Smart, de la Swatchmobile à Geely
Saviez-vous que Smart avait débuté comme un projet de Swatch ? Oui ? Mais ce fut surtout une épopée qui dure depuis plus de quarante ans, avec quelques hauts et beaucoup de bas... Le tout illustré par des documents d'époque, issus de mes propres archives.
Swatch
Pour comprendre la révolution Swatch, il faut revenir à l'après-guerre. Les montres étaient un objet utilitaire, mais un objet précieux. On en offrait pour les premières communions, les réussites aux examens, les départs en retraite... On les faisait réparer chez les horlogers, en cas de panne. Ne serait-ce que pour les remonter.
Ces montres bas de gamme étaient produites un peu partout. Les manufactures étaient des PME et elles faisaient peu d'efforts sur le design. Les boitiers n'étaient pas étanches et la vitre se cassait facilement.
Puis ce fut l'invasion des montres Japonaises : Casio, Citizen, Seiko... Des montres davantage lookées et grâce aux effets de volume, les Japonais cassaient les prix.
Les horlogers traditionnels paniquaient. Les PME fusionnèrent pour tenter de peser davantage. Mais le sol se dérobait sous leurs pieds. En 1973, le leader Français Lip était en liquidation. Heuer, le chronométreur du sport auto, fut racheté pour une bouchée de pain par la société TAG d'Akram Ojjeh, en 1985.
Nicolas Hayek, un consultant, fut chargé de piloter la fusion des mastodontes Suisses SSIH et ASSUAG. L'une des filiales de SSIH, le fabricant de mouvement ETA, avait l'idée d'une montre inédite : la Swatch, toute en plastique. La Swatch possédait moins de pièces en mouvement. La vitre était soudée au boitier. Cela rendait la montre étanche, mais cela interdisait toute réparation.
Nicolas Hayek conseilla SSIH de lancer la Swatch, en 1983 et de tout miser dessus. Franz Sprecher, un consultant en marketing, eu l'idée d'un package révolutionnaire. Chaque saison, en jouant sur les couleurs du bracelet et du boitier, Swatch lancerait des collections. A l'occasion, il s'associait à des artistes contemporains et des graphistes en vue. Plus besoin d'horlogers : les Swatch étaient vendues dans des magasins franchisés, dans les centre-ville et les centre commerciaux. Le tout avec des publicités colorées, un peu provoque gentillette, typique des années 80.
Dès 1982, avant même le lancement de la Swatch, l'homme d'affaire voulait porter le concept sur d'autres produits. Le téléphone Swatch, lancé à la fin des années 80, fut un flop. Nicolas Hayek s'accrocha avec le Swatch Talk, une montre-téléphone, qui ne dépassa pas le prototype.
Après de brèves discussions avec GM, Nicolas Hayek trouva refuge chez Mercedes-Benz.
Nicolas Hayek et Swatch arrivaient à point. Mercedes-Benz ressorti son projet NAFA de 1981. Les deux parties célébrèrent leurs fiançailles avec les concept-cars Eco-Sprinter (badgé Mercedes-Benz) et Eco-Speedster (sans badge.) Deux prototypes déjà très proche de la future Smart City Coupé.
Ils complétaient une stratégie de volume construite jusqu'ici autour de la Classe A et du ML.
MCC
Quelques mois plus tôt, Mercedes-Benz avait investi dans une grande campagne d'affichage, pour la Classe A, en marge du Mondial 1996. De l'art de faire parler d'une voiture, sans la montrer. Les retours étaient excellent, tant en terme de notoriété, que de qualitatif. La firme à l'étoile de se vanta sans doute un peu tôt du pré-lancement de la Classe A.
Pain noir...
