Semi-livraisons de semiconducteurs
C'est le gros dossier des constructeurs, en ce début d'année : la pénurie de semiconducteurs. Autrement dit, de puces. FCA, Ford, Nissan, Toyota et Volkswagen en sont à guetter désespérément l'arrivée des camions. C'est le résultat de 30 années de "je pousse la poussière sous le tapis". Et un matin, ça vous explose à la figure...
Je connais d'autant mieux le dossier que j'achète des composants électroniques depuis 20 ans...
Le temps des dinosaures
L'électronique embarquée apparu dans les années 70, 80. D'abord l'injection électronique (Volkswagen 411, 1967), puis l'allumage électronique (Citroën LN, 1977), les freins ABS (Mercedes-Benz Classe S, 1978), la gestion électronique de l'allumage et de l'injection (BMW 732i, 1979)... Dans les années 80, l'électronique n'eut de cesse de se diffuser. Ce qui n'était qu'un privilège de grandes berlines ou de constructeurs iconoclastes, allait se répandre sur l'ensemble des modèles.
Qui étaient les fournisseurs de cette électronique ? Des grands groupes, un peu vieillots. Chaque acteur de l'électronique grand public (IBM, Motorola, NEC, Olivetti, Philips, Siemens, Thomson... Mais aussi Hyundai Electronics ou Mitsubishi Electric) produisait ses propres semiconducteurs. Ils étaient à la fois dans une logique de filière (produire soi-même des puces pour sécuriser la fourniture.) Ainsi que dans une logique d'univers (produire toute l'électronique de la TV, aux missiles, en passant par les téléphones, les ordinateurs, les chaines hifi, les machines à laver...)
Ces groupes étaient des mastodontes et chaque filiale demandaient des composants sur mesure. Là-dessus, arrivent donc les constructeurs qui demandèrent UNE puce destinée à toute leur gamme, soit plusieurs millions d'unités par an. L'automobile devint ainsi très vite le leader du monde électronique.
Ces conglomérats étaient très étendus, car chacun possédait son pré-carré. Thomson était un empereur en France, comme Siemens en Allemagne, Philips aux Pays-Bas, Motorola et IBM aux Etats-Unis... En 1992, les frontières à l'intérieur de l'Europe disparaissaient. Ces groupes étaient désormais concurrents. En bourse, ils justifiaient leur diversification à outrance en disant que cela permettait de lisser les cycles. Dans le lot, à chaque semestre, il y avait forcément des nouveautés au sein du groupe. De quoi créer quelques points de rentabilité et offrir un petit chèque en fin d'année aux actionnaires. On parlait d'actions pour "pères de famille".
Les investisseurs étaient de moins en moins convaincus. D'autant plus que des spécialistes les aiguillonnaient. Comme Nokia, en téléphonie mobile. Nokia était comme eux : une entreprise plus que centenaire, très diversifiée (papeterie, pneus, téléviseurs, ordinateurs...), avec une rentabilité très moyenne. Dans les années 80, elle commença à revendre ses activités déficitaires. Jorma Ollila a achevé le processus et à partir de 1997, Nokia se concentra sur les seuls téléphones portables. Il n'avait donc plus cette dispersion des moyens des autres acteurs européens.
Le temps des cost-killers
Il fallait donc se recentrer sur son cœur de métier. Les groupes transformèrent leur branche semiconducteurs en société à part. D'où la création de ST (ex-SGS-Thomson) en 1998, d'Infineon (ex-Siemens Semiconductors) en 1999, de Hynix (ex-Hyundai Semiconductors) en 2001, de Renesas (ex-NEC) en 2003, Freescale (ex-Motorola Semiconductors) en 2004 et de NXP (ex-Philips Semiconductors) en 2006...
Les constructeurs automobile ne s'alarmèrent pas plus que ça. D'une part, avec la complexification des systèmes électroniques, les fabricants de semiconducteurs ne les fournissaient plus directement. Les semiconducteurs étaient intégrés à des équipements. J'ai connu des acheteurs dans l'automobile qui suivaient à peine l'actualité de leurs fournisseurs, quant à s'intéresser aux fournisseurs de rang deux... Il faut aussi voir qu'un microprocesseur ne coute rien. Lorsque l'on demande une décomposition des coûts à un équipementier, le microprocesseur est dans le "C". L'autre nouveauté, un autre intermédiaire apparaissait : le grossiste. En rachetant et en tuant des grossistes locaux, Avnet et Arrow avaient acquis une envergure globale. C'étaient eux qui s'interposaient entre les fabricants et les équipementiers.
