Essor de la motorisation
Pour changer un peu de l'ordinaire, voici un livre sur la Première Guerre Mondiale. 1914-1918, Essor de la motorisation, du cheval de guerre au cheval vapeur, par Jean-Claude Demory. aux éditions ETAI mérite le détour. C'est le genre de livre a priori barbant, mais que vous dévorez sans voir le temps passer.
La Première Guerre Mondiale est rarement évoquée.
Ce fut un conflit d'une intensité inédite. Il connu des bouleversements technologiques considérables. Des millions de civils furent pris à parti (sans compter ceux qui furent enrôlés.) La géopolitique fut chamboulée, avec l'implosion des empires Européens et un quasi-doublement du nombre de pays Européens entre 1914 et le traité de Versailles. Ce fut une guerre abondamment filmée et photographiée. Sans oubliez tous les artistes, écrivains, cinéastes, etc. présents, qui racontèrent ce qu'ils avaient vécu...
Sauf que derrière, il y a eu la Seconde Guerre Mondiale. On y retrouva les mêmes caractéristiques, mais puissance 10 !
Justement, la Deuxième Guerre Mondiale, c'est une histoire de barouds, de héros. A contrario, de la Première Guerre Mondiale, on garde l'image de poilus pataugeant dans les tranchés, pour des enjeux qui les dépassent...
Adieu cavalerie
En 1914, les principaux moyens de transport employés par les armés (de l'alliance comme de l'entente) sont le cheval et le train. En France, il y avait quatre-vingt neuf régiments à cheval. Le cheval servait alors pour le transport sur le dernier kilomètre, la reconnaissance, la transmission d'information... Et un rôle offensif. Les dragons fonçaient sur les soldats ennemis équipés de sabres, de pistolets et de lances. On est vraiment dans un combat au corps-à-corps !
Le livre rapporte également qu'en 1914, l'armée Française disposait de deux cent vingt véhicules motorisés, dont quatre-vingt onze camions.
Dès le début du XXe siècle, les armées s'intéressèrent à l'automobile. Des essais furent menés. Mais d'une part, les voitures furent longtemps chères, peu fiable et lentes. Et l'erreur des armées, fut de vouloir utiliser les voitures sur les missions occupés par les chevaux. Au lieu de partir des possibilités de l'automobile et réfléchir à quels rôles lui donner dans l'armée.
Les taxis de la Marne
Au lycée, on vous apprend qu'en septembre 1914, l'armée Allemande a débordé les troupes françaises et elle fonçait sur Paris. Faute de camions pour transporter les troupes, l'armée réquisitionna les taxis et grâce à une série de rotations, toutes les troupes purent être placées à Château-Thierry.
Avant même d'ouvrir un livre, j'avais de gros doutes sur cette version. Eu égard à la distance entre Paris et Château-Thierry, à l'état des routes, au nombre de taxis parisiens, en 1914 et au nombre de soldats à transporter...
Jean-Claude Demory décortique cet épisode. En fait, la plupart des troupes furent déplacées en train. Seules le 103e et le 104e régiments montèrent à bord des taxis. Soit un millier d'hommes.
Les Renault "deux pattes" furent réquisitionnés par les agents de police, avec leurs chauffeurs et furent massés l'esplanade des Invalides (l'actuel site de l'ePrix de Paris.) Ils partirent à vide, à Sevran, où ils attendirent les deux régiments... Qui étaient à Gagny. Le 103e fut conduit à Nanteuil et le 104e, à Silly-le-long, au plus près des troupes Allemandes. Le tout, avec pas mal de cafouillages.
Par la suite, des taxis furent réquisitionnés pour des transports ponctuels.
Motorisation, mobilisation, réquisition
En 1914, le parc automobile Français se composait de quatre vingt mille voitures. A titre de comparaison, en 2021, il se vend chaque mois environ cent-cinquante mille voitures, en France.
Non, l'armée Française n'a pas gagné la bataille de la Marne grâce aux taxis. Néanmoins, cet épisode prouva que la voiture offrait de la vitesse et de la flexibilité. Très importante dans les premiers mois du conflit, face à des troupes Allemandes très mobiles.
A l'automne 1914, on réquisitionne en masse. Le millier d'autobus Parisiens est reconverti en ambulance... Et pour le transport de la viande destinées aux troupes !
L'armée achète également ce qu'elle trouve. Elle rachète ainsi un millier de voitures d'occasion, cash. Il joua davantage les épavistes que les centrales d'achats. Et le fort de Vincennes de se changer en casse automobile...
Il faut noter qu'en 1914, les armées veulent un maximum de soldats. Tout homme valide doit aller au front ! Les chauffeurs sont donc soit trop vieux, soit inaptes au service. Georges Grus, qui avait disputé le funeste Paris-Madrid 1904 ou le joailler Louis Boucheron, furent ainsi chauffeurs. Les premiers blessés de guerre servirent également de chauffeur.
Sur la voie sacrée, le moteur sauve la France
Le 21 février 1916, les Allemands prennent d’assaut les positions Françaises à Verdun. Les combats durèrent près d'un an.