En octobre 1998, la MCC Smart City Coupé sorti enfin. L'évènement passa quasiment inaperçu. La voiture était très radicale : une stricte biplace, de 2,5m de long. Du jamais vu depuis l'immédiat après-guerre (cf. la Voisin Biscooter.) Nicolas Hayek voulait une électrique ou a minima, une hybride, comme la Volkswagen Chico. Mercedes-Benz imposa un 3-cylindres turbo 599cm3 55ch.
Le tarif avait subi une forte inflation, à 56 000 francs. La Smart était plus chère qu'une Fiat Seicento Clim (56 200 francs) et surtout, à portée de tir des Saxo, 106 et Twingo d'entrée de gamme (59 000 francs.) Des voitures quatre places et beaucoup plus polyvalentes. MCC s'abritait derrière la "deutsche qualität" de son produit et le fait que l'immense majorité des voitures sur le trafic sont des autosolistes.
Mais la Smart voulait surtout se distinguer sur la forme. Les voitures étaient vendues dans un réseau distinct, avec des tours en verre. Ces tours n'étaient pas qu'un élément décoratif. L'idée était que le client arrive, choisisse une voiture sur la tour et vingt minutes plus tard, il reparte au volant de sa Smart. Il était même possible d'acheter un City Coupé sur internet. Une révolution en 1998, alors qu'internet était encore un outil pour binoclards et la vente en-ligne était extrêmement confidentielle. D'ailleurs, Amazon commençait tout juste à proposer des livres et des CD sur internet.
L'arceau tridion restait uniformément noir. Les panneaux de carrosserie étaient boulonnées dessus. Vous n'aimez plus la couleur de votre City Coupé ? Un tour chez le concessionnaire et trente minutes plus tard, vous repartez avec des panneaux d'une autre couleur !
MCC voulait imposer une nouvelle vision de la mobilité, destinée aux 18-30 ans. Artistes fauchés, étudiants, marginaux... Le dossier de presse insiste sur ces catégories qui ne pouvaient ou ne voulaient pas d'une voiture neuve.
Comme elle ne prend qu'une demi-place de stationnement, on devait payer demi-tarif. A Paris, Jean Tiberi évoqua le projet d'un stationnement "moins de 3 mètres". L'arrivée de Bertrand Delanoé, en 2001, balaya l'idée.
1999 fut une année noire pour Smart. Les ventes furent bien en-deçà des prévisions.
Nicolas Hayek claqua la porte. Officiellement, il s'estimait trahit par Mercedes-Benz. Il annonçait qu'il allait produire seule une vraie Swatchmobile, puis un avion Swatch ! Accessoirement, entre les retards et le début laborieux, SMH (qui n'avait plus que 19% de MCC depuis 1997) a perdu beaucoup d'argent.
Surtout, l'homme d'affaires a senti le vent tourner. Les montres bons marché en plastique, c'est fini. Le marché est monté en gamme. SMH avait profité du trésor de guerre de Swatch pour développer et racheter des marques de milieu de gamme : Bréguet, Blancpain, Longines, Omega, Tissot... Ce sont désormais elles qui tirent les ventes, notamment sur les marchés extra-européens. Le chiffre d'affaires de Swatch Group -qui regroupe ces différentes marques au sein de SMH- est passé 4,263 milliards de francs suisse en 2001 à 7,9 milliards de francs suisse. Notez que Swatch Group étant propriétaire de ces marques à 100%, il ne publie pas de chiffres ventilés par marque.
Certaines mairies refusaient des permis de construire pour les tours en verre. De toute façon, premier effet Kiss Cool : le client souhaitait presque toujours un véhicule qui n'était pas en stock. Or, suite à une grève du fournisseur Magna, les délais de livraison étaient au conditionnel. Et interdit de solder les invendus : MCC a refusé toute réduction. De quoi écarter aussi d'éventuels gestionnaires de flottes.
A Smartville, on se demandait tout simplement si l'on allait passer le millénaire...
