Les différents empereurs ont choyé les Cong. Même dans la Chine communiste, ils veillent jalousement sur les sanctuaires et musées de Conficius. Mao leur offrit même sa protection durant la campagne des Quatre vieilleries (四旧) où les Gardes Rouges détruisirent nombre de temples et de bibliothèques anciennes.
La quadrinité est une vraie figure culturelle chinoise. Bien qu'elle n'ait pas une origine religieuse, comme la trinité.
Il n'existe pas de rue Montesquieu à Boulogne-Billancourt. Donc, aucun des nombreux sites industriels de Renault ne fut implanté rue Montesquieu.
Les Etats-Unis étaient
le principal partenaire commerciale de la Chine Républicaine, - devant l'URSS et l'Allemagne nazie -. La France importait beaucoup (thé,
antiquités...), mais elle ne voyait pas les Chinois comme des clients potentiels. Alors que GM et Ford tentèrent de séduire la classe moyenne Chinoise, les constructeurs Français vendirent de rares voitures aux seuls habitants de la concession française.
Du reste, la Révolution Française a longtemps inspiré les Chinois. A la fin du XIXe siècle, les intellectuels Chinois y piochèrent de quoi bâtir une République moderne. Pour l'anecdote, il n'existait alors pas de traduction pour des mots tels que "droits de l'Homme" ou "démocratie". Alors ils étaient écrit tel quel - en français dans le texte -. Une réforme de 1912-1913 verra la création de mots composés pour intégrer des mots et concepts étrangers. La Révolution Française revint en force dans les années 60. Les Maoïstes voulaient s'inspirer de la ferveur révolutionnaire. Il s'agissait aussi d'écrire une histoire des révolutions et du communisme dans laquelle l'URSS aurait une place plus réduite. En tout cas, dans les années 30, les intellectuels et politologues lorgnaient davantage vers le Japon.
Les partis politiques groupusculaires existèrent, du XIXe siècle jusqu'à la proclamation de la République Populaire, en 1949. Dans les années 30, il y eu une balkanisation de la Chine. Le Japon, l'URSS et les Etats-Unis passèrent leur temps à essayer de retourner tel homme politique ou telle fraction. Les Américains offrant des Ford V8 à leurs affiliés. Certains profitèrent à plein du système, changeant d'allégeance au gré des opportunités.
(Images réalisées sous IA.)
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