Opération Dragon, un raid Citroën en Chine
Mon vœux de ne plus parler de Citroën (parce que je saturais face aux commémorations du centenaire de la marque) a fait long feu...
Je n'ai pas pu résister à ce livre retraçant l'Opération Dragon ! Ce raid AX à travers la Chine, en 1988, m'avait marqué, étant petit. Et malheureusement, on l'a oublié.
Opération Dragon a été écrit par Michelle Boivin, responsable de l'opération et illustré par Bernard Asset, célèbre photographe, qui couvrit l'opération.
Je m'attendais donc à un livre très corporate. Un jolie album-photo avec une hagiographie de l'AX. J'aurais été preneur ! Ne serait-ce que pour les slogans de l'époque... Ah, l'AX, voiture pleine de qualités !
Mais non, Michelle Boivin raconta l'aventure de l'intérieur. Cette collaboratrice de Jacques Wolgensinger s'est inspirée de sa méthode. Prendre des notes au fil de l'eau et en faire un livre, à la première personne du singulier. On découvre ainsi tout le cheminement. Principalement, toute la préparation de l'opération, du premier brainstorming jusqu'à l'arrivée du groupe à Hong-Kong...
Le tout accompagné de photos de portraits des négociateurs chinois, de photos des voyages de reconnaissance, de documents internes de Citroën, etc. La maquette est très moderne. Difficile de croire que c'est un livre de 1988 !
Un mot sur la gestion de projet. Je trouve que Michelle Boivin a été très moyenne.
Le péché originel, c'est que tout ou presque fut défini lors d'un brainstorming à Paris. Il avait défini le nombre de rondelles de concombres dans les paniers pique-nique avant même de passer le premier coup de téléphone ! Et bien sûr, personne n'avait jamais mis les pieds en Chine... Ensuite, il a fallu pousser les murs pour faire rentrer vaille que vaille le projet...
La seconde erreur, c'était de considérer les Chinois comme de simple exécutants. En se montrant condescendant, voire méprisant. La barrière linguistique et culturelle n'arrangeait rien... Les Chinois craignaient ces chiens de capitalistes néo-coloniaux et ils ont été servis ! Mais ils ont bien compris que les poches de Citroën étaient vastes... Et encore, à l'époque, les hauts-fonctionnaires avaient le goût de l'intérêt public. La firme aux chevrons servit de variable d'ajustement pour les budget du ministère de l'équipement... Il aurait été plus simple et moins couteux de distribuer des "sacs de riz"...
Après, bien sûr, c'est facile de jouer à l'inspecteur des travaux finis, 31 ans après. En 1988, les PC en tournaient aux 386. Ils étaient lents, complèxes et ils coutaient une fortune ! Le vulgus pecus de Citroën devait se contenter d'une machine de traitement de texte. Pas de smartphone, non plus. La moindre communication à l'international coutait un bras par minute.
Aujourd'hui, les outils modernes permettent beaucoup plus de flexibilité. A Munich, en pleine réunion, mon interlocutrice proposait une solution alternative. En deux, trois clics sur Google, j'ai obtenu un estimatif ! C'est tellement plus facile...
Le 14 juillet 1988, tout un petit monde s'envolait pour Hong-Kong. Cent-quarante Européens, de 18 à 30 ans, mais aussi des techniciens, des médecins, des journalistes et l'équipe d'encadrement... Les AX (parti par cargo du Havre bien avant) les attendaient à Shenzhen.
Puis ce fut la route, plein nord, vers Pékin. Trois semaines sur des départementales, qui devinrent des pistes. Le tout avec des policiers qui gardaient tout le monde à l’œil. A chaque ville, c'était l'émeute. Aucun occidental n'était passé par là depuis Robert Fortune !
Le ton de Michelle Boivin est très "Henri Grandsire" ! Tout n'était que problèmes à solutionner dans l'urgence.
La Chine Populaire s'est toujours méfiée des journalistes, des photographes et autres cameramen étrangers. Tellement peur qu'ils rapportent des "informations inexactes". En 1988, il y avait plein de "zones interdites". Pourquoi étaient-elles interdites, on ne sait pas trop ? En tout cas, le travail de Bernard Asset fut sérieusement bridé et ce n'était pas encore la mode de la photo volée.
