Bleue, à point, bien cuite

Une Lada Samara ! Il n’en reste plus beaucoup, dans l’hexagone. Alors qu’avant, c’était une vision commune dans la « France périphérique ».


Le plan de l’URSS -et de ses pays satellites- comportait trois étapes :

1) Créer des voitures, via des transferts de technologies occidentales (licence ou copie)
2) Utiliser les mécaniques et plateformes pour créer des véhicules plus modernes
3) Concevoir des véhicules totalement inédits

L’URSS allait dominer l’industrie automobile mondiale, détrônant les pays impérialistes ! Dans les années 60, l'occident n'avait qu'une très vague idée de ce qui se passait derrière le rideau de fer. En France, seuls les sympathisants du PCF pouvait obtenir un visa pour l'URSS. Autant dire que les compte-rendus étaient biaisés. Alors si l'URSS disait qu'elle allait produire plus de voitures que les Américains, qui aurait été en mesure de démontrer que c'était impossible ?
Mais entre le 1) et le 2), les pays communistes connurent des difficultés économiques. Pour remplir les caisses, il fallait exporter. Voilà qui allait faire les affaires de l’importateur Français, Jacques Poch.

Jacques Poch est moins célèbre qu’André Chardonnet. Mais il a eu plusieurs vies. Il fut d’abord, le roi des vendeurs de voitures de l’ouest Parisien, dans les années 30. Dans les années 50, il voulut être importateur. L’exportation, c’était souvent vu comme le dernier recours d’un constructeur ayant trop d’invendus. Hansa-Borward, Aero ou Tartra furent autant d’affaires qui firent long feu. Il eu plus de chances avec Škoda, mais les volumes restaient faibles. Jacques Poch était surtout connu comme importateur moto, avec Jawa et CZ. Notez que pour promouvoir ses voitures, il disputait les 24 heures du Mans avec !
En 1968, Jacques Poch tenta de représenter Moskvitch en France. Au salon de Paris, le Général de Gaulle posa avec, afin de promouvoir l’amitié franco-soviétique. Mais ensuite, les voitures arrivaient rouillées. En 1973, à 61 ans, Jacques Poch s’offrait une nouvelle carte : Lada.

L'état Soviétique avait ouvert des usines d'assemblages de Lada aux quatre coins du pays. Malgré tout, la production ne suivait pas la demande. La faute notamment à une logistique défaillante. Chez les équipementiers, c'était le règne du jmenfoutisme. Et beaucoup de pièces étaient inutilisables.
Impératif économique oblige, les commandes exports passaient en priorité (avec celles destinées au KGB), puis venait les voitures destinées aux fonctionnaires et ensuite, seulement, les voitures des particuliers. Lesquelles étaient systématiquement repoussées en bas de la pile. Il fallait attendre sa voiture durant plusieurs années. Voilà pourquoi ils les aiment tant, leurs voitures !

En attendant, échaudé par l'expérience Moskvitch, Jacques Poch créa la SEPMA, à Haguenau. Chaque Lada était démontée et contrôlée. Sur la fin, l'atelier possédait même une cabine de peinture ! Cela permit également à Poch de proposer des voitures suréquipées. Malgré tout, la Lada 1200 était proposée au prix canon de 16 990 francs, en 1978. A comparer aux 16 640 francs d'une 2cv 6, encore plus spartiate et poussive !

On achetait une Lada faute d'alternative. Les autres les surnommaient "Laida" et il y avait quantité de blagues. "Que trouve-t-on en page 43 du manuel des Lada ? Les horaires de bus !", "A quoi sert la quatrième pédale ? A gonfler l'airbag en cas de choc", etc.
Jacques Poch en avait conscience. En 1979, pour le second Dakar, l'importateur aligna un Niva -tout juste lancé-. En 1982, Pipa Briavoine mena la vie dure à la R20 des Frères Marreau. En 1983, c'était André Marreau qui mit des bâtons dans les roues au "G" de Jacky Ickx. Puis Coluche approcha Lada. L'humoriste pilota une 1200 rose dans le championnat de France de stock-car, dont il était lui-même promoteur ! En 1985, Jean-Pierre Jabouille créa un proto Niva à moteur V6, qu'il pilota au Dakar, aux côtés de Michel Sardou !

