Flying Tiger et Wuling


Suite et fin de cette série de miniatures made in China avec le Wuling Rongguang, l'un des héros du jeu Truck Life.

Quizz : quel est le rapport entre ce van et le Curtiss P40-B Warhawk ? Lorsque l'on songe à une voiture "née de l'aviation", on pense à des modèles sportifs, disposant d'innovations techniques ou a minima, d'un pédigré (cf. Mercedes-Benz 300SL, Peugeot 905, Rolls-Royce, Saab...) A contrario, en regardant le placide et rustique utilitaire Chinois, difficile d'y voir un avion de chasse ! En plus, ils ont 66 ans d'écart. Ce n'est donc pas non plus une entreprise qui s'est reconvertie au lendemain de la guerre. Et pourtant, il y a une filiation... 

Flying Tigers
Imaginez la situation en Chine en 1940. L'armée impériale Japonaise tenait les principales villes du nord et du centre du pays. Ils avaient également envahi l'Indochine (l'actuel Vietnam) et menaçaient de prendre le pays en étau. La ROCAF (Republic Of China Air Force) était en lambeau. De 1937 à 1939, l'URSS avait envoyé des pilotes "volontaires". Hélas, suite au pacte Germano-Soviétique, les pilotes sont retournés au pays.

En 1937, Tchang Kaï-Chek avait embauché un ancien pilote US, Claire Chennault, comme conseiller. C'était un vétéran de la Première Guerre Mondiale, bronchitique, presque sourd et colérique. Les avions de la ROCAF étaient maintenus par la Central Aviation Manufacturing Company (CAMCO) de William D. Pawley, un homme d'affaires Américain, adepte de la vente à la découpe. Face à l'avancée des troupes impériales, la CAMCO avait déménagé à Liuchow, à l'extrême sud.

Chennault fut chargé de trouver avions et pilotes aux Etats-Unis. Chennault pensait revenir avec une armada et des pilotes chevronnés. Il ramena cent Curtiss P40-B Warhawk en pièces détachées et trois cents novices sachant à peine tenir un manche. Gregory Boyington, bien qu'alcoolique et colérique, était le seul à avoir une vraie expérience. Il fut donc chef d'escadron ! De part la neutralité des Etats-Unis, les pilotes seraient officiellement des civils, employés de la CAMCO.

Les "Tigres Volants" (Flying Tigers) ornèrent leurs avions d'une bouche de requin, inspirée d'une photo d'un escadron de la RAF, basée en Afrique du Nord (qui s'était lui-même inspiré de la décoration d'un escadron de la Luftwaffe basé en Crête.) Le logo du tigre ailé aurait été dessiné par les studios Walt Disney.

Après une rapide formation, ils effectuèrent leurs premières missions en décembre 1941. Les Flying Tigers ne furent actifs que quelques mois, mais quels mois ! Leur base de Mingaladon, en Birmanie, était située dans une jungle infestée par la malaria. Les avions Japonais étaient faiblement blindés et les Américains faisaient des cartons. En représailles, l'empire déployait toujours plus d'avions et Mingaladon fut bombardée quasiment en permanence. Ils durent s'enfuir à Magwe, où était basé la 67e escadre de la RAF, puis à Liuchow. Ils devaient désormais appuyer les troupes au sol, au lieu d'attaquer les bombardiers.
Entre temps, il y avait eu Pearl Harbor : les pilotes se devaient de défendre leur pays. Boyington fut l'un des premiers à partir. Surnommé "Pappy" par ses pairs, il prit la tête des "Têtes brulées" (qui inspira le feuilleton éponyme avec Robert Conrad, récemment disparu.) Au printemps 1942, une vraie unité de l'US Air Force fut basée en Chine et placée sous la responsabilité de Chennault. Elle eu un rôle mineur, au grand dam de "vieux visage en cuir".

Notez que dans XIII, un des personnages, Tom MacLane, avait été mécanicien pour les Flying Tigers.

En résumé, la durée de l'unique campagne des Flying Tigers fut trop brève pour influer sur le court de la guerre. Au moins, elle permit aux aviateurs US d'acquérir de l'expérience, qui fut appréciable durant les premiers mois de la guerre du Pacifique. Ce qui est davantage notable, c'est que ces cents P40-B furent les premiers véhicules assemblées en moyenne série, en Chine (hors Mandchourie.)

Quelques années plus tard, le déluge de feu cessa. Japonais et Américains se retirèrent.

Wuling Rongguang
En 1952, la 42e armée, qui avait participé à la Guerre de Corée, fut stationnée à Liuchow. Les Zhuang -apparenté aux Thaï- sont majoritaires dans cette province. Jusqu'ici, cette minorité s'est montrée discrète et pacifique, mais la jeune Chine Populaire se méfiait des minorités (euphémismes.) Il fallait donc tenir les Zhuang à l’œil...


En 1958, la Chine adopta une nouvelle traduction de ses noms en alphabet latin. Liuchow devint ainsi Liuzhou.
Cette même année, le Parti Communiste Chinois décréta le Grand Bond en Avant. L'un des volets concernait l'industrie. La Liuzhou Power Machining Factory, une fabrique de diesel marins, vit le jour. L'objectif officieux du PCC était créer de l'emploi dans des petites villes, comme Liuzhou, pour détourner les importants flux de l'exode rural. De plus, il fallait noyer les minorités en implantant des Han (les Chinois "normaux") dans des régions où ils étaient minoritaires. Enfin, Mao Zedong venait de se brouiller avec l'URSS. Les conseillers Soviétiques étaient parti et il fallait montrer que la Chine pouvait s'industrialiser sans eux !