D'où de rares photos. En même temps, ce qu'il capturait était tout aussi rare. Une Chine rurale, où il y avait davantage d'oies et de cochons sur les routes, que de voitures...
Les réformes se mettaient lentement en place... La troupe eu ainsi droit à une visite de l'usine de camions de Hanyang. Le chef d'équipe s'est bien gardé de dire que l'essentiel de la production était destiné à l'armée. Et surtout, que les camions étaient des Mitsubishi-Fuso sous licence. Car pour moderniser son outil industriel, la Chine s'était tournée vers son ennemi-intime Japonais. Et pour ne pas froisser les susceptibilités, les véhicules produits perdaient leurs logos d'origine. Aucune trace des trois diamants chez Hanyang...
Dans les années 90, l'usine fut jugée trop petite et trop archaïque pour subvenir aux besoins croissants. Par chance, elle eu droit à une reconversion comme carrossier industriel et elle existe toujours.
Un mot sur les participants.
Du temps des "Croisières", c'étaient de vrais aventuriers qui embarquaient sur les autochenilles.
Trois portrait-robots se distinguaient.
D'une part, les vieux romantiques. Des fils de bonne famille, ayant effectué des études, qui rêvaient de Surcouf ou du Capitaine Némo. Alors ils s'étaient engagés, souvent dans la marine, parce que c'était le meilleur moyen de voir du pays. Et alors que leurs temps devenaient grises, Citroën leur proposait de l'aventure, sans risquer de se faire trouer la peau (quoique...)
Il y avait aussi des accidents de l'histoire. Des jeunes gens éduqués a priori destinés à une vie pépère et confortable. Puis ils ont pataugé quatre ans dans les tranchés. Pas question de retourner dans leur usine ou leur laboratoire ensuite. Alors ils erraient.
La variante, c'était les Russes. Là encore, c'étaient des hommes issu de la bourgeoisie. En 1917, la révolution les chassa et ils furent contraints à une vie d'apatrides.
Se trainer sur des chemins pierreux, cerné de populations hostiles, à dormir -peu- sur des campements de fortune, c'était tellement mieux que d'être assis derrière un bureau !
Les jeunes des raids 2cv, c'était des idéaux. Des enfants des Trente Glorieuses qui se posaient des questions sur eux, sur les autres. Dans un monde de plus en plus matérialiste et individualiste, il fallait revenir à des valeurs simple, comme la camaraderie et l'entraide. Se perdre sur les pistes d'Afrique ou du Moyen-orient, pour se mettre au niveau de populations locales. Les comprendre et pouvoir ainsi prendre du recul.
C'était le temps de la quête de sens.
Les hommes et les femmes de l'Opération Dragon, eux, c'était la "bof génération". Les grandes idées et les beaux discours étaient derrière eux. Ils étaient davantage des touristes que des baroudeurs. L'aventure, oui, mais pendant les vacances scolaires. Et le soir, c'était bivouac à l'hôtel. Michelle Boivin s'excuse que parfois, faute de restaurant, ils aient du pique-niquer ! Pas question non plus de se salir les mains : les techniciens de Citroën étaient là pour les menues réparations.
Dans le lot, il y avait plusieurs sinologues. Denis Mazerolle, alors jeune chercheur en agronomie, a depuis épousé une Chinoise. Aujourd'hui, il fait pousser du thé bio. Non pas en Chine, mais dans le Morbihan !
Le 5 août, l'Opération Dragon arrivait à Pékin. Les participants se garèrent sur une place Tienanmen déserte, pour une photo-souvenir.
Total s'occupait de l'approvisionnement en carburant. La réputation de chameau des AX n'était pas volé : 25 000 litres pour 3250km et 140 voitures (sans compter celles des journalistes et de l'encadrement.) Soit 5,5l aux 100 km !
Les participants roulaient avec leurs propres voitures. Ils rembarquèrent à Tianjin. Les AX des journalistes et de l'encadrement étaient fournies par Citroën. Tout comme les C35 de l'équipe technique. Elles ont été laissées sur place, comme paiement en nature auprès des autorités. Ce qui signifie qu'il doit encore y avoir des AX et des C35 en train de rouiller sur je-ne-sais-quelle décharge à ciel ouvert.
Plus globalement, en 1987, Citroën se vantait d'avoir exporté jusque là 3 000 voitures en Chine. Sur un parc total de 700 000 voitures (VUL et VL), soit une projection de 200 000 VU en Chine, à cette date. La part de marché de la firme aux chevrons était énorme !