L'année 1986 fut bien remplie pour le réseau Poch. Il soutenait les protos Niva du Dakar, avec des pilotes comme les frères Marreau ou Pierre Lartigue. Jacques Poch prit sa retraite, à 74 ans. Il passa le flambeau à son fils, Jean-Jacques Poch. Coluche se tua à moto, alors qu'il venait de courir à Montlhéry avec sa Lada rose...
Et surtout, il y eu la Samara. "Samara" est le nom de l'Oblast où est situé Togliattigrad, fief de Lada. Dévoilée en 1984, elle était enfin disponible en France. Porsche avait donné un coup de main aux Soviétiques. C'était un compacte 3 portes traction avant, bien plus moderne que les précédentes berlines -toutes dérivées de la Fiat 124-. Pour 43 500 francs, vous disposiez d'un 1,3l 65ch. Alors qu'il fallait mettre 46 900 francs pour s'offrir une Peugeot 205 XE 45ch !

Jean-Jacques Poch continua la promotion tout azimut. Pour le Dakar 1990, il fit construire par Oreca des proto Samara. Hubert Auriol et Jacky Ickx en prirent le volant. Il demanda à EBS de lui créer une Samara cabriolet, la Natacha. Enfin, pour les pubs TV, la Samara eu un drôle de VRP : Albert Dupontel.

Il n'y avait pas de grosse Lada. Mais l'URSS apportait deux voitures qui allait permettre à Poch de monter en gamme la Zaz Tavria et la Moskvitch Aleko...

Personne n'avait prédit la chute du Mur. Et encore moins l'effondrement du bloc de l'Est. Durant la période 75-85, il y avait eu la Charte 77, le décès successif de trois dirigeants Soviétiques en fonction, Solidarnosc... On nous annonçait la fin proche du communisme. Mais rien ne venait. En 1985, Mikhaïl Gorbatchev prit les commandes et il faisait figure de despote éclairé. On pensait qu'à l'instar du Brésil ou de la Corée du Sud, l'URSS allait doucement muer en démocratie. Les tensions semblaient apaisées grâce aux concessions du parti-état. Pendant ce temps, Pavel Lougnine tournait des films où les acteurs parlaient de l'URSS à l'imparfait et de la Russie au conditionnel.
Mikhaïl Gorbatchev pensait pouvoir perdurer à coup de reformettes. Au point de faire la leçon à Erich Honecker et Nicolae Ceaușescu, à Berlin-Est. La lame de fond allait les emporter tous les trois.

Dans l'automobile, le sol s'ouvrait sous les pieds des rois du low-cost de l'est, Jean-Jacques Poch et André Chardonnet. Volkswagen mettait la main sur Škoda et Volkswagen France en récupérait la distribution pour l'hexagone. L'Aleko et la Tavria arrivées trop tard, furent des flops. La télévision nous montrait une URSS, devenue CEI, puis Russie, devenue complètement chaotique et naviguant à vue. Pas de quoi rassurer les acheteurs potentiels... Au Mondial de Paris 1992, Poch exposait la micro-citadine Oka et la compacte 110. Dans ces temps tumultueux, ce furent les deux seules nouveautés de l'Est, durant la première moitié des années 90... Hélas pour Poch, leurs moteurs à carburateurs ne passaient pas les récentes normes anti-pollution.
Lada France reprit ce qu'il restait du réseau Poch, en 1993. Grâce à GM, la 110 disposa enfin d'un pot catalytique et elle put enfin être exportée en France. Entre temps, les Coréens avait occupé le terrain. En particulier Daewoo, au plan marketing très agressif. Certains concessionnaire Lada se tournèrent vers les nouveaux ambitieux.
Lada n'avait pas réussi à créer un lien avec sa clientèle. C'était un achat de raison, point. Et durant les Baladurette et autres Jupette, nombre de Lada furent envoyées à la casse. Mal finies et souvent mal entretenues, elles échouaient au contrôle technique.

Poutine tenta de remettre sur pied une industrie automobile Russe. Il rêvait du modèle Chinois, obligeant les marques étrangères à passer par des joint-ventures (Avtotor, TagAz, Solers...) et avec un taux minimal de pièces indigènes. Le tout avec un coup de pouce pour Gaz et Lada. Le maître du Kremlin effectua même un road-trip à bord d'une Lada Kalina jaune... En fait, il était suivi par un camion transportant des voitures identiques, afin de changer discrètement de monture, en cas de panne ! De toute façon, ses amis oligarques ne voulurent pas jouer le jeu. Ils préférèrent se concentrer sur le BTP, la finance et la rente des hydrocarbures.

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