Yaourt parisien

Cette fois-ci, mes pas m'ont mené vers une BMW Isetta 300. Un concessionnaire BMW l'exposait fièrement. Ca tombait bien, car il y a peu de microcars dans ce blog. Et je n'avais croisé qu'une seule fois une Isetta.
J'ai déjà raconté l'histoire de BMW dans les années 50. Pour ceux qui auraient la flemme de cliquer, voici un rappel.

BMW est sorti essoré de la guerre. Son usine d'Eisenach se trouvait en zone sous contrôle Soviétique (la future RDA.) BMW n'avait plus de contrôle dessus. La production de BMW 327 reprit rapidement. Après négociation, le constructeur obtint qu'au moins, elles soient rebaptisées "EMW 328". A Munich, l'usine a été bombardée. Les Français ont ensuite confisqué les machines encore en état de marche. L'avionneur Bristol put lui récupérer des plans et ils les produisit en tant que Frazer-Nash.
Günther Quandt, l'actionnaire principal, fut incarcéré pour "complaisance [vis à vis des nazis]." Les alliés, notamment les Américains, s'étaient dit que dans le cadre de la reconstruction du pays, mieux valait ne pas écarter les haut-fonctionnaires et hommes d'affaires de l'Allemagne nazie. D'où des investigations bâclées et des peines légères. Durant l'incarcération de Quandt, son fils Herbert Quandt prit les commandes. La première création d'après-guerre fut la R24 (1949), une moto. Le patriarche sortit de prison et BMW vit plusieurs interdictions levées. Il put reprendre la production de voiture avec la 501 (1951), largement dérivée de la 327. Puis il y eu la 502, à moteur V8 et ses dérivés sportifs, la 503, puis la 507.
Entre-temps, ISO avait dévoilé une microcar, l'Isetta, qui fut très vite un carton dans la Botte. Notez qu'ISO avait entre autre fabriqué des frigos, ce qui explique sans doute cette curieuse porte unique... En Allemagne -comme dans d'autres pays d'Europe- il y avait une forte demande pour un moyen de locomotion minimaliste et les petites cylindrées étaient classées comme des motos. BMW demanda une licence. Il remplaça le moteur par un monocylindre de motos BMW, puis il replaça les feux au-dessus des ailes (et non plus devant.) L'Isetta [250] fut lancée en 1955. Après tout, 25 ans plus tôt, Dixi, l'ancêtre de BMW, s'était sorti de l'ornière grâce à une Austin Seven sous licence... Comme avec la Seven, BMW fit évolué l'Isetta (accessoirement, c'était un moyen de payer moins de droits à ISO.) D'où la 300 (1956) et la 600 (1957.) Les Allemands vendirent des licences aux Brésiliens, aux Argentins et ils firent brièvement du CKD en Grande-Bretagne. Cette dernière activité dressa les cheveux de Lord Nuffield. Les Krauts gagnent de l'argent sur le dos des Britanniques ! Il convoqua un certain Alec Issigonis à son bureau. L'ingénieur d'origine Grecque fit un croquis plein de solutions techniques radicales (un moyen de débuter haut la négociation, en vue d'un compromis...) Et Nuffield de lui accepter son véhicule en l'état ! La suite, on la connait...
Retour à Munich. En 1954, Günther Quandt meurt lors de vacances en Egypte. Harald Quandt, officier de la Luftwaffe, réapparu et il voulait sa part de l'héritage, face à son demi-frère Herbert. Ils étaient conscients que le temps des microcars touchait à sa fin. D'une part, la RFA durcissait sans cesse la réglementation. D'autre part, M. Schmidt ne se contentait plus d'une caisse à savon. Il avait davantage d'argent dans ses poches -grâce au miracle économique- et il voulait une vraie voiture. Wolfgang Denzel, l'importateur Autrichien avait fait recarrosser une Isetta 600 par Michelotti. Puis il l'avait proposé à BMW. Voilà un moyen de revenir aux "vraies voitures". Néanmoins, il fallait investir lourdement pour modifier la production. Les Quandt avaient un autre dossier sur la table : un rachat par Mercedes, qui manquait de moyens de productions. Herbert Quandt préférait cette solution et Harald le convainquit de garder BMW. Herbert vota le maintien de l'activité et l'industrialisation du projet de Denzel. S'y ajouta un coup de pouce financier du Land de Bavière. En 1962, BMW passa à la vitesse supérieure avec la 1500, première de la série des "Neue Klasse". Le constructeur s'affirma comme acteur des moyennes cylindrées et en 1966, il s'offrit Glas. Il disposa ainsi d'un second site de production, Dingolfing et d'une expertise dans les moyennes cylindrées.
De 1945 à 1960, BMW connu ainsi un véritable parcours du combattant. Mais c'était typique de l'après-guerre : unités de production bombardées, problèmes de trésorerie (pas facile, pour une ETI d'avoir une activité réduite, voire nulle, pendant 5 ans) et dans les pays de l'Axe, des personnes-clés écartés -ou éliminés- pour cause de collaboration (et pas forcément celles les plus éclaboussées...) Le tout dans un contexte d'évolution technique et commercial en mutation permanente.
DKW, le premier généraliste Allemand à reprendre la production (avec Volkswagen) était complètement essoré au début des années 60. Ses 2-temps était passé de mode. A la fin des années 40, Ferrari était un quasi-inconnu ! Le roi de la voiture de sport italienne, c'était Cisitalia ! Puis le fisc Italien s'intéressa au contribuable Piero Dusio (le fondateur de Cisitalia) et il s'enfuit en Argentine... Qui se souvient de CEAT, l'autre fabriquant Italien de pneus et premier chausseur attitré de Ferrari ?

On pourrait ainsi multiplier les exemples...

En théorie, aujourd'hui, les marchés sont plus stables. Mais les constructeurs restent exposés. Ils doivent faire des planifications sur 10 ans. Or, personne ne sait comment sera le monde dans 10 ans. Il y a des intrants politiques et macroéconomiques sur lesquels personne n'a de prise. Il faut se souvenir, par exemple, qu'il y a dix ans, le Venezuela était le second producteur d'Amérique Latine ou qu'on nous annonçait que la Tata Nano allait envahir les rues de l'Inde... Le Brexit fut un pavé dans la mare. Bien malin celui qui sait comment la Grande-Bretagne se portera. La Catalogne et son rapport à l'Espagne sont l'autre enjeu critique. Le premier tour de l'élection Russe est mi-Mars, mais les urnes sont déjà remplies. Vladimir Poutine pourrait faire face à de nouvelles sanctions qui étrangleraient le début de reprise. A Cuba, le décollage mainte fois annoncé ne vient pas. La faute à un état trop bureaucratique et trop prédateur vis-à-vis des rares structures -privées ou mixtes- qui marchent. Quid du devenir de la Corée du Sud, face à son voisin belliciste ? Quel est l'avenir industriel de la Turquie, dans un contexte d'isolement international croissant ? La Nouvelle route de la soie semble progresser lentement. Les états d'Asie Centrale font monter les enchères. Et le jour où elle se mettra en place, la Chine va-t-elle envahir le monde avec ses produits (notamment les voitures) ? Emmanuel Macron vient seulement de réaliser que c'est une 4-voies à sens unique...
Les patrons débarquent à Davos aussi pour essayer de tâter le pouls. C'est comme jouer à la roulette. Si vous être trop conservateur, d'autres vous doublent (c'est le problème actuel de Honda ou Toyota.) Si vous misez sur la mauvaise case, vous pouvez perdre gros (comme VW avec le diesel.) Et même avec les meilleurs tuyaux, la part de risque est importante...

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