Hispano-Suiza J12 par Paya


Régulièrement, il y a des miniatures sur ce blog. Cette Hispano-Suiza J12 est l'occasion de parler de Paya et des jouets en fer blanc. Notez qu'il s'agit d'une reproduction, tout juste sortie d'une usine Chinoise. 

Lors du salon Maison & Objet, je suis passé comme à chaque fois sur le stand du distributeur de jouets anciens. Mon regard a été attiré par une Hispano-Suiza... Faute de pouvoir l'acheter en direct, j'ai dû trouver un revendeur. 24,99€ plus tard, elle est à moi !

Le jouet en lui-même est d'une finition très médiocre. La faute à son procédé de construction, sans clou, ni vis ; tout n'est que plié. Cette Hispano-Suiza dispose d'un moteur à friction, qui se remonte à l'aide d'une clef. Mais l'adhérence de fins pneus en tôle est très mauvaise. Donc, vous remontez, vous remontez et... Les roues arrières patinent sur place !
Dernière précision, elle est constituée d'une fine feuille de fer blanc. Ses arrêtes sont tranchantes. A tenir hors de portée des enfants et des maladroits. Sauf à vouloir finir aux urgences...

Bref, un objet beau de loin, à poser sur une étagère.

Par contre, il possède une histoire intéressante. Attention : c'est un de ces articles interminable, avec des parenthèses dans les parenthèses. 

Le fer blanc

Les jouets remontent à l'aube de l'humanité. Dans toutes les cultures, ils servaient à apprendre ou bien à imiter les adultes (chasse, guerre, agriculture, maternité...)

A la première révolution industrielle, on commençait à voir émerger de véritables fabricants de jouets.
En Europe, le bois était un matériaux disponible en grande quantité, donc bon marché. Mais le procédé est long. L'industrie du bois eu un rôle moteur dans le développement des machines outils (à commencer par les tours et les scies circulaires.) Mais derrière, vous avez de toute façon toute une partie de polissage, d'élimination des échardes, etc. Obligatoirement réalisées à la main. Idem pour la peinture, avec un temps de vernissage obligatoire, derrière. D'où une grosse part de main d'œuvre dans le prix final. Notez aussi qu'il s'agissait de bois massif, donc lourd. Le balsa était connu, mais il n'a vraiment été dompté que durant la Seconde Guerre Mondiale. Idem pour l'aggloméré.
Les jouets en bois sont donc souvent des jouets immobiles (cf. les maisons de poupées) ou montés sur des roulettes.

La seconde révolution industrielle apporta le travail du plomb. Vous construisez un moule, vous portez un alliage de plomb à ébullition, vous versez dans votre moule, vous laissez refroidir, vous démoulez et voilà ! L'avantage du plomb, c'est qu'il est plus léger que le bois. De plus, vous pouvez inclure davantage de détails. Ce processus, reproduisible ad libitum, ouvrait la voie de la moyenne série.
Le problème numéro un, c'est la solidité. Vous devez vous limiter à de petites pièces et impossible de les empiler : il s'écroulerait sous son propre poids. Accessoirement, le processus de moulage était primitif, avec de fréquents problèmes de bulles d'air. Du coup, au démoulage, de nombreuses pièces étaient cassées. Qui plus est, il restait le problème de la peinture à la main. Enfin, vu de 2025, on connait les effets néfastes du plomb sur les enfants.
Le plomb s'est donc surtout limité à de petites figurines, type soldats. Et généralement figés dans des dioramas.