Je n'ai pas pu résister à ce livre retraçant l'Opération Dragon ! Ce raid AX à travers la Chine, en 1988, m'avait marqué, étant petit. Et malheureusement, on l'a oublié.
Opération Dragon a été écrit par Michelle Boivin, responsable de l'opération et illustré par Bernard Asset, célèbre photographe, qui couvrit l'opération.
Je m'attendais donc à un livre très corporate. Un jolie album-photo avec une hagiographie de l'AX. J'aurais été preneur ! Ne serait-ce que pour les slogans de l'époque... Ah, l'AX, voiture pleine de qualités !
Mais non, Michelle Boivin raconta l'aventure de l'intérieur. Cette collaboratrice de Jacques Wolgensinger s'est inspirée de sa méthode. Prendre des notes au fil de l'eau et en faire un livre, à la première personne du singulier. On découvre ainsi tout le cheminement. Principalement, toute la préparation de l'opération, du premier brainstorming jusqu'à l'arrivée du groupe à Hong-Kong...
Le tout accompagné de photos de portraits des négociateurs chinois, de photos des voyages de reconnaissance, de documents internes de Citroën, etc. La maquette est très moderne. Difficile de croire que c'est un livre de 1988 !
Un mot sur la gestion de projet. Je trouve que Michelle Boivin a été très moyenne.
Le péché originel, c'est que tout ou presque fut défini lors d'un brainstorming à Paris. Il avait défini le nombre de rondelles de concombres dans les paniers pique-nique avant même de passer le premier coup de téléphone ! Et bien sûr, personne n'avait jamais mis les pieds en Chine... Ensuite, il a fallu pousser les murs pour faire rentrer vaille que vaille le projet...
La seconde erreur, c'était de considérer les Chinois comme de simple exécutants. En se montrant condescendant, voire méprisant. La barrière linguistique et culturelle n'arrangeait rien... Les Chinois craignaient ces chiens de capitalistes néo-coloniaux et ils ont été servis ! Mais ils ont bien compris que les poches de Citroën étaient vastes... Et encore, à l'époque, les hauts-fonctionnaires avaient le goût de l'intérêt public. La firme aux chevrons servit de variable d'ajustement pour les budget du ministère de l'équipement... Il aurait été plus simple et moins couteux de distribuer des "sacs de riz"...
Après, bien sûr, c'est facile de jouer à l'inspecteur des travaux finis, 31 ans après. En 1988, les PC en tournaient aux 386. Ils étaient lents, complèxes et ils coutaient une fortune ! Le vulgus pecus de Citroën devait se contenter d'une machine de traitement de texte. Pas de smartphone, non plus. La moindre communication à l'international coutait un bras par minute.
Aujourd'hui, les outils modernes permettent beaucoup plus de flexibilité. A Munich, en pleine réunion, mon interlocutrice proposait une solution alternative. En deux, trois clics sur Google, j'ai obtenu un estimatif ! C'est tellement plus facile...
Le 14 juillet 1988, tout un petit monde s'envolait pour Hong-Kong. Cent-quarante Européens, de 18 à 30 ans, mais aussi des techniciens, des médecins, des journalistes et l'équipe d'encadrement... Les AX (parti par cargo du Havre bien avant) les attendaient à Shenzhen.
Puis ce fut la route, plein nord, vers Pékin. Trois semaines sur des départementales, qui devinrent des pistes. Le tout avec des policiers qui gardaient tout le monde à l’œil. A chaque ville, c'était l'émeute. Aucun occidental n'était passé par là depuis Robert Fortune !
Le ton de Michelle Boivin est très "Henri Grandsire" ! Tout n'était que problèmes à solutionner dans l'urgence.
La Chine Populaire s'est toujours méfiée des journalistes, des photographes et autres cameramen étrangers. Tellement peur qu'ils rapportent des "informations inexactes". En 1988, il y avait plein de "zones interdites". Pourquoi étaient-elles interdites, on ne sait pas trop ? En tout cas, le travail de Bernard Asset fut sérieusement bridé et ce n'était pas encore la mode de la photo volée.
D'où de rares photos. En même temps, ce qu'il capturait était tout aussi rare. Une Chine rurale, où il y avait davantage d'oies et de cochons sur les routes, que de voitures...