En 1992, François Mitterrand avait déposé une dernière fois une gerbe au maréchal Pétain, le 11 novembre. Jurant qu'il rendait hommage "au vainqueur de Verdun". Ce fut l'occasion d'évoquer cette bataille et j'avais l'impression que Verdun était au bord du Rhin. Puis, je parti en Allemagne, en voyage scolaire. Par l'A4, aujourd'hui, vous êtes vite à Marne-la-Vallée. Ensuite, après le péage, c'est déjà Reims. Et à la sortie de Reims, vous voilà à Verdun. Un an et demi après le début de la guerre, le front n'était qu'à deux heures de route de chez moi !
En février 1916, Verdun était presque encerclée. Il ne restait plus qu'une départementale, vers Bar-Le-Duc. L'armée choisit d'envoyer un maximum de troupes et de matériel. L'unique voie ferrée étant trop petite, la route fut mise à contribution.
En 1916, l'armée disposait de trois mille neuf camions (à comparer aux quatre-vingt-onze de 1914.) Berliet et Renault furent mis à contribution et ainsi, il y eu jusqu'à trois mille cinq cents camions à Verdun. Trois mille cinq cents qui parcourent en permanence la trentaine de kilomètres de la "voie sacrée". Dommage que l'auteur n'évoque pas le défi industriel que fut la production de ces camions. On l'a vu, l'armée considérait les chauffeurs comme inutiles. Les camions avaient des cabines ouvertes. Les plus chanceux avaient une "peau de bique". Et ils dormaient à peine quelques heures par nuit.
Verdun, c'était aussi le triomphe du transport routier.
Auparavant, on comptait sur le rail. Or, les locomotives à vapeur mettent plusieurs heures à chauffer. Le train a besoin de voies. A Verdun, en amont de la bataille, les Allemands passèrent des mois à construire à des dizaines de voies ferrées vers le front. Et bientôt, avec l'avion, les voies, gares de tri et autres aiguillages furent autant d'éléments vulnérables.
Le Berliet CBA n'atteignait que 25km/h en pointe, mais il se contentait d'une simple route. Un plein, un coup de pied dans les pneus et c'est parti ! Berliet fit passer le PTAC du CBA de 4t à 5t, en 1918. La Première Guerre Mondiale vit la création des premiers quais de déchargements et des premiers chariots élévateur (qui ne furent motorisés que dans les années 20.)
Le combat avec le rail dura ensuite trois décennies. Dans les années 50, la SNCF rechigna à électrifier son important réseau ferroviaire. Le camion, lui, profita de la construction d'autoroutes. Le GLR fut le symbole du camion comme transporteur incontournable.
L'auteur revient sur une impasse : le croiseur terrestre. La genèse du char Schneider est assez palpitante. Le concept, c'était un véhicule très lourd, lourdement armé, quasi-invincible, qui roulait sur les tranchés. Un concept qu'on retrouva sur le Saint-Chamond (un contre-projet du Schneider), puis le FCM 2C de la Seconde Guerre Mondiale.
En septembre 1916, les Britanniques avait déjà tenté une offensive avec des chars. A défaut de posséder des chars, les Allemands identifièrent leur point faible : la lenteur.
Le 16 avril 1917, le char Schneider entrait en action, en Picardie. Le chef d'escadron Louis Bossut, qui a participé à sa mise au point, a exigé un exemplaire supplémentaire, afin de lui-même prendre part à la bataille. On est loin des officiers planqués des BD de Jacques Tardi ! Le chars Schneider forcèrent les tranchés ennemis. Mais les Allemands avaient anticipé l'endroit de l'offensive. Les chars furent décimés par l'artillerie et Bossut figura parmi les victimes.
1918 : les chars Renault gagnent la guerre
Alors que l'état-major ne jurait que par son croiseur terrestre, Louis Renault développait un char léger. Avec 12km/h en pointe, il était beaucoup plus mobile que les Schneider et Saint-Chamond. Près dès 1916, son acceptation par les autorités et sa mise en production fut laborieuse.
Louis Renault inventa tout de même le premier consortium industriel moderne, avec une réflexion autour de la gestion de la sous-traitance.
Le FT 17 (Faible Tonnage [19]17) n'arriva que tard dans la guerre. Profitant de l'armistice Russe (leur faisant signer un traité de Brest-Litovsk plus sévère que celui de Versailles...), les Allemands percèrent les lignes. Mais les unités étaient trop dispersées. Les alliés (renforcés par les Américains) surent prendre les troupes à revers. L'Allemagne était en pleine implosion. A l'arrière, il y avait une famine. Au front, les mutineries étaient fréquentes. Isolé, le kaiser abdiqua et l'Allemagne se rendit.
Le FT 17 accéléra la chute de l'armée Allemande. Mais il était surtout un symbole de la révolution copernicienne de l'armée Française. Au-delà de l'équipement, c'était la manière de faire la guerre qui avait changé. Avec le passage d'un dispositif lourd et statique, vers un ensemble modulaire et mobile...
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