Les équipementiers dans la tourmente ?
BBS et Recaro mis en faillite. ZF qui réalise un PSE. Derrière les effets d'annonce, il y a un problème structurel chez les équipementiers. Ce sont des entreprises souvent peu connues du grand public, rarement évoquées. Néanmoins, c'est un problème de plus pour l'industrie automobile, car ce sont des maillons essentiels de la chaine de production.
Recaro et BBS
Recaro et BBS possédaient deux types de clients : OEM et aftermarket.
L'aftermarket, dans ce cas précis, c'est le tuning. Dans les années 80, 90 et 2000, le tuning à l'allemande explosait. Sur les traces d'AMG ou d'Alpina, des artisans se muaient en ETI. Les plus chanceux devenaient partenaires officiels de constructeurs (cf. ABT avec Volkswagen, Arden avec Jaguar, Brabus avec Mercedes-Benz...) Chaque nouvel SUV premium était accompagné d'une kyrielle de préparations. Certains préparateurs pouvaient même s'offrir de luxueux show-room loin de leur base, au Moyen-Orient ou en Extrême-Orient. Sans oublier le SEMA, où Hyundai, Toyota ou Ford se devaient de venir avec des véhicules préparés.
C'était autant de clients pour les fabricants de pots d'échappement, de suspensions, de volants et bien sûr, de jantes et de baquets.
La mode est passée. Alpina, Carlsson ou Overfinch ont officiellement disparus. D'autres sont toujours là, mais ils ne donnent plus beaucoup de preuves de vie. A l'instar de Saleen et son nouveau, nouveau projet de relance. C'est donc un marché tarie pour les accessoiristes.
Les OEM ? Vers 2010, chaque constructeurs -premium ou généraliste- se devait d'avoir un cabriolet à sa gamme. De plus, la mode étaient aux finitions ultra-sportives (et souvent ultra-personnalisables.) Du pain béni pour les accessoiristes.
Là encore, la mode est passé. Nonobstant la Ford Mustang, il n'y a plus aucun cabriolet, ni aucun coupé chez les généralistes Européens. Rompant parfois des lignées remontant à l'après-guerre.
Quant aux versions ultra-sportives, elles ont été remplacées par des packs avec tapis de sol, seuils de portes et des sièges hâtivement nommés "sport". Terminées aussi, les jantes trop personnalisées.
Donc, là encore, plus de débouchés pour un Recaro ou un BBS.
Une époque opaque pour les équipementiers
Si vous ouvrez un magazine auto des Trente Glorieuses, vous serez surpris du nombre de publicité pour des équipements de première monte. C'était le temps des volants Nardi, des autoradios Becker, des phares Cibié, des compteurs Jaeger, des carburateurs SU... Les équipementiers utilisaient le grand public pour mettre les constructeurs sous pression : "Exigez, le confort/la performance/la qualité de nos produits..." Et les clients exigeaient ! Cette stratégie de communication pouvait parfois se retourner contre l'équipementier. Lucas et Unipart furent tenus responsable du manque de fiabilité des Anglaises.
Prince de l'électronique embarqué, Bosch fut particulièrement habile pour "vendre" ses innovations (parfois codéveloppées avec des constructeurs ou rachetées à des concurrents en mal de cash) : antiblocage, anti-dérapage, rampes communes, injection directe... Les grandes berlines Allemandes mettaient en avant leurs longues listes de gadgets électroniques, en première mondiale. C'était un argument de vente et même une pierre angulaire d'une image innovante, par rapport à des concurrents Américains ou Britanniques plus timides sur l'électronique. Puis, quelques années après, Peugeot et Renault étaient fiers de porter certaines de ces innovations sur leurs berlines "D".
Le rapport de force était défavorable aux constructeurs ; ils leur fallait tel produit pour satisfaire la clientèle. Les équipementiers pouvaient quasiment mettre ce qu'ils voulaient sur la facture. Chez Matra Horlogerie, ils margeaient davantage sur les combinés d'instrumentation que sur les montres !
Le second effet Kiss Cool, c'était lorsque le constructeur disait : "D'accord, on accepte votre prix unitaire. On vous attribue l'appel d'offre. Ce sera pour la variante supérieure de notre future compact, avec un prévisionnel de 30% de taux de monte. Soit 3000 unités/jour pour l'usine Française, 2000 unités/jour pour l'usine Espagnole, 1000 unités/jour pour l'usine Brésilienne, 500 unités pour l'usine Sud-Africaine et 200 unités/jour pour le CKD "GOM". SOP dans 3 ans."
Entre 1970 et 1980, la production Européenne augmenta à peine (12 millions de voitures contre 10 millions.) Mais il y avait moins de marque (donc des volumes par marque plus importants) et surtout, davantage d'équipements. Avec en toile de fond, un développement des marchés Sud-Américain, puis Asiatique.
Pour avoir davantage de surface financière et pouvoir suivre leurs clients, il y eu une vague de concentrations. D'où la création de Valéo (1980), de Magneti Marelli Powertrain (1986) et de Faurecia (1996.) Ce dernier était né de la fusion du sellier Bertrand Faure avec ECIA, une filiale de PSA. Cela annonçait une seconde vague : les constructeurs qui externalisèrent leurs branches équipementiers. Ainsi naquirent Delphi (1995), Calsonic Kansei (2000), Hyundai Mobis (2000) et Visteon (2000.)
