Land Rover "Gamelle Trophy"

Le terme "d'aventurier des bacs à sable" est on-ne-peut-plus adéquat ! En effet, voici une réplique au 1/64e du Land Rover Defender 110 "Gamelle Trophy".

Sortez les Ray Ban Aviator, le polo couleur sable et la barbe de 3 jours !

Il y a quelques mois, Mini GT annonce un Land Rover 110 vainqueur du "Gamelle Trophy" 1989, avec fausse poussière, au 1/64e. Il me le faut !

Le Land' est un véhicule crucial dans l'histoire de l'automobile. Mais je n'en ai aucun, quel que soit l'échelle. En plus, le trophée est très représentatif des années 80, pour le meilleur et pour le pire...

Accessoirement, le fait qu'il soit au 1/64e signifie un coût et un encombrement raisonnable...

Quelques semaines plus tard, j'en trouve un sur Aliexpress. Alors, hop, commandé !

Tout se passe bien. Mais alors qu'Alixpress m'informe que mon colis a été remis au transitaire final, nouvelle annonce de Mini GT. Le Land' figure parmi les nouveautés d'avril 2021.

S'il n'est pas commercialisé avant avril, qu'y-a-t-il donc dans le colis qui a été remis au transitaire ?

Réponse : encore une imitation grossière, made in China ! Et ils ne se sont pas gênés pour reprendre les badges "Land Rover" ou "Chameau".

Le plus visible, c'est que le barda sur le toit à été simplifié : quatre mallettes, deux cantines, deux plaques de désensablement et quatre jerrycans.

Les amateurs auront remarqué que ce Land' est un modèle post-2012 (avant modifié suite aux normes de collision avec un piéton, marquage sur le capot...) Alors que l'original est censé être de 1989...

En soit, parler du Trophy, c'est déjà tangent, à cause de la Loi Evin (d'où les "Gamelle".)

Là, comme c'est en plus une contrefaçon... Du coup, oublions la miniature, revenons plutôt sur la course...

Le "Gamelle Trophy" fait désormais parti intégrante de l'histoire de Land Rover. Un véhicule ayant participé à l'épreuve trônait fièrement dans l'alignement d'anciens Land' du Jaguar Land Rover Festival [2017]. CarJager avait retracé son historique et je vous invite à lire l'article ici.

Une petite erreur dans l'article. Lors de la première édition, en 1980, organisée sur la Transamazonienne, c'était des Ford U50 qui étaient employée. Et non des Jeep CJ. Ford ayant racheté la filiale Brésilienne de Kaiser-Jeep et il poursuivit à son compte la production pour le marché local.

Ce que l'article oublie, c'est l'aspect économico-sociologique.

Le Gamelle Trophy, c'était le croisement de quatre phénomènes typiques des années 80.

Le plus évident, c'était l'omniprésence des cigarettiers. Les premières lois européennes interdisaient la publicité pour les cigarettes, apparurent quasi-simultanément, à la fin des années 70. En France, la loi Veil de 1976 sur le tabac interdisait la publicité au cinéma et à la télévision. Du moins, elle interdisait la publicité pour les cigarettes. Elle n'interdisait pas la publicité pour les marques de cigarette.
Les cigarettiers furent donc de la publicité pour des briquets ou des allumettes aux couleurs de leurs paquets !

Qui plus est, il fallait séduire une nouvelle génération de fumeurs. L'image "clope ricaine" n'était plus suffisante. Chacun cherchait à créer un univers. Chez R.J. Reynolds, on s'est dit qu'un chameau, c'était exotique. Donc il fallait creuser dans l'exotisme. D'où ce raid, en 1980, avec trois jeeps dans la forêt amazonienne...

Ensuite, il y avait Land Rover. British Leyland venait d'annoncer son nouvel avatar : Austin Rover, à l'horizon 1982. Land Rover en sera (contrairement à MG, Morris et Triumph.) Reste que l'avenir était incertain. Margaret Thatcher comptait rapprocher Land Rover de Freight Rover (futur LDV) et vendre le lot à GM. Quant à avoir un budget pour le marketing...

Au début des années 80, les constructeurs Européens scrutaient les Japonais. Or, les 4x4 Japonais commençaient à se faire une place au soleil. Il fallait dépoussiérer l'image de Land Rover.

Le Trophy cherchait des véhicules. Avec Land Rover, il obtint mieux : un partenaire officiel. Le Trophy crédibilisait Land Rover et vice versa. Le constructeur en profitait pour aligner ses nouveautés : 110 en 1984, Ranger Rover turbo-diesel en 1987, Discovery en 1990... Ls clients potentiels pouvaient constater de visu que c'étaient de vrais baroudeurs.
Les véhicules recevaient une certaine préparation : arceau, protèges carters, projecteurs, pare-buffles, etc. On restait néanmoins loin d'un engagement en compétition. En prime, Land Rover était sûre de gagner !

R.J. Reynolds et Land Rover trouvèrent l'Homme des années 80. Les grandes idées de paix mondiale, de communion de l'humanité et de bonheur collectif avaient vécu. Il suffit de voir les héros des années 80 : des hommes cyniques, aigris, individualistes et matérialistes.

Brett Easton Ellis poussa l'idée jusqu'à la caricature, avec ce tradeur qui parle longuement de sa chaine hifi et tue un collègue parce qu'il a de plus belles cartes de visite...

Les raids en 2cv, c'était bien gentils ; l'homme des années 80 voulait aussi de l'aventure. Mais quelque chose de viril. Jouer à Indiana Jones ou à Predator. Et qu'à l'arrivée, il y ait un vainqueur, avec un gros trophée. Parce qu'on est le MEILLEUR ! Et plein de photos pour qu'ensuite, la truite saumonée se jette d'elle-même dans ses filets...