Les réformes se mettaient lentement en place... La troupe eu ainsi droit à une visite de l'usine de camions de Hanyang. Le chef d'équipe s'est bien gardé de dire que l'essentiel de la production était destiné à l'armée. Et surtout, que les camions étaient des Mitsubishi-Fuso sous licence. Car pour moderniser son outil industriel, la Chine s'était tournée vers son ennemi-intime Japonais. Et pour ne pas froisser les susceptibilités, les véhicules produits perdaient leurs logos d'origine. Aucune trace des trois diamants chez Hanyang...
Dans les années 90, l'usine fut jugée trop petite et trop archaïque pour subvenir aux besoins croissants. Par chance, elle eu droit à une reconversion comme carrossier industriel et elle existe toujours.
Un mot sur les participants.
Du temps des "Croisières", c'étaient de vrais aventuriers qui embarquaient sur les autochenilles.
Trois portrait-robots se distinguaient.
D'une part, les vieux romantiques. Des fils de bonne famille, ayant effectué des études, qui rêvaient de Surcouf ou du Capitaine Némo. Alors ils s'étaient engagés, souvent dans la marine, parce que c'était le meilleur moyen de voir du pays. Et alors que leurs temps devenaient grises, Citroën leur proposait de l'aventure, sans risquer de se faire trouer la peau (quoique...)
Il y avait aussi des accidents de l'histoire. Des jeunes gens éduqués a priori destinés à une vie pépère et confortable. Puis ils ont pataugé quatre ans dans les tranchés. Pas question de retourner dans leur usine ou leur laboratoire ensuite. Alors ils erraient.
La variante, c'était les Russes. Là encore, c'étaient des hommes issu de la bourgeoisie. En 1917, la révolution les chassa et ils furent contraints à une vie d'apatrides.
Se trainer sur des chemins pierreux, cerné de populations hostiles, à dormir -peu- sur des campements de fortune, c'était tellement mieux que d'être assis derrière un bureau !
Les jeunes des raids 2cv, c'était des idéaux. Des enfants des Trente Glorieuses qui se posaient des questions sur eux, sur les autres. Dans un monde de plus en plus matérialiste et individualiste, il fallait revenir à des valeurs simple, comme la camaraderie et l'entraide. Se perdre sur les pistes d'Afrique ou du Moyen-orient, pour se mettre au niveau de populations locales. Les comprendre et pouvoir ainsi prendre du recul.
C'était le temps de la quête de sens.
Les hommes et les femmes de l'Opération Dragon, eux, c'était la "bof génération". Les grandes idées et les beaux discours étaient derrière eux. Ils étaient davantage des touristes que des baroudeurs. L'aventure, oui, mais pendant les vacances scolaires. Et le soir, c'était bivouac à l'hôtel. Michelle Boivin s'excuse que parfois, faute de restaurant, ils aient du pique-niquer ! Pas question non plus de se salir les mains : les techniciens de Citroën étaient là pour les menues réparations.
Dans le lot, il y avait plusieurs sinologues. Denis Mazerolle, alors jeune chercheur en agronomie, a depuis épousé une Chinoise. Aujourd'hui, il fait pousser du thé bio. Non pas en Chine, mais dans le Morbihan !
Le 5 août, l'Opération Dragon arrivait à Pékin. Les participants se garèrent sur une place Tienanmen déserte, pour une photo-souvenir.
Total s'occupait de l'approvisionnement en carburant. La réputation de chameau des AX n'était pas volé : 25 000 litres pour 3250km et 140 voitures (sans compter celles des journalistes et de l'encadrement.) Soit 5,5l aux 100 km !
Les participants roulaient avec leurs propres voitures. Ils rembarquèrent à Tianjin. Les AX des journalistes et de l'encadrement étaient fournies par Citroën. Tout comme les C35 de l'équipe technique. Elles ont été laissées sur place, comme paiement en nature auprès des autorités. Ce qui signifie qu'il doit encore y avoir des AX et des C35 en train de rouiller sur je-ne-sais-quelle décharge à ciel ouvert.
Plus globalement, en 1987, Citroën se vantait d'avoir exporté jusque là 3 000 voitures en Chine. Sur un parc total de 700 000 voitures (VUL et VL), soit une projection de 200 000 VU en Chine, à cette date. La part de marché de la firme aux chevrons était énorme !
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