Au tournant du XXIe siècle, une dizaine d'équipementiers "tier 1" se partageaient l'essentiel de la fourniture au niveau mondial. Aussi bien pour les moteurs, que l'habitacle. Pour les constructeurs cela représentait un guichet unique, idéal pour des négociations annuelles. De plus, cela réduit la prise de risque. Les ETI comme Recaro ou BBS survivaient en se spécialisant dans des marchés de niche. Les généralistes de taille moyenne, comme Lucas, Mannesmann, Labinal ou Allibert étaient condamnés à disparaitre ou à se faire happer par l'un des grands ensembles.
Côté équipementiers, c'était plus compliqué de communiquer sur toute une gamme de produits hétéroclites. Les progrès techniques étaient moins palpables ; d'autant plus qu'il s'écoulait parfois plusieurs années entre le développement d'un produit (P2, voire P3) et son intégration dans une future voiture (P1.) Qui plus est, les constructeurs ne voulaient plus que les noms des fournisseurs apparaissent. Cela permettait de double-sourcer certains équipements. Les équipementiers choisirent de ne plus communiquer qu'auprès des professionnels.
Dans les années 2010, les dirigeants ayant piloté la naissance des équipementiers prirent leur retraite. Leurs successeurs toilettèrent les groupes. Ils se recentrèrent sur les activités automobiles les plus rentables. Exit donc le mil-aéro, l'agriculture ou l'industrie. Valéo a revendu ses câblages à Leoni et ses activités de serrure et de charnières à U-Shen. Bosch, lui, s'est séparé de sa filiale historique d'électronique grand public, Blaupunkt. Tant pis pour l'aspect historique de telle activité ou de tel site.
Dans le même temps, ils se renforcèrent sur des activités jugées prometteuses, comme l'électrique ou les voitures autonomes. Valéo devint coactionnaire du site Renault de Cléon, bientôt dédié à l'électrique. Tandis que Faurecia mit la main sur l'essentiel de Parrot, avant d'absorber le Japonais Clarion.
Les équipementiers ont créé un oligopole des "Tier 1". Depuis les années 80, la logique financière a dominé. Moins d'ingénieurs, plus de commerciaux ! Zéro sponsoring, zéro présentations (y compris dans les salons professionnels.) Leurs propres fournisseurs sont pressurés, à l'instar de Dura, qui a fini par imploser. Les OEM, eux, ont sciemment choisi de perdre certains savoir-faire de conception, jugés non-stratégique. Ils sont donc dépendant de leurs fournisseurs.
Mais ce sont des colosses aux pieds d'argile. La crise des semiconducteurs a prouvé qu'ils n'avaient guère de leviers dans l'électronique. Cela vaut aussi pour ces écrans qui se multiplient dans les habitacles. Les équipementiers ne peuvent répercuter toutes les hausses et cela grève donc la marge.
Dans de nombreux domaines (éclairage, liaison au sol, climatisation...), le progrès n'est plus aussi palpable. En conséquence, il y a un nivèlement des compétences. Lors des appel d'offres, les constructeurs parlent davantage de réductions annuelles ou de marges arrières, que du contenu technique.
Aujourd'hui, il y a une paupérisation des "Tier 1". Entre 2019 et 2023, Valeo est passé de 19 milliards d'euros à 22 milliards d'euros. Mais son cash flow a chuté de 519 millions d'euros à 379 millions d'euros. Quant à son dividende, il s'est écroulé de 1,25€ par action à 0,40€ par action. Même son de cloche chez Faurecia/Forvia : entre 2019 et 2023, son chiffre d'affaires est passé de 17,8 milliards d'euros à 27,2 milliards d'euros, mais la marge opérationnelle n'est passée que de 1,3 milliards à 1,4 milliards. Les équipementiers ne sont plus les machines à cash du passé.
Le risque N°1, c'est que demain, suite à une nouvelle envolée de l'électronique, un équipementier se retrouve en défaut de paiement. Le naufrage du minuscule emboutisseur MA France avait entrainé des arrêts de production à Renault Maubeuge et à PSA Vigo, pendant plusieurs semaines. En cas de faillite d'un "Tier 1", ce serait des dizaines d'équipements, sur toutes les gammes de tous les généralistes, qui feraient défaut et à travers la planète.
Le risque N°2, c'est une domination des Chinois. Historiquement, les constructeurs Chinois possèdent une logique d'intégration verticale. Même si elle n'est plus aussi poussée qu'auparavant, les OEM continuent de produire davantage en interne. Ces dernières années, on a vu des équipementiers Chinois réaliser des acquisitions. Yanfeng (SAIC) a ainsi récupéré une partie de Johnson Controls, tandis que Geely est coactionnaire de Horse, la branche moteur de Renault. Nos "Tier 1", avec leurs actionnariats éparpillés et leurs difficultés financières, seraient des proies tentantes pour un raider.
Or, les équipementiers ont vocation à fournir prioritairement (voire exclusivement) leur OEM. Les OEM occidentaux pourraient se faire claquer la porte au nez ou bien se retrouver avec des conditions d'achats défavorables (pour les rendres non-compétitifs.) C'était ce qu'AC-Delco (alors filiale de GM) avait imposé à Packard-Studebaker, dans les années 50. Et l'on sait ce qu'il advint de Packard-Studebaker...
Bravo ! Une analyse du marché (et de l'histoire de l'automobile) impressionnante !
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