Lonesome tears
Les Renault Avantime ont tendance à être chéris par leurs propriétaires. C'est déjà devenu une "youngtimer". De plus, avec son côté "vilain petit canard", elle possède d'autant plus d'aura.
Pourtant, cet exemplaire est ventousé. En prime, le propriétaire y stocke ses encombrants. Un triste destin pour un haut de gamme...
Les fans-boys de Matra tressent des louanges de l'Avantime. Une voiture incomprise, en avance sur son temps, etc. En fait, c'était une voie sans issue.
En 1984, Matra Automobile débute la production du Renault Espace. En conséquence, les Murena et Rancho disparaissent ; c'est la fin de Matra en tant que constructeur indépendant. Pourtant, en parallèle d'un Espace badgé Renault, la marque produisit une série de prototypes futuristes. La S80 (?) ouvrit la voie. Dès 1986, avec la P29 (qui fut largement sous-traitée), Matra exposait son savoir-faire de prototypiste. Avec la Zoom (1992), Matra faisait savoir qu'il n'était pas que le sous-traitant de Renault...
Si en terme de volant d'activité, Matra avait pris son autonomie, côté chiffre d'affaires, en revanche, l'Espace restait l'Alpha et l'Omega de la marque. L'Espace 3 fut décliné à toutes les sauces : Grand Espace, Espace F1 à moteur V10, Espace Roadster (avec Sbarro.) De mémoire, il y eu un Espace GNV produit chez Proton, avec Philippe Gurdjian (alors promoteur du Grand Prix de Malaisie) dans le rôle d'apporteur d'affaires.
Les gros monospaces sont à leur apogée. L'usine Matra de Romorantin est saturée (d'où le projet avec Proton.) En plus, Renault voudrait un Espace tout acier. Ainsi, il fut décidé de le produire à Sandouville. A la firme au losange, Louis Schweitzer rêve de montée en gamme. Le projet Initiale fit long-feu. Matra proposa un gros coupé. Ainsi, avec l'Espace et le futur haut de gamme, Renault possèderait une large offre dans le haut de gamme.
La règle c'est que lorsqu'une voiture ne sait pas ce qu'elle est, les clients ne répondront pas à sa place... Matra, c'est depuis 1984, des monospaces. Philippe Guédon voulu un coupé monospace. Une voiture-plaisir pour des couples avec de grands enfants. D'où ce "coupespace". Ce n'est ni un monospace, ni un coupé. L'aspect massif, voir pataud d'un monospace, avec le côté exclusif (dans le sens "exclure") d'un coupé...
Lorsque l'Espace 1 apparu, c'était le premier monospace du marché, mais il y avait un vrai bruit, avec une demande qui s'était exprimée dans les vans et les premiers 4x4. A contrario, l'Avantime ne préfigure rien. Elle est le premier et le dernier coupé monocorps. En 2000, il existe effectivement une demande en cours d'expression... Mais elle concerne les SUV. Or, ni Matra, ni Renault, ne tentèrent de vendre l'Avantime comme un SUV.
Le second handicap, ce fut la conception. Pour éviter d'avoir des portes qui s'ouvrent trop largement, l'Avantime dispose de portes à double-cinématique. Un rêve de designer, mais un cauchemar d'ingénieur industriel. Le développement s'éternise.
En prime, Renault brouille les pistes. Au Mondial de Paris 1998, il dévoile le concept-car Vel Satis. Afin de tester le nom, la future grande berline est devenue une 2-portes. Quelques mois plus tard, au salon de Genève 1999, l'Avantime fait enfin ses débuts. Pour le grand public, Avantime et Vel Satis ne sont qu'une seule et même voiture. L'Avantime sort enfin en septembre 2001, juste avant la présentation de la Vel Satis et de l'Espace 4. D'ailleurs, tout en tapant ce texte, j'ai plusieurs fois écrit "Vel Satis"...
Au début, il n'est disponible qu'en V6 et il est facturé 38 850€ (le prix d'une 330Ci coupé.) Pour le millésime 2003, un 2,0l turbo 165ch et un 2,2l dCi 150ch complètent l'offre. Mais même à 29 150€, le compte n'y est pas. A cause de sa carrosserie en fibre de verre (une lubie de Matra), la qualité perçue est déplorable (ici, la porte passager est "fermée".) Et on était à l'heure où les Allemands imposaient les panneaux de carrosserie ajustées au nanomètre...
