Lorsque Porsche n'est plus Porsche

Sur les trois premiers trimestres de 2025, Porsche a écoulé 56 887 voitures en Chine. Alors que vers 2022, il frôlait les 100 000 unités par an. Le constructeur Allemand revient aux volumes de 2017. Du coup, il a dû se séparer d’un tiers de ses concessionnaires Chinois. Et comme en parallèle, ses ventes dans le reste du monde au augmentées, la part de la Chine est tombée de 30% à 15%. Vu d’Europe, cela semble incompréhensible. Comment est-ce que Porsche peut perdre des ventes dans le premier marché mondial de la voiture de luxe ? Explication.

Pour le luxe, la Chine semblait être un eldorado. Dans les années 2000, les constructeurs n’en revenaient pas ! Il y avait quasiment des files d’attente dans les concessionnaires, même dans les villes moyennes. Faute d’instruments de paiement, les clients débarquaient avec des cartons ou des sacs de riz remplis de billets de 100 yuans (qui valaient alors 10€.) Billets qu’il fallait ensuite patiemment compter… Lors des innombrables salons de l’auto, ils arrivaient que des clients posent un gros carton sur une voiture en disant : « Je la prends ! » Et c’était pour des véhicules full option.

Une étude de 2020 montrait qu’aux Etats-Unis, le portrait-robot d’un acheteur de Porsche, c’était un homme de 52 ans. Il possédait déjà une Porsche et sa voiture suivante, ce sera une Porsche ! En Chine, l’acheteur moyen a 35 ans. Près de la moitié des acheteurs sont des acheteuses et les deux tiers des acheteurs, tout sexes confondus, n’ont jamais eu de Porsche.

Or, avec le Taycan et surtout le Macan, Porsche est sorti du luxe pour devenir un constructeur premium. En face, il s’est retrouvé face à des SUV Chinois très haut de gamme. Et il a perdu.

Les motivations de l’acheteur

Lors de l’achat d’une nouvelle voiture, il y a des critères objectifs et subjectifs de choix.

Dans le segment « entry », d’ordinaire, les critères objectifs dominent. A commencer par le rapport qualité/prix et le coût de possession total (TCO.) Dacia propose des voitures pas chères, solides et bien équipées, donc c’est logiquement le roi de l’entry. La clientèle se contrefiche de l’histoire de Dacia. D’ailleurs, la plupart des gens pensent sans doute que la marque a été créée en 2004 par Louis Schweitzer.

Le problème, c’est que tôt ou tard, un autre finit par proposer mieux et la clientèle changera de crémerie sans aucun scrupule. Dans les années 80, les marques de l’Est tenaient le haut du pavé. Puis les Coréensont débarqué et en quelques années, les ARO, FSO, Lada, Trabant et autres Yugo ont été balayées. Presque du jour au lendemain, André Chardonnet ou Jacques Poch ont tout perdu. Dacia et Škoda sont les seules survivantes de l’automobile de l’Est.

Plus l’on monte en gamme et plus les critères objectifs perdent de l’importance, au profit des critères subjectifs. Dans le luxe, on se contrefiche de la consommation ou des émissions de CO2 ! Seuls comptent l’aspect statutaire – voir ostentatoire - et l’image de marque. On adhère à une histoire forgée à coups de modèles mythiques, à un univers, à la marque préférée de telle célébrité, au poster qu’on avait au-dessus de son lit, etc. Sans oublier le sentiment d’appartenance à un club très fermé.

Un ensemble d’intrants nébuleux, qui est paradoxalement solide, avec un plus grand taux de fidélité. Chaque constructeur dispose d’un socle de clients. Dans les années 10, McLaren mit le paquet aux USA. Il s’agissait de séduire les mécontents de Ferrari. Le gain fut marginal, passant de 876 ventes US en 2016 à 1270 ventes en 2024… Tandis que chez les rosso, les ventes progressaient de 500 unités, sur la même période.

En Chine, historiquement, la voiture est un objet à la fois utilitaire et statutaire. Les acheteurs les choisissent au coup par coup. Citroën avait lourdement investi pour imposer la ZX en Chine, tant sur le plan industriel que marketing. Il pensait avoir bâti une relation durable… Mais vers 2005, la Ford Focus capta sa clientèle. Et ni Citroën, ni Ford ne put construire sur ce succès. Les marques Chinoises n’en sont pas exemptes. C’est pour cela que Chery, Geely ou Great Wall n’ont cessé de créer des marques éphémères.

L’aspect historique d’une marque, ça ne fonctionne pas du tout en Chine. Il n'existe pas de rapport charnel aux objets. C’est peut-être le seul pays où les tee-shirt Steve McQueen/Gulf ne se vendent pas !
Les Chinois s’intéressent beaucoup à la Chine féodale (dite « temps des dynasties ».) Un passé volontiers fantasmé, à coup de séries TV et de films. Les maroquiniers et les alcooliers français jouent sur une histoire pluri-centenaire. L’élite Chinoise, qui se voit en successeur des mandarins, a l’impression de poursuivre des traditions. C'est la seule exception.

