Rétromobile 2022 : 6. Matra-Simca MS120 ex-Jean-Pierre Beltoise
Il y a un lien avec le post précédent ! D’après la légende, Jean-Pierre Beltoise a fait ses premières armes avec la 203 camionnette de la boucherie paternelle, surnommée « la Lotus ».
L’histoire de « Bebel » mériterait bien un biopic.
Chez les Beltoise, on est boucher de père en fils. Georges, le grand-père, fut président du syndicat
Parisien des bouchers. Pierre, le père, tint une incontournable boucherie parisienne. Michel, son frère, devint le traiteur des stars. Mais Jean-Pierre
préférait regarder les courses de motos, à Montlhéry. Puis il y a eu le service militaire en Algérie. A son retour, il se lança en motos, courant de front en 125cm3, 250cm3 et 500cm3, décrochant onze titres de champion de France en quatre saisons ! Passage sur quatre roues avec René Bonnet. L’accident à
Reims, en 1964, qui lui laissa un bras bloqué. Matra reprit René Bonnet et en 1965, il gagna l’épreuve de F3 de Reims, face au gratin Européen ; un
succès impensable tant le sport auto Français était en retard… Jean-Pierre Beltoise suivit Matra en F2 (titre), puis en F1, avec Henri Pescarolo et Johnny
Servoz-Gavin. Il ouvrit même un garage Matra à Montlhéry et disputa plusieurs rallye en 530 avec Stéphane Collaro comme copilote ! Un troisième mousquetaire débarquait : Jackie Stewart. Il suivit l’Ecossais chez Tyrrell, l’écurie B de Matra en F1. Eliane, sa femme, se tua au volant. En seconde noce, il épousa Jacqueline Cevert, dont le frère François alla lui
aussi en F1… Jean-Pierre Beltoise n’imposa la Matra qu’hors-championnat ; il assista en spectateur au titre 1969 de Jacky Stewart. Lors des 1000km de
Buenos Aires 1971, Ignazio Giunti ne put éviter le proto Matra que Jean-Pierre Beltoise tentait vainement de pousser et il se tua sur le coup ; accusé de négligence, le Français fut un temps banni. Lorsque Tyrrell et Matra divorcèrent, Jean-Pierre Beltoise choisit Matra. En proto, il faisait équipe
avec son beau-frère. Tandis qu’Henri Pescarolo remportait deux 24 heures du Mans, le tandem Beltoise-Cevert avait une réputation de brise-fer. C’est au
volant d’une BRM, qu’il remporta un Grand Prix de Monaco 1972 sous la pluie. Hélas, BRM n’était plus qu’une ombre. Ce fut une série de déconvenues : la mise à l’écart de Matra, l’accident mortel de François Cevert et ce vrai-faux « volant » pour la Ligier F1. A l’instar d’Henri Pescarolo, il a sans
doute été trop « gentil » pour percer davantage dans la catégorie-reine.
Ensuite, Jean-Pierre Beltoise fut un retraité très actif . Il fut la cheville-ouvrière de la « Superproduction », il remporta le championnat de France de rallycross 1980 avec l’Alpine A310 Polytecnic et il fut le pilote de
développement de la MVS Venturi. On le vit ensuite en héraut de la sécurité routière, créant une école de conduite dédiée, Conduire Juste. Il fit
construire un circuit à Trappes, sur une friche industrielle. Radars, permis à point, alcool au volant… Dans les années 90, sur les plateaux de TV, c’était un invité incontournable. Pilier du Trophée Andros et des 24 heures du Mans, il s’engueula avec un commissaire de piste, pour avoir fait entrer un enfant
handicapé sans accréditation et Jean-Pierre Beltoise d’annoncer sur-le-champ sa retraite sportive. Il suivit de loin la progression de ses fils Anthony (allé jusqu’en F3000 sans rien gagner) et Julien (quelques succès en FR, puis plus rien), car il n’était pas du genre à offrir des passe-droits ! Il participa encore à la création du circuit de Haute Saintonge.
Une destin unique. Tout juste peut-on lui reprocher un goût douteux en matière de lunettes de soleil.
1970 fut donc une année charnière pour Matra. Ken Tyrrell ne croyait pas au V12 Matra. Ses F1 possédait un V8 Ford et c'est grâce à lui que Jackie Stewart remporta le titre 1969.
Matra fit pression pour qu'en 1970, Tyrrell emploi un V12 Matra. C'était ça ou il était privé de châssis Matra... Alors "Oncle Ken" préféra acheter une March pour Stewart et Johnny Servoz-Gavin ! Sachant que fin 1969, la 701 n'existait que sur papier...