Même la publicité est bizarre ! On voit Jean-Paul Gaultier dessiner une robe, la robe prendre forme, sur un patron, puis une mannequin androgyne défile avec. La mannequin sort dans la rue et elle a une espèce de rictus (censé figurer l'émerveillement) face à une Avantime. Puis on remonte en arrière, sur la conception du coupespace : Renault est un "Créateur d'automobile", au même titre que Jean-Paul Gaultier est un créateur de mode. Sauf que l'Avantime fut conçue chez Matra, non ? En prime, Jean-Luc Godard s'est moqué de la pub lors d'une conférence de presse du Festival de Cannes (dont Renault est le fournisseur officiel.)
Tout semblait écrit. Juste avant salon de Genève 2003, Jean-Luc Lagardère annonce l'arrêt de Matra Automobiles ! Renault, qui est mis au courant à la dernière, crie à la trahison. Lagardère meurt quelques jours plus tard, alors que le salon de Genève, dernier salon de l'Avantime, ferme ses portes. Il n'y aura pas de millésime 2004. Philippe Guédon est muté au comité de direction de Matra. Le bureau d'étude est revendu à Pininfarina. Apparemment, les Italiens se rendent en Chine avec des prototypes de la M72, puis de la Bluecar sous le bras. D'où l'apparition de clones durant les années suivantes...
Matra est une entreprise typique de l'Europe des années 60, 70 et 80. Elle connait une croissance et une diversification par opportunité. Matra signifie "Mécanique Aviation TRAction". En tant que fabricant de lance-roquettes, il devient missilier. Les premières fusées étant des missiles, Matra est au cœur du programme spatial Français, puis Européen (avec également des satellites.) Jean-Luc Lagardère poursuit cette diversification. René Bonnet loue une usine à Matra. Lorsqu'il a des difficultés, Matra rachète son entreprise, qui devient Matra Automobiles. Désormais, l'entreprise possède des compétences en production en moyenne série. Elle récupère une partie de l'appel d'offre dans le métro de Lille. En parallèle, Lagardère rachète la radio Europe 1, profitant d'une privatisation. Hachette suit en 1980. Puis c'est la radiotéléphonie, avec le réseau de portables Radiocom 2000, la branche portable d'AEG. En s'associant à Tandy, Matra tente de produire des ordinateurs, puis il est candidat à la production du Minitel. En parallèle, pour le pôle média, Lagardère tente de posséder un club de football, le Matra Racing et il est brièvement propriétaire de La Cinq. Enfin, à la fin des années 90, il tente de prendre le virage du web avec Nortel (réseau) et le FAI Club Internet.
Vers 1998, Matra est un agglomérat de sociétés très disparates. On dit d'ailleurs qu'une partie de ces diversifications sont mues par une volonté farouche de contrer Alcatel, l'ennemi-juré.
Le contexte des années 60, 70 et 80, ce sont des marchés nationaux encore protégés et des évolution technologiques rapides. Des besoins apparaissent, notamment dans l'informatique, l'électronique grand public et les médias. Des entreprises se disent qu'elles disposent d'une partie du savoir-faire, alors elles se lancent dedans. Accessoirement, ce sont des ETI souvent venus de l'armement ou de l'industrie lourde, les programmes connaissent des montagnes russes et il leur faut une activité parallèle, afin de lisser la croissance. D'où Matra, mais aussi Sagem, Thomson ou Schlumberger en France, Phillips aux Pays-Bas, Ericsson en Suède, Nokia en Finlande et Bosch, Daimler-Benz, Mannesman et Siemens en Allemagne.
Mais à l'arrivée, comme Matra, ce ne sont qu'une collection d'ETI. Dans les années 90, les barrières disparaissent. Ces entreprises "expertes en tout" se retrouvent face à des spécialistes d'un secteur. Notamment dans la téléphonie, alors en plein boum. Jean-Luc Lagardère s'est surtout entouré de yesmen, comme Philippe Guédon, incapables de faire face aux tempêtes. Accessoirement, c'est aussi le temps du grand ménage, dans l'industrie et nombre de groupes sont mouillés dans des affaires de corruption. Pas Matra, qui doit néanmoins payer cash sa proximité avec la Chiraquie. Alors toutes ces entreprises, très nationales, vont alors vendre, fermer, restructurer, scinder...
Le pôle militaire de Matra est accolé à Aerospatiale. Les métros sont vendus à Siemens. Arnaud Lagardère, qui succède à son père, veut se recentrer sur les médias. En 2003, le nom "Matra", trop connoté, est remplacé par "Lagardère Interactive".
Jean-Luc Lagardère était un autocrate, mais un autocrate visionnaire. Arnaud Lagardère, lui, a toujours un tempo de retard. Comme son rachat de Virgin Megastore et sa création d'une chaine de magasins dédiée aux livres et aux CD, en plein essor du commerce électronique...