A contrario, les années 50, 60 et 70 sont couvertes d’une chappe de plomb. Entre le Grand Bond en Avant, les Cent Fleurs et la Révolution Culturelle, ce furent des années de souffrance, d’austérité, de misère et d’isolationnisme. La situation de l’occident durant ces années-là est un impensé. Nombre de Chinois s’imaginent que l’occident connu également des pénuries. Ils situent Sept ans de réflexion, les Beatles, Woodstock, Ziggy Stardust, Andy Wharol, Pong, etc. dans les années 80-90, l’époque des premières réformes Chinoises. Honnêtement, le niveau en culture générale des Chinois - y compris les élites voyageant beaucoup et s'intéressant à l'art - est au ras des paquerettes.
De toute façon, c’est obsolète et les Chinois n'ont pas connu cela. Exposer un modèle ancien lors d’un évènement, c’est mignon. Mais ils n’iront pas acheter une Porsche, parce que telle ligne rend hommage à la 356 de James Dean…

On pourrait croire qu’aujourd’hui, la Chine est devenue un marché mature de l’automobile. Terminée, la volatilité du début ! Porsche pensait avoir créé ce fameux socle. Il ne s’était pas alarmé d’avoir une clientèle majoritairement composée de primo-accédant. Il avait pris des clients à la concurrence et cette clientèle allait lui être fidèle ensuite. Ben voyons.

En fait, la clientèle d’ultra-riches Chinois est sensible aux gadgets. Car pour les ultra-riches, la voiture est assimilée à un gadget. Les Porsche Cayenne, Macan et autres Taycan étaient à la mode à un instant t. Puis l’effet s’est dissipé et la clientèle alla voir ailleurs. Sans son aura, le roi est nu.
En Chine, Porsche est le Nokia des voitures : c'était bien, on a aimé, mais depuis, on a fait mieux, alors on tourne la page...

L’une des autres explication du dédain, c’est la politique intérieure Chinoise.

Peu avant le Covid, Xi Jinping organisa une énième vague de lutte anti-corruption. Des perquisitions furent menées chez des hauts fonctionnaires et des hommes politiques. Les condamnés furent notamment accusés de s’être enrichit au dépends des Chinois. L’une des preuves avancées, c’était la possession de voitures de marques étrangères. Le narratif, c’était que les corrompus étaient de fait des traitres à la nation.

Pour prouver leur « patriotisme », nombre de membres du PCC et de cadres se mirent à rouler chinois. Les marques étrangères furent également exclues des appels d’offres de flottes.
Sachant aussi que l'état Chinois et le Parti sont présents dans de nombreux domaines. Vous avez affaire à lui, sans être forcément encarté. Si vous êtes entrepreneur et que vous cherchiez à être bien placé dans des appels d'offre publics. Que vous ayez besoin d'un crédit important ou d'un permis de construire pour un gros projet industriel. Ou tout simplement, que vous soyez chanteur, en quête d'une télédiffusion, sur la télévision d'état, de votre prochaine tourné. Autant de cas où il vaut mieux se mettre le délégué du Parti dans la poche (et où, a contrario, il pourrait vous pourrir la vie.) Le moindre détail pourrait faire tâche, comme la voiture avec laquelle vous vous rendez au rendez-vous...

On peut donc subodorer que Porsche perdit aussi toute cette clientèle.

La solution pour Porsche ? 

Accepter de produire en Chine et de faire fi de sa tradition d’ingénierie interne. Haima – groupe FAW – cherche désespérément de quoi occuper ses usines de Zhengzhou et de l’île d’Hainan. Porsche crée une co-entreprise avec un ou deux acteurs de la tech, pour produire un Macan relifté. Puis il fait la même chose avec le Cayenne. L’objectif étant de créer des entreprises one-shot, le temps de faire le buzz. Sans forcément mettre le nom de Porsche en avant.
Si l'une des co-entreprise s’effondre, il faut en créer une troisième, avec de nouveaux partenaires. 

Avec le risque évident de perdre un avantage compétitif. De tout temps, l'automobile Chinoise s'est construite sur la captation de savoir-faire. La copie est tolérée et parfois encouragée.
Plus subtilement, Porsche formerait des ingénieurs à concevoir et à produire des Porsche. Vous pouvez signer des NDA et interdire les photos. Mais vous ne pouvez pas empêcher les constructeurs Chinois de débaucher vos Hommes...

L'autre solution, c'est l'acceptation. Porsche prendrait act de son statut de constructeur de niche. Faire le deuil des presque cent mille ventes annuelles. Sa clientèle se limiterait à une clientèle résiduelle, peu ou proue similaire à celle d'autres pays. Les quinquagénaires Chinois vraiment attachés à la marque. Une clientèle petite, mais fidèle.

Cela signifie bazarder encore des centaines de points de vente. Calibrer les infrastructures pour vingt cinq mille ventes annuelles. Autrement dit, rompre des contrats avec des dizaines de concessionnaires. Quitte à laisser des milliers de propriétaires livrés à eux-mêmes.

C'est un pari sur l'avenir. Aucun constructeur ne possède une telle patience. Essayez de "vendre" du temps long à un conseil d'administration !
Le plus probable est que Porsche se prépare à un hypothétique retournement de situation et que de facto, il glisse vers la solution deux. Mais un downsizing lent, ça signifie plusieurs plans de réduction successifs, ce qui est désastreux pour l'image. Car au lieu d'avoir un plan de réduction douloureux, vous en aurez trois, cinq, dix, avec à chaque fois des concessionnaires et des clients mécontents. Au lieu de n'avoir qu'une seule pilule amère à digérer.

Pour finir, un peu d'auto-promo. Car on me dit parfois : "Ils sont super, tes articles. Tu devrais en faire un livre."

Or, ce livre, il existe !

Et pour vous plonger dans le quotidien Chinois, rien ne vaut mon dernier roman. Alors, allez sur Amazon et cliquez sur "acheter cette article" !

(Photos 7 et 11 d'Eva Zhang.)

Commentaires

Articles les plus consultés