Pain (presque) blanc
MCC visait les 18-30 ans aux poches trouées. Il trouva une clientèle plus âgée et plus argentées que prévue. Des couples sans enfants (notamment les gays), des retraités, des cadres supérieurs (qui y voyaient une alternative au scooter.) La Smart était LA voiture du bobo. L'engin idéal pour se faufiler dans la circulation et se garer sur un moignon de place. Bobos qui n'avaient que faire du discours pour djeuns et de la nouvelle façon de vendre des voitures.
Au bord de la fermeture en 1999, Smartville recrutait en 2000 et la production passait à 100 000 unités par an.
Rançon du succès, la Smart fut clonée. La Shuanghuan Noble avait une apparence proche. Mais c'était une 2+2 à moteur Suzuki 1l 45ch, entrainant les roues avant. Surtout, la voiture reposait sur un châssis en échelle avec une carrosserie en polyester.
L'Italien Martin Motors tenta de la commercialiser en Europe, sous le nom de Bubble, en 2007. Prix : 11 400€. Sans surprise, Daimler y mit son véto.
En 2001, le badge MCC disparu et Smart devint le nom de la marque. Car Daimler comptait profiter de l'engouement pour décliner le concept.
En parallèle des lancements des Classe A, Smart et ML, Jürgen Schrempp songeait à d'autres moyens pour atteindre une taille critique. En 1998, Daimler et Chrysler échangèrent des actions -même si de facto, c'était une absorption de Chrysler par Daimler-. L'année suivante, DaimlerChrysler (alias DCX) rachetait un tiers de Mitsubishi Motors, alors en difficulté.
L'un des défauts de la firme aux trois diamants, c'était l'absence de citadine. Lancée en 1995, la Colt n'arriva que fin 1998 dans l'hexagone. Design quelconque, absence de motorisation d'entrée de gamme ou de diesel sabordèrent sa carrière, qui s'éteignit dès 2000 ! En 2002, Mitsubishi dévoila les concept-cars CZ2 et CZ3 Tarmac, annonçant une nouvelle Colt. Un design plus agréable (signé Olivier Boulay) et surtout un choix de motorisations à distribution variable. Elle allait être produite chez Nedcar, à Born, dans l'ex-usine Daf.
Un peu de tout
En parallèle, Smart songea à l'électrique. Zytek étudia une Fortwo équipée d'un moteur 30kW, en 2007. C'était avant un véhicule de pré-série. Daimler étant brièvement actionnaire de Tesla, la Smart Electric Drive hérita de batteries Tesla. De quoi passer de 110km à 135km d'autonomie. Au salon de Francfort 2011, une troisième génération, l'ED3, fut dévoilée. Cette fois-ci, on passait à 55kW de puissance de crète et 145km d'autonomie. Malgré tout, l'ED3 resta cantonnée aux flottes.
En avril 2010, Daimler échafaudait un partenariat technique et financier avec Renault. La nouvelle Smart Forfour était ressuscitée ! Cette fois-ci, il s'agissait d'une Smart Fortwo troisième génération, rallongée de 60cm, afin d'accueillir deux portes supplémentaires. Elle était produite non pas à Hambach, mais chez Renault à Novo Mesto, en Slovénie. La firme au losange commercialisant en parallèle une Twingo identique, aux masques avant et arrière près. C'était d'ailleurs la première Renault à moteur en porte-à-faux arrière depuis la R8 !
Geely
Le #1 est un SUV électrique compact Geely relooké par les designer de Daimler. Avec 4,27m de long et surtout un tarif d'entrée de gamme de 40 315€, on est très, très loin du concept du City Coupé de 1998 !
Et ce n'est qu'un début, car voici le #3, puis le #5. Le seul intérêt pour Geely est de profiter du réseau Smart, bien établi en Europe. Mais pour le reste, difficile de faire le lien avec les anciennes Fortwo. Signalons que non, Geely n'a pas cherché à rapprocher Smart avec Lynk&Co, Lotus, LEVC, Polestar et cie.
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