Pourtant, cet exemplaire est ventousé. En prime, le propriétaire y stocke ses encombrants. Un triste destin pour un haut de gamme...
Les fans-boys de Matra tressent des louanges de l'Avantime. Une voiture incomprise, en avance sur son temps, etc. En fait, c'était une voie sans issue.
En 1984, Matra Automobile débute la production du Renault Espace. En conséquence, les Murena et Rancho disparaissent ; c'est la fin de Matra en tant que constructeur indépendant. Pourtant, en parallèle d'un Espace badgé Renault, la marque produisit une série de prototypes futuristes. La S80 (?) ouvrit la voie. Dès 1986, avec la P29 (qui fut largement sous-traitée), Matra exposait son savoir-faire de prototypiste. Avec la Zoom (1992), Matra faisait savoir qu'il n'était pas que le sous-traitant de Renault...
Si en terme de volant d'activité, Matra avait pris son autonomie, côté chiffre d'affaires, en revanche, l'Espace restait l'Alpha et l'Omega de la marque. L'Espace 3 fut décliné à toutes les sauces : Grand Espace, Espace F1 à moteur V10, Espace Roadster (avec Sbarro.) De mémoire, il y eu un Espace GNV produit chez Proton, avec Philippe Gurdjian (alors promoteur du Grand Prix de Malaisie) dans le rôle d'apporteur d'affaires.
Les gros monospaces sont à leur apogée. L'usine Matra de Romorantin est saturée (d'où le projet avec Proton.) En plus, Renault voudrait un Espace tout acier. Ainsi, il fut décidé de le produire à Sandouville. A la firme au losange, Louis Schweitzer rêve de montée en gamme. Le projet Initiale fit long-feu. Matra proposa un gros coupé. Ainsi, avec l'Espace et le futur haut de gamme, Renault possèderait une large offre dans le haut de gamme.
La règle c'est que lorsqu'une voiture ne sait pas ce qu'elle est, les clients ne répondront pas à sa place... Matra, c'est depuis 1984, des monospaces. Philippe Guédon voulu un coupé monospace. Une voiture-plaisir pour des couples avec de grands enfants. D'où ce "coupespace". Ce n'est ni un monospace, ni un coupé. L'aspect massif, voir pataud d'un monospace, avec le côté exclusif (dans le sens "exclure") d'un coupé...
Lorsque l'Espace 1 apparu, c'était le premier monospace du marché, mais il y avait un vrai bruit, avec une demande qui s'était exprimée dans les vans et les premiers 4x4. A contrario, l'Avantime ne préfigure rien. Elle est le premier et le dernier coupé monocorps. En 2000, il existe effectivement une demande en cours d'expression... Mais elle concerne les SUV. Or, ni Matra, ni Renault, ne tentèrent de vendre l'Avantime comme un SUV.
Le second handicap, ce fut la conception. Pour éviter d'avoir des portes qui s'ouvrent trop largement, l'Avantime dispose de portes à double-cinématique. Un rêve de designer, mais un cauchemar d'ingénieur industriel. Le développement s'éternise.
En prime, Renault brouille les pistes. Au Mondial de Paris 1998, il dévoile le concept-car Vel Satis. Afin de tester le nom, la future grande berline est devenue une 2-portes. Quelques mois plus tard, au salon de Genève 1999, l'Avantime fait enfin ses débuts. Pour le grand public, Avantime et Vel Satis ne sont qu'une seule et même voiture. L'Avantime sort enfin en septembre 2001, juste avant la présentation de la Vel Satis et de l'Espace 4. D'ailleurs, tout en tapant ce texte, j'ai plusieurs fois écrit "Vel Satis"...
Au début, il n'est disponible qu'en V6 et il est facturé 38 850€ (le prix d'une 330Ci coupé.) Pour le millésime 2003, un 2,0l turbo 165ch et un 2,2l dCi 150ch complètent l'offre. Mais même à 29 150€, le compte n'y est pas. A cause de sa carrosserie en fibre de verre (une lubie de Matra), la qualité perçue est déplorable (ici, la porte passager est "fermée".) Et on était à l'heure où les Allemands imposaient les panneaux de carrosserie ajustées au nanomètre...