Vers la fin du XIXe siècle, on commença à produire des jouets en fer-blanc. Le processus est encore plus simple que le plomb. Prenez une feuille de fer-blanc, mettez sous une presse et voilà. Dans la foulée, on inventait la chromolithographie, qui permettait d'imprimer sur une surface plane. Donc plus de problème de peinture. Ensuite, vous le déposiez sur un bâti primitif. Un ouvrier se chargeait du pliage. La surface se terminant par des pattes et des trous. Vous glissez la patte dans le trou, puis vous rabattiez. Un processus simple, qui ne nécessitait pas l'emploi d'ouvriers spécialisés (donc moins cher.) A l'époque, c'était donc la solution ultime, qui autorisait du volume et de la diversité, à un coût moindre.
Dans le cas de l'Hispano-Suiza, on note que l'on avait affaire à une évolution tardive du fer-blanc. Vous n'aviez plus une seule feuille, mais plusieurs (pour le châssis, les banquettes, la calandre, la malle...) Ainsi que de nombreuses pièces rapportées (phares, pare-chocs...)

Paya Hermanos

Paya, c'est un histoire de l'Espagne contemporaine. Voyageons à Ibi, dans l'Alicante. Au XIXe siècle, c'était une région céréalière. Entre les moissons et le semis, les céréalier n'avait pas grand chose à faire. C'était d'autant plus problématique pour les ouvriers agricoles, qui n'avaient donc aucun revenu. De nombreux paysans avaient donc un métier durant l'hiver : horlogerie dans le Doubs, glaces au Pays Basque... Et jouets à Ibi, dès la fin du XVIIIe siècle. Après tout, noël tombe justement au milieu de l'hiver.

Rafael Paya fabriquait ainsi des jouets en fer-blanc, vers 1890. Après noël, il fabriquait divers objets usuels, toujours en fer-blanc. Faute d'électricité à Ibi, c'était une machine à vapeur qui fournissait l'énergie pour actionner la presse. 

En 1905, Rafael Paya passa le relais à ses trois fils, Vincente, Pascual et Emilio. Ils formalisèrent l'activité sous le nom de "Paya Hermanos" (Paya [&] frères) et en firent une activité à temps plein. Les frères firent le tour des foire agricole pour présenter leurs productions et s'inspirer de la concurrence. Il passèrent ainsi à la couleur, avec la chromolithographie. Toute une industrie du jouet émergeait alors en Catalogne. Dans les jouets en fer-blanc, le principal concurrent, c'était Rico, qui ouvrit boutique en 1922. Santiago Rico était un ancien employé de Paya, passé à son compte et qui s'installa quasiment en face des Paya ! Pourtant, l'ambiance restait bon enfant entre les deux rivaux. Notez que Salvador Pascual, un autre ancien ouvrier de Paya, fonda Payva (PAscual y VAlls) avec son beau-frère Gaspar Valls - aucun lien avec Manuel -.
Paya ne cessait de grandir, passant à 100, puis 200 employés. Le fabricant se diversifiait tout azimut, avec notamment des trains.

Pendant ce temps, l'Espagne connaissait de graves convulsions politiques. Le pays se lança dans une conquête du nord marocain. Le 22 juillet 1921, à Anoual, les rebelles du Rif vainquirent les troupes espagnoles. Ce fut une déflagration sociale et politique dans toute l'Espagne. Le 13 septembre 1923, le général Miguel Primo de Rivera profita du flottement pour organiser un coup d'état. Le roi Alfonse XIII - par ailleurs grand amateur d'Hispano-Suiza - n'avait plus qu'un rôle symbolique. Mais le monarque était un intriguant. A la faveur d'un putsch raté et d'une économie en chute libre, il réussit à écarter Primo de Rivera, au profit du général Dàmaso Berenguer.
De 1930 à 1931, le "dictamou" prépara des élections. Alfonse XIII s'attendait à un plébiscite de la royauté. Mais les républicains l'emportèrent. L'Espagne devint une république et Niceto Alcalà-Zamora, son premier président. Centriste, il gouverna pendant cinq ans, à la tête d'une coalition précaire de radicaux, de socialistes, d'anarchistes et de communistes. Alfonse XIII reprit ses intrigues. Il commandita un premier coup d'état.
En juillet 1936, nouvelle tentative de coup d'état, qui entraina une guerre civile. Alcalà-Zamora étant à l'étranger, c'est son premier ministre, Manuel Azaña, qui devint président. En face, un général, jusqu'ici peu doué pour la politique, se lança aux côtés des putschistes. Puis il devint le chef des nationalistes. Son nom ? Francisco Franco. L'une de ses premières décisions fut d'écarter définitivement Alfonse XIII, pourtant initiateur de la révolte des nationalistes.