Du côté de l'ingénierie, on était même plutôt heureux, vis-à-vis de cette externalisation. Enfin des marques spécialisées, avec des interlocuteurs professionnels ! Terminés, les comiques débarqués d'autres filiales...
Sauf que l'externalisation de la branche semiconducteurs n'était qu'une étape. La seconde, c'était la vente à des fonds d'investissement. Ces fonds s'empressèrent de déménager les usines (ou "fab") en extrême-orient, pour d'évidentes raisons de coûts. Et aussi faute de main d’œuvre (travailler dans une salle blanche, en "bunnyman", c'est moins sexy que de créer des sites web...) Durant le trajet, certains cartons s'étaient perdus, d'où une première pénurie, faute de production, vers 2005.
Qui plus est, ces fonds abandonnèrent les vieux microprocesseurs (ceux justement utilisés par l'automobile, au temps de cycle très longs.) Au mieux, l'outillage était revendu à des second couteaux, comme Global Foundries ou Taiwan Semiconductors.
Enfin, le secteur automobile quitta son piédestal. En 2007, Apple dévoila le premier iPhone, ouvrant l'ère des smartphones. Des téléphones produits chaque année à des dizaines de millions d'exemplaires et renouvelés tous les deux ans (avec un nouveau microprocesseur à chaque fois.) Les fondeurs avaient trouvé leur nouveau dieu ! Cerise sur le gâteau, ces smartphones sont produits en Chine, par Foxconn, à un jet de pierre des usines de semiconducteurs.
Là encore, la réaction des constructeurs fut plutôt molle. Les smartphones tiraient aussi la R&D des fabricants. L'automobile pouvait profiter de puces "d'occasion" toujours plus performantes et toujours moins chères.
Perkele !
Des signaux d'alerte, il y en avait pourtant. Personnellement, c'est en 2017 qu'un fournisseur m'informa discrètement que les fabricants, en surcapacité, fermaient des fabs pour stimuler l'offre. En fait, dès 2011, Renesas avait commencé cela. Et avec l'absorption de Freescale par NXP, le marché devenait oligopolistique.
Il y a aussi eu la montée en puissance de SMIC, entreprise étatique chinoise. A l'automne 2020, un Donald Trump en pleine campagne électoral était bien content lui barrer la route. En classant le fondeur SMIC comme "fournisseur militaire", le président Américain plaçait tout ses clients en porte-à-faux. Il fallait se fournir en catastrophe chez d'autres fabricants.
Début 2020, alors que la Chine était mise sous cloche, l'approvisionnement restait assuré. Les grossistes jouèrent les tampons en vidant leurs stocks. Puis ce furent les Européens d'être confiné. Durant le reste de l'année 2020, les usines européennes reprirent à mi-temps, gérant la pénurie, entre reconfinements et jauges de présentiel. Les chiffres ne sont pas encore tombés. C'est aussi valable en Chine. Or, le client prioritaire, c'est la téléphonie. Même les fabricants de consoles de jeu se plaignent des livraisons en pointillé ! Et avec le congé annuel du Nouvel An Chinois, la situation risque de durer. Les plus pessimistes tablent sur un retour à la normal en 2022.
La solution, il n'y en a pas vraiment. La bonne vieille matrice BCG classerait les semiconducteurs en "risque acceptable" à cause de leur faible valeur financière. Il faudrait intégrer la pénurie potentielle, quitte à surtocker.
Sinon, on peut passer par du custom et il existe des fournisseurs encore capable de créer un produit -et sa ligne- pour les seuls besoins du client. Ces fondeurs vous voient venir : "Vous nous payez en cash non-remboursable l'intégralité de la production et une fois que j'ai encaissé l'argent, je tourne la clef de contact." En plus, cela implique une logique propriétaire avec a minima un codéveloppement. Donc complètement antagoniste au paradigme des constructeurs...
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