Même la publicité est bizarre ! On voit Jean-Paul Gaultier dessiner une robe, la robe prendre forme, sur un patron, puis une mannequin androgyne défile avec. La mannequin sort dans la rue et elle a une espèce de rictus (censé figurer l'émerveillement) face à une Avantime. Puis on remonte en arrière, sur la conception du coupespace : Renault est un "Créateur d'automobile", au même titre que Jean-Paul Gaultier est un créateur de mode. Sauf que l'Avantime fut conçue chez Matra, non ? En prime, Jean-Luc Godard s'est moqué de la pub lors d'une conférence de presse du Festival de Cannes (dont Renault est le fournisseur officiel.)
Tout semblait écrit. Juste avant salon de Genève 2003, Jean-Luc Lagardère annonce l'arrêt de Matra Automobiles ! Renault, qui est mis au courant à la dernière, crie à la trahison. Lagardère meurt quelques jours plus tard, alors que le salon de Genève, dernier salon de l'Avantime, ferme ses portes. Il n'y aura pas de millésime 2004. Philippe Guédon est muté au comité de direction de Matra. Le bureau d'étude est revendu à Pininfarina. Apparemment, les Italiens se rendent en Chine avec des prototypes de la M72, puis de la Bluecar sous le bras. D'où l'apparition de clones durant les années suivantes...
Matra est une entreprise typique de l'Europe des années 60, 70 et 80. Elle connait une croissance et une diversification par opportunité. Matra signifie "Mécanique Aviation TRAction". En tant que fabricant de lance-roquettes, il devient missilier. Les premières fusées étant des missiles, Matra est au cœur du programme spatial Français, puis Européen (avec également des satellites.) Jean-Luc Lagardère poursuit cette diversification. René Bonnet loue une usine à Matra. Lorsqu'il a des difficultés, Matra rachète son entreprise, qui devient Matra Automobiles. Désormais, l'entreprise possède des compétences en production en moyenne série. Elle récupère une partie de l'appel d'offre dans le métro de Lille. En parallèle, Lagardère rachète la radio Europe 1, profitant d'une privatisation. Hachette suit en 1980. Puis c'est la radiotéléphonie, avec le réseau de portables Radiocom 2000, la branche portable d'AEG. En s'associant à Tandy, Matra tente de produire des ordinateurs, puis il est candidat à la production du Minitel. En parallèle, pour le pôle média, Lagardère tente de posséder un club de football, le Matra Racing et il est brièvement propriétaire de La Cinq. Enfin, à la fin des années 90, il tente de prendre le virage du web avec Nortel (réseau) et le FAI Club Internet.
Vers 1998, Matra est un agglomérat de sociétés très disparates. On dit d'ailleurs qu'une partie de ces diversifications sont mues par une volonté farouche de contrer Alcatel, l'ennemi-juré.
Le contexte des années 60, 70 et 80, ce sont des marchés nationaux encore protégés et des évolution technologiques rapides. Des besoins apparaissent, notamment dans l'informatique, l'électronique grand public et les médias. Des entreprises se disent qu'elles disposent d'une partie du savoir-faire, alors elles se lancent dedans. Accessoirement, ce sont des ETI souvent venus de l'armement ou de l'industrie lourde, les programmes connaissent des montagnes russes et il leur faut une activité parallèle, afin de lisser la croissance. D'où Matra, mais aussi Sagem, Thomson ou Schlumberger en France, Phillips aux Pays-Bas, Ericsson en Suède, Nokia en Finlande et Bosch, Daimler-Benz, Mannesman et Siemens en Allemagne.
Mais à l'arrivée, comme Matra, ce ne sont qu'une collection d'ETI. Dans les années 90, les barrières disparaissent. Ces entreprises "expertes en tout" se retrouvent face à des spécialistes d'un secteur. Notamment dans la téléphonie, alors en plein boum. Jean-Luc Lagardère s'est surtout entouré de yesmen, comme Philippe Guédon, incapables de faire face aux tempêtes. Accessoirement, c'est aussi le temps du grand ménage, dans l'industrie et nombre de groupes sont mouillés dans des affaires de corruption. Pas Matra, qui doit néanmoins payer cash sa proximité avec la Chiraquie. Alors toutes ces entreprises, très nationales, vont alors vendre, fermer, restructurer, scinder...
Le pôle militaire de Matra est accolé à Aerospatiale. Les métros sont vendus à Siemens. Arnaud Lagardère, qui succède à son père, veut se recentrer sur les médias. En 2003, le nom "Matra", trop connoté, est remplacé par "Lagardère Interactive".
Jean-Luc Lagardère était un autocrate, mais un autocrate visionnaire. Arnaud Lagardère, lui, a toujours un tempo de retard. Comme son rachat de Virgin Megastore et sa création d'une chaine de magasins dédiée aux livres et aux CD, en plein essor du commerce électronique...
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