Les républicains se sont retranchés à l'est et au nord de l'Espagne. Ibi se retrouva donc en Espagne républicaine. Manuel Azaña fut vite débordé sur sa gauche, par les anarchistes, puis les communistes. Après une victoire à Madrid, ils préparaient déjà l'après-guerre. Au programme : confiscation des biens des riches (dont ceux d'Alcalà-Zamora) et nationalisation. Paya et Rico furent nationalisés et fusionnés. Les 500 ouvriers fabriquèrent désormais des cartouches et frappèrent de la monnaie.

Le 1er avril 1939, Franco avait officiellement gagné la guerre d'Espagne, grâce au soutien de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste. Le "caudillo" débuta une campagne de répression sanglante des sympathisants républicains.
Pendant ce temps, Pascual Paya récupérait son usine de jouet. La Catalogne n'était plus qu'un champ de ruines. La vieille presse à vapeur était réutilisée et faute de fer-blanc, Paya pressait d'anciennes boites de conserves. Le pouvoir franquiste remit la médaille du travail à Pascual Paya.

La doctrine franquiste était alors à l'autosuffisance. De toute façon, le pays était mis à l'index par les alliés, à l'issue de la seconde guerre mondiale. L'Espagne disposait de son propre écosystème. De quoi avantager des entreprises comme Paya, qui connu son âge d'or. En 1948, elle ouvrit une seconde usine à Alicante.
C'est à cette époque que fut dessinée cette Hispano-Suiza, avec son moteur à friction. Une Packard, équipée d'un moteur à friction traditionnel, fut commercialisée en 1952.

Pour autant, cette fabrication de jouets en fer-blanc, dans les années 50, c'est aussi un symptôme d'une Espagne industriellement en retard.
L'Espagne fut exclue du Plan Marshall. C'était un état chaotique, accueillant nombre d'anciens dignitaires fascistes et nazis, ainsi que des dictateurs déchus (y compris des dictateurs plutôt à gauche !) L'Espagne des années 20 et 30 n'avait été qu'une série de coups d'états, de révolutions de palais et autres intrigues. D'aucuns s'attendaient donc à ce que le peu charismatique Franco soit déposé. D'autant plus qu'avant 1936, il avait montré peu d'intérêt pour la politique. Mais l'autocrate savait s'appuyer sur l'armée, le clergé et le Movimiento Nacional, au gré de ses intérêts. Quitte à en utiliser deux pour mettre le troisième sous pression. Ainsi, il se maintint.

Jet-cast
Les fabricants Allemands, Britanniques ou Français de miniature ont abandonné le fer-blanc depuis les années 30. L'heure est au moulage par injection (le fameux "jet-cast" de Norev.) Plus de bulles d'air ; le mélange est injecté sous pression. Aussi, l'intervention humaine se limite à l'emballage. Donc, on peut faire davantage de volumes.

Deux écoles s'affrontent.
Le moulage en plastique est bon marché et léger. Mais les plastiques, trop fins, sont cassants. En plus, les carrosseries en plastiques, peintes dans la masse, se décolorent au soleil.
Son rival, c'est le zamak, un alliage de zinc conçu par les allemands. Il offre la solidité du métal, mais avec le poids du plastique. Par contre, les premières pièces en zamak vieillissent très mal, voire tombent en poussière.