Dès la deuxième édition, les candidatures affluaient. Il y eu des sélections, puis des présélections, puis des pré-présélections !
Et pour ceux qui veulent juste un bain de boue et une photo avec le Land, il y a les écoles de pilotage [Chameau] Off-road...

Mais tout ce beau monde, le cigarettier, le constructeur et les participants, ils voulaient avant tout de l'attention. Les années 80, c'était aussi l'époque de la libéralisation et de la multiplication des TV. Les chaines voulaient des programmes différents du voisin. Mais des programmes pas chers à tourner.
Pas de problème pour R.J. Reynolds, qui invitait les journalistes à venir couvrir l'évènement. Et il avait la main leste sur les billets d'avion.

En France, TF1 joua ainsi les diffuseurs. Avec des caméras s'attardant longtemps sur les logos. Puis M6 prit le relais. La nouvelle chaine avait une audience moindre, mais elle pouvait donner davantage de place au Gamelle Trophy, dans Turbo. Couverture des présélections, interviews des candidats... C'était un Koh-lanta avant la lettre.

Au final, tout le monde était content. Le cigarettier distribuait des pelletés d'autocollants, que l'on retrouvait sur nombre de 4x4. Il se diversifia avec une ligne de vêtements (comme le fit "Rouge et blanc".)
Il y avait tout de même pas mal de gens opposés. Après tout, le Trophy n'avait aucun but humanitaire ou même sportif. Les équipes faisaient du franchissement au fin fond de la jungle, croisant à peine les populations locales. Et l'aspect frime était omniprésent... Mais c'était justement la frime qui poussait les gens à s'inscrire en masse, via un serveur minitel surtaxé.

Le Trophy inspira une grande course d'orientation, en 1989. Un raid (sans voitures) du nom d'un cigarettier Français, qui sponsorisa plus tard Ligier, puis Prost Grand Prix...

[Chameau], lui, intégra l'imagerie du Trophy dans ses pubs. Avec un blanc solitaire, sur son Land', au bout du monde...

Land Rover savait également manier les allusions. Regardez cette pub US : un Defender jaune-orangé, en terrain hostile. Toute ressemblance avec un trophée...

Le risque évident pour [chameau], c'était de se faire vampiriser sa compétition par Land Rover. Le Trophy devint plus axés sur les épreuves physiques (accro-branche, kayak, etc.) De plus, les Defender disparurent des pubs, au début des années 90. Pubs qui devinrent de plus en plus abstraites. A la fin, il n'y avait plus que des photos de jungle. 

En 1992, Claude Evin mit un nouveau tour de vis sur la loi Veil. Terminées, les pubs de briquets ou de vêtements aux couleurs des cigarettiers.
Qui plus est, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel mit la holà sur les pubs déguisées. Les TV ayant abusées du filon. De mémoire, le Trophy 1993, disputé en Malaisie, fut le dernier diffusé sur M6.

Pendant ce temps, Austin Rover, devenu Rover Group, a été racheté par BMW. La famille Quandt, actionnaire majoritaire de BMW, voulu imposer une charte de bonne conduite, en matière de sponsoring. Lorsque Williams reçu le moteur Bavarois, il du ainsi déchirer son contrat avec Phillip Morris. Avec le Trophy, le divorce était inévitable. R.J. Reynolds ne voulait plus des 4x4 et les Quandt ne voulaient plus être associés à un cigarettier.

Il y eu un dernier Trophy, en 1999, en partenariat avec les canoës Ribtec.

En 2003, Land Rover lança une nouvelle compétition, le G4 Challenge. Par rapport au Trophy, il était presque exclusivement centré sur le franchissement. Surtout, il se voulait davantage ouvert aux femmes et aux extra-européens.
Un second G4 Challenge eu lieu en 2006. Tata, nouveau propriétaire de Land Rover, annula la troisième édition, prévue pour 2009. Les présélections avaient pourtant eu lieu et un certain nombre de véhicules étaient déjà préparés.

Quant aux moralisateurs Quandt, ils furent mis en cause en 2007. Le documentaire Le silence des Quandt dénonçait l'attitude de la famille durant la Seconde Guerre Mondiale. Entre complaisance vis-à-vis des nazis et emploi de déportés. Günther Quandt, le patriarche, fut ensuite à peine inquiété et contrairement à d'autres industriels, il ne fut pas banni.

Je dois encore avoir quelques autocollants du Trophy et de l'école de pilotage. Pourtant, j'ai fumé zéro cigarette. Ni de [Chameau], ni d'aucune marque.
Les années 80, c'était aussi une époque où nombre de chanteurs et d'acteurs mourraient du cancer. Des chanteurs et des acteurs volontiers photographiés la clope au bec. Serge Gainsbourg, alias Gainsbarre, gros fumeur revendiqué, n'avait que 62 ans à sa mort. Avec un minimum de jugeote on pouvait voir un lien de cause à effet.

Je ne comprends pas que d'anciens fumeurs attaquent les cigarettiers parce qu'ils ne se doutaient pas que la cigarette était cancérigène. Y-a-t'il vraiment besoin de l'écrire sur les paquets ? Faut-il vraiment ostraciser les cigarettiers ? Comme si, à la vue d'un joli logo ou d'une pub bien fichue, les gens allaient se ruer sur les cigarettes... On infantilise les gens. Et à force d'être infantilisés, les gens finissent par se comporter en enfants. Ils ont alors besoin qu'on leur prenne la main en permanence. Cela vaut pour le tabac, la nourriture, la santé, mais aussi le monde du travail...



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