Bentley S3

Dans un parking parisien, j'ai croisé cette Bentley S3 (autrement dit, une Rolls-Royce Silver Cloud MK III.) Elle est facile à identifier, avec sa calandre à quatre phares. Je n'ai aucun mérite.

Je me demande quel est le modèle économique de Rolls-Royce. Certes, ses voitures ont un cycle de vie très long, elles sont vendues très cher, à une clientèle captive et ses "voitures motorisées" piochent largement dans la banque d'organe BMW... Mais comment peut-on être rentable avec 4 000 voitures par an ? Comment Rolls-Royce peut-il ouvrir des pays comme le Cambodge, avec un parc qui se compte sur les doigts de la main ? En tout cas, il a imposé son modèle de gestion du luxe à la concurrence.

Faisons un peu d'historique de la gestion de la logistique sortante, dans l'automobile. Aux commencements, les constructeurs avaient une envergure locale. Vous aviez des constructeurs parisiens, des constructeurs lyonnais... La force de Renault, ça a été de développer un réseau. De vendre loin de son usine de Boulogne.
Avec la première guerre mondiale et le taylorisme, le marché s'est scindé. D'un côté, on avait des constructeurs populaires, qui visaient une clientèle toujours plus large. En Europe, Citroën fut un pionnier du réseau. Non seulement, le constructeur quadrillait les grandes villes, mais surtout, il réfléchissait à l'agencement de ses représentants et à l'animation de son réseau. Dans le luxe, on en restait à l'idée d'aller chercher la voiture à l'usine. Certains constructeurs disposaient néanmoins d'un luxueux show-room, dans la capitale, point. Et à l'étranger ? Les surtaxes sur les importations, rendaient les petites voitures étrangères beaucoup trop chères. De plus, la logistique internationale étaient déplorable. Les camions se trainaient et faute d'autoroute, ils buttaient sur les cols. Le réseau ferroviaire était excellent... Mais les rails s'arrêtaient aux frontières. Les avions arrivaient péniblement à embarquer quelques passagers et un sac de courrier, alors une voiture, même démontée... Reste la mer. Le trafic maritime international était bien organisé... Néanmoins, point de containers. Les voitures voyageaient en fond de cale, couverte d'une toile de jute et advienne que pourra. Reste que certaines marques comme Rolls-Royce, Packard, Bugatti et plus tard, Cadillac, avaient une attraction forte. C'était un marqueur social fort et les millionnaires étaient prêts à organiser une couteuse et complexe logistique one shot, juste pour en obtenir une.
Après la deuxième guerre mondiale, les constructeurs européens furent forcés d'exporter, pour faire rentrer des devises. La solution trouvée, c'était le CKD. Toujours à cause des barrières douanières. Dans le luxe et le sport, on visait les Etats-Unis (ainsi que le Canada, le Mexique, l'Argentine puis, le Brésil et l'Uruguay.) Il y avaient des importateurs ayant pignon sur rue, comme Max Hoffman, les Qvale, Luigi Chinetti... Mais ils étaient incapable de couvrir les Etats-Unis. Des pilotes privés s'improvisent importateur de sportives Britanniques, ça permettait de payer la saison... Sauf que ces petites structures étaient très fragiles. Vous achetiez une MG A, vous repassiez l'année suivante pour l'entretien et le garage avait mis la clef sous la porte. Colin Chapman encourageait chaque pilote qui lui achetait une voiture à devenir représentant aux USA... Sauf que vous obteniez un marché où tout le monde était vendeur de Lotus et où il n'y avait personne pour en acheter !
Dans les années 60-70, le marché commun apparu. Les constructeurs purent exporter massivement. Néanmoins, dans le premium, on préférait sous-traiter intégralement à un représentant. Souvent, c'était un importateur qui avait fédéré un réseau national autour de lui, comme Qvale et Chinetti aux USA, Chardonnet, Charles Pozzi, Franco-Britannique et Sonauto en France, Denzel en Autriche, Emil Frey en Suisse... Et nombre de constructeurs de sportives en restaient à arroser des indépendants, qui formaient plus ou moins un réseau. Mercedes profita de la déconfiture de Studebaker pour reprendre une partie de son réseau et gérer en direct sa représentation aux Etats-Unis. Rolls-Royce, lui, racheta ce qu'il restait de Lotus Cars USA.
Sous-traiter, cela permet de limiter les coûts. L'importateur prend en charge la gestion du réseau et parfois, l'homologation. J'ai pu discuter avec PGO, avant leur départ à Shanghai. Ils s'attendaient à trouver un pige... Un représentant qui supporteraient tous les coûts. Ils n'avaient même pas traduit le nom "PGO". J'ai voulu les prévenir qu'il ne fallait pas croire au père noël. Ils ne m'ont pas écouté et sans surprise, leurs contacts Chinois leur ont tendu leur majeur. McLaren s'est d'emblée doté d'un réseau mondial géré en interne. L'intérêt évident, c'est l'animation et la présentation. La clientèle se montre toujours plus exigeante. Le vendeur en bleu de travail, le garage qui n'a pas été refait depuis 20 ans ou la GT noyée au milieu de voitures de marque concurrentes, ça la fout mal... Donc, tant pis, on casse sa tirelire. Chez Lotus, l'une des premières actions de Jean-Marc Gales a été de se trouver des représentants officiels et de se doter d'une vraie structure internationale. Il en allait de la crédibilité du constructeur.

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