Au milieu des années 50, Franco changea son fusil d'épaule. L'heure était à la libéralisation et à l'ouverture vers l'Europe du Nord.
Paya cassa sa tirelire et il s'offrit la première presse à injection d'Espagne. Sans doute rebuté par les défauts du zamak, il opta pour l'injection plastique. Un nouveau zamac, plus solide, était arrivé. Néanmoins, c'était trop tard pour Paya, qui avait déjà investi lourdement. Sa DS et sa Mercedes étaient télécommandées. En parallèle, il continuait de proposer des modèles en fer blanc (R12, R18...)
Une nouvelle génération de fabricants de jouets émergea à Ibi. En 1945, Ernesto Coloma quitta Paya pour fabriquer des jouets en fer-blanc, avec son beau-frère José Pastor. Sous l'enseigne Gozam (NDLA : pour une fois, ce n'est pas une contraction des noms des fondateurs !) Francisco Guillèn produisit d'abord des gadgets en plastique. Deux anciens camarades de Paya, Serralta et Ramòn Valero le rejoignirent pour former Guisval (GUIllèn, Serralta, VALero.) Guisval fut un pionnier Espagnol du "three inch"  en zamak. Francisco Mira et José Antonio Mira - aucun lien de parenté - voulurent faire du 1/40e en zamak, sur le modèle de Corgi. Le problème universel des fabricants de jouets, c'était l'extrême saisonnalité du marché : tout se jouait à noël. En Espagne, le ménage moyen avait trois enfants. Alors, à noël, ils avaient droit chacun à UN jouet et c'était fini jusqu'à l'année suivante. Guisval et Mira voulaient créer un achat d'impulsion. Des miniatures pour quelques pesetas, que l'on offrait aux enfants pour une bonne note, une victoire au tournois de foot, etc.
Toutes ces entreprises étaient basées à Ibi. Gozam passa au plastique. Alors que Payva resta fidèle au fer-blanc, ce qui fut fatal pour l'entreprise.

La fin de règne de Franco devint interminable. A la fin des années 60, il devint le plus vieux chef d'état Européen en exercice. Les caricatures de l'époque le représentaient utilisant un lit comme cercueil, avec un calot de soldat nationaliste sur laquelle une araignée pend (pour dire qu'il avait une araignée au plafond...) Il ne s'agissait plus d'attendre qu'il soit déposé, mais d'attendre sa mort. En 1969, Franco désigna Juan Carlos comme successeur. En 1973, le dictateur lâcha les rennes du parlement, au profit de Luis Carrero... Qui fut assassiné par ETA peu après. C'était alors une époque de "pré-post-franquisme".

La société Espagnole commençait à évoluer. Dans les jouets, Mira fut le grand gagnant. Il sut notamment s'inviter dans les rayons des premiers supermarchés ibérique. Carlos Payà quitta l'entreprise familiale pour renforcer Mira. Il emporta avec lui son capital et son réseau.
Avec ses gros jouets en plastiques ou en fer blanc, Paya faisait figure d'entreprise ringarde. En 1975, Franco passa enfin l'arme à gauche. Le désormais roi Juan Carlos trahit sa promesse de poursuivre le franquisme pour transformer le pays en démocratie. Socialement, le mouvement entamé au crépuscule de Franco s'amplifia. Un mouvement des classe moyennes madrilène déferla sur tout le pays, la Movida. Dans ce contexte, Paya se retrouvait associé au franquisme, à ce passé que l'on cherchait désormais à expurger.

Acculé, Paya se traina jusqu'en 1984, avant de déposer le bilan. L'usine d'Ibi est désormais un musée du jouet. Celle d'Alicante est un musée de la biodiversité.


Dès 1985, on commença à voir apparaitre des reproductions de jouets Paya - notamment l'Hispano-Suiza -. L'estampage métallique, c'est un processus très simple, vu d'aujourd'hui. Pas besoin d'outillage complexe. Sur Alibaba, on peut trouver quantité d'entreprises chinoises proposant des jouets en fer-blanc.

Altaya commercialisa une série de répliques de jouets Paya (sans boite.) Et aujourd'hui, il existe carrément des jouets en boite. Comptez une quinzaine d'euros pour une réplique d'Altaya, le double pour un jouet Paya actuel et... Trois cents euros pour un jouet authentique.
Le jeu en vaut largement la chandelle pour les margoulins. La seule indication, c'est qu'Hispano-Suiza a râlé. Sur la boite des jouets actuels, il y a donc simplement marqué "cabriolet".

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