En 1960, le CPC décida que la Liuzhou Power Machining Factory produirait également des tracteurs agricoles. Quel rapport avec les diesel marins ? Aucun ! Mais le Parti ne brillait guère par la cohérence de ses décisions... Après un premier prototype en 1964, la production débuta vers 1970.

De son côté, en 1981, la Liuzhou Power Machining Factory fonda la Liuzhou Automotive Industry Corporation. Objectif : décrocher l'un des contrats d'assemblage de minivans que la Chine négocie avec les constructeurs Japonais. Afin de montrer son savoir-faire, l'usine de tracteurs assembla un Mitsubishi L100, en 1982.
Mission accomplie en 1984, l'entreprise paraphait un accord avec Mitsubishi pour assembler des L100. Et en 1990, les premiers minivans sortirent de Liuzhou sous la marque Wuling (cinq châtaignes d'eau.)

L'histoire pourrait s'arrêter là et ça aurait été une success story. Mais c'était mal connaitre la Chine des années 90. La production industrielle décollait en flèche. Les vieilles usines situées dans les campagnes, souvent gérées par des proches du Parti, étaient condamnées. En 1995, Wuling fut reprise par une société baptisée Wuling Group et basée à Hong-Kong. La production se limita aux minivans et à leurs équipements.

La providence vint des Etats-Unis.

En 1997, GM et SAIC fondaient une joint-venture pour assembler des Buick, puis des Chevrolet, en Chine.
A l'époque, les utilitaires légers, moyens et lourd représentaient la moitié du marché automobile du pays. Les autres constructeurs occidentaux signaient des contrats d'assemblage de vans (cf. les Ford Transit de Jiangling, les Iveco Daily de NAC, etc.) Or, GM avait déjà liquidé ses activités dans les VUL. Il ne lui restait que des pick-up et des vans XXL, pas du tout adaptés aux besoins des Chinois. Quant à SAIC, il ne produisait pas d'utilitaire (NDLA : ce n'est que plus tard qu'il récupéra Nanjing-Iveco et qu'il racheta Maxus.)

Le groupe était pris d'une frénésie d'achats, il souhaita donc s'offrir un constructeur local d'utilitaires. Il identifia Wuling comme cible. En 2003, GM créa une nouvelle société, SAIC-GM-Wuling (SGMW.) Il força SAIC à en prendre 50%. Les Américains en possédaient 16,7% et Wuling, le tiers restant.

Sous l'impulsion des Américains, les vans dérivés du L100 furent modernisés et mieux finis. Le tout avec un réseau digne de ce nom et un plan marketing inédit dans le VUL Chinois. Tous les ingrédients étaient réuni pour une invasion du pays. A la ville, on les voyait se faufiler dans les contre-allées pour livrer ses marchandises. Dans les grandes banlieues, ils servaient de taxi collectif. Dans les campagnes, ils étaient parfois l'unique véhicule à quatre roues du village.
Ils ne sont jamais aussi propre que celui de la miniature. Ils ont la carrosserie cabossée, la peinture enrobée d'une belle couche de poussière, le cluster d'instrumentation en panne, des témoins d'alerte qui s'allument à chaque démarrage... Mais toujours prêt à rendre service ! Avec la benne chargée bien au-delà du raisonnable...

Wuling, jadis moribond, était désormais le leader du minivan, en Chine, avec plusieurs centaines de milliers d'unités par an. Son minivan, renommé Sunshine, est la meilleure vente automobile du pays ! Et c'était désormais lui qui poussait des acteurs, comme Hanjiang ou Hafei, vers la sortie.
Entre temps, GM était devenu actionnaire de Suzuki. Relooké, le Carry devint Wuling Hongtu et il amorça la montée en gamme des utilitaires Chinois. Avec le second modèle, l'usine de Liuzhou était trop petite et le constructeur s'en offrit une seconde, pour le Hongtu... Qui n'était autre que l'ancien site d'assemblage des Curtiss P40-B Warhawk des Flying Tigers ! Le Rongguang étant la version reliftée du Hongtu. Voilà le lien entre les deux miniatures.

En 2005, SGMW racheta Etsong, il ne s'agissait pas de poursuivre la production de ses Austin Maestro et Montego. D'ailleurs, il en revendit l'outillage à Yema. SGMW s'intéressait surtout à sa licence de fabrication de voitures particulières, un sésame indispensable en Chine. SGMW pu ainsi assembler des Chevrolet Matiz.
En 2010, profitant de l'expérience de SAIC avec Roewe, SGMW lança Baojun, une marque low-cost de voitures. En parallèle, les minivans Wuling furent rebadgés Chevrolet pour l'Amérique du Sud.
Dix ans plus tard, SGMW fête sa vingt-deux millionième voitures (au cumul de Wuling et de Baojun, y compris les véhicules antérieurs à l'arrivé de GM.) C'est la plus prospère des entités du portefeuille de GM. Le MG Hector, produit et vendu en Inde ou le Chevrolet Groove, destiné au Moyen-Orient, sont des SUV Baojun. Déjà présent en Indonésie sous ses couleurs, Wuling lorgne sur la Russie et le Moyen-Orient. Le verra-t-on sous nos latitudes ?

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