Jean-Pierre Beltoise fut donc rapatrié chez Matra, où il fit équipe avec Henri Pescarolo. Jean-Pierre Beltoise décrocha deux podiums, Henri Pescarolo, un seul. Il fut remplacé pour 1971 par Chris Amon.
1970 fut une drôle de saison. La March trouva vite ses limites et l'équipe choisit de préparer la 711 de 1971. Jackie Stewart fut donc incapable de défendre son titre.
A la place, on vit la Lotus de Jochen Rindt face à la Ferrari de Jacky Ickx. Deux pilotes qui virent défiler les équipiers au cours de la saison. La Lotus était belle et rapide, mais fragile. Jochen Rindt savait qu'il jouait avec le feu. Il jura à sa mannequin de femme, Nina, qu'il raccrocherait le volant en fin de saison. L'Autrichien parti en tonneau aux essais de Monza et s'étrangla avec la ceinture. Jacky Ickx était mal à l'aise à l'idée de gagner le titre face à un fantôme. Pour remplacer le défunt, Colin Chapman embaucha un Emerson Fittipaldi complètement novice. Le Brésilien s'imposa aux Etats-Unis (des images utilisées dans le clip Supreme de Robin Williams), empêchant mathématiquement Jacky Ickx d'être sacré. Jochen Rindt fut champion à titre posthume ; Le Belge en était presque soulagé.
La "fée aux dents vertes", chère au TTCB, rôdait beaucoup en 1970. Piers Courage, un temps équipier de Jean-Pierre Beltoise en endurance, se tua à Zandvoort. Bruce McLaren se tua en testant une CanAm. Jo Bonnier, Ignazio Giunti, Pedro Rodriguez et Jo Siffert, allaient décéder l'année suivante.
On comprend pourquoi, face à un telle hécatombe, des pilotes comme Chris Amon étaient content d'avoir quitté la F1 sur leurs deux jambes, même s'ils n'ont rien gagné...
Quelques anecdotes, pour détendre l'atmosphère. A l'issue de la saison, Jack Brabham raccrocha le casque. Il confia son équipe à Bernie Ecclestone, le manager de Jochen Rindt. Ron Dennis, qui avait géré Brabham durant quelques Grand Prix de 1969, fonda Rondel, une équipe de F2. Sachez aussi que Jochen Rindt trainait avec sa bande de potes de Graz. A savoir Helmut Marko (avec lequel ils "empruntaient" des Coccinelle pour des courses endiablées...), ainsi qu'un jeune étudiant en commerce, Dietrich Mateschitz...
Au début des années 1970, on était pilote de F1 presque par accident. Il fallait convaincre un Ken Tyrrell, un Colin Chapman, un Enzo Ferrari ou un Jean-Luc Lagardère de vous donner une chance. Grâce aux sponsors, la barrière financière avait presque disparu.
Beaucoup avaient le sentiment d'avoir été très chanceux ; que rien ne le prédestinaient à aller aussi haut. A commencer par Jean-Pierre Beltoise et Henri Pescarolo. Ils pensaient donc avoir beaucoup de comptes à rendre : au public, aux sponsors, à leurs écuries... Jean-Pierre Beltoise prit Jean-Pierre Jarier sous son aile. Tandis que dans les années 90, Henri Pescarolo prit en charge la filière Elf et ensuite, son équipe mit le pied à l'étrier à des jeunes...
Cela leur donnait des droits, aussi. Ils ont mal digéré leur renvoi de Matra. Jean-Luc Lagardère était un industriel, pas un sentimental. Si un pilote n'était pas au niveau, il le licenciait. Tant pis si c'était un "historique". Bien des années plus tard, Jean-Pierre Beltoise prit à parti son ex-patron sur un plateau de France 5.
Avant Matra, le sport auto Français ne comptait plus que des gentlemen-drivers grisonnants. Maurice Trintignant décrocha son dernier podium en F1 en 1959. Neuf ans plus tard, Jean-Pierre Beltoise grimpait sur l'estrade, pour la première fois. A l'échelle de la F1, c'était une éternité. Ensuite, les spectateurs avaient intégré qu'un Français pouvait jouer la gagne. Au milieu des années 70, Jean-Pierre Jarier, Jacques Laffite, puis Jean-Pierre Jabouille, Patrick Depailler, Didier Pironi, René Arnoux et Patrick Tambay débarquèrent. Des pilotes plus jeunes, plus ambitieux, plus photogéniques... "JPB" et "Riton" devinrent des has been. Ligier et Renault triomphaient ; l'épopée Matra appartenait à un passé déjà lointain. De quoi les rendre un temps aigris.
C'est sûr qu'à côté de tels géants, sur et en dehors de la piste, les pilotes actuels semblent immatures et cyniques.
Revient, Jean-Pierre, tu nous manques...
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