Superbears

Une lecture pour cette été ? Je vous recommande Superbears. Il revient sur l'histoire d'Hesketh, l'autoproclamée "plus grande des petites écuries". Un livre édité en Grande-Bretagne par Porter Press, à qui l'on devait l'excellent "Gamelle Trophy". L'auteur, James Page, est un journaliste.

En lisant mon compte-rendu des Classic Days 2023, vous avez peut-être été surpris de mon érudition, à propos de l'Hesketh 308E de Rupert Keegan. En fait, j'étais en pleine lecture de Superbears, donc lorsque j'ai croisé une Hesketh, je me devais d'en parler. Et en plus, la source principale était sur mon ordinateur !

En fait, je possède deux exemplaires de Superbears. Porter Press m'en a envoyé le PDF. Mais comme je suis vieux jeu, j'en voulais un exemplaire papier, plus facile à feuilleter. Pour cause de jours fériés, il mit du temps à aller jusqu'à ma boite à lettres, mais le voilà !

Rush est sans doute l'un des meilleurs films sur le sport auto. Pour autant, il est plein de raccourcis, d'inexactitudes, d'anachronismes... Entendre John Hogan citer Ayrton Senna (en 1975 !) ou voir des références aux 12 heures de Sebring 1957 (avec l'araignée de Bob Goldich), ça a de quoi interloquer...
Les optimistes diront que cela donna envie à certains de s'y plonger davantage.  

Rush est inspiré du livre Au nom de la gloire. Tom Rubython est xénophobe jusqu'au ridicule et ça était traduit par Google Traduction avec un beaucoup d'anglicismes. Mais son livre décortique, jour après jour, la saison 1976 de James Hunt et Niki Lauda.
L'Autrichien s'est invité comme consultant du film. La principale différence, c'est un mode de vie moins austère qu'il était dépeint. Après tout, à 27 ans, Niki Lauda se retrouvait millionnaire, après des années de galères. Ils avaient donc logiquement envie de profiter de sa bonne fortune (aux deux sens du terme.)
Quant à James Hunt, c'était un obsédé de la forme physique. C'était d'ailleurs son amour des salles de muscu qui compensait un mode de vie complètement dissolu.

Sinon, il y a désormais Superbears.

Le livre débute par une biographie des principaux acteurs de l'écurie.

Lord Thomas Alexander Fermor-Hesketh (alias "Lord Alexander Hesketh" ou "Le Patron") était issue de l'aristocratie Britannique. Une vieille famille Écossaise ayant un château à un jet de pierre de Silverstone.
Orphelin de père, c'était un gamin -bientôt obèse- couvé par sa mère et qui s'ennuyait. Son père et son grand-père avaient trompé l'ennui en partant à la guerre, mais il n'y avait plus de guerre. Après avoir été vendeur de Ford, puis trader, à San Francisco et à Hong-Kong, il se passionna pour le sport auto.

Et c'est ainsi que le richissime oisif au visage poupin se trouva un défi.

Le chapitre 2 est consacré à "Bubbles" et "Superstar". Hesketh, c'était la rencontre de trois hommes complètement différents.

Anthony Horsley venait lui, d'un milieu ouvrier. Depuis le début des années 60, il trainait dans les écuries de F1. Puis il couru en F3, à travers l'Europe avec Frank Williams, Jonathan Williams (qu'Enzo Ferrari paya pour ne pas courir et ne pas gêner ses "vrais" pilotes !) ou Charles Crichton-Stuart (qui, bien plus tard, mit Williams GP en contact avec Air Saudia, TAG... Et la famille Ben Laden.) Bien qu'enrobé, il tenta sa chance dans le mannequina et parti en Inde avec un Land Rover.
Pilier des paddocks Britanniques, "Bubbles" atterrit au château des Hesketh lors d'une fête d'après-course. Il se lia à ce lord un peu plus jeune que lui et le convainquit de démarrer une écurie de F3 (dont il serait le pilote.)

James Hunt, lui, arrivait de la bourgeoisie Londonienne. A 18 ans, il assista à une course de club et cela correspondait à son tempérament de risque-tout. Malheureusement, la fortune familiale fit vite insuffisante, face aux budgets de F3. Mais grâce à son charme et sa bonne vitesse de pointe, Hunt décrocha des baquets. En 1971, il couru pour l'écurie officielle de March, avec le soutien de La Vie Claire (chaine fondée par le grand-père de "Nahonen", un fameux forumer...) Hélas, ce fut un flop.

En 1972, Hesketh racing débuta en F3, avec une voiture pour "Bubbles". James Hunt charma le duo et lord Hesketh d'acheter une seconde Dastle pour "Superstar". Les deux pilotes plièrent beaucoup de châssis. "Le Patron" décida de n'avoir plus qu'une voiture et vu qu'Hunt était le plus rapide... Horsley devint alors team-manager.

Ensuite, de manière plus classique, James Page évoque chacune des saisons de l'écurie, de 1972 à 1978. Chaque chapitre correspondant à une année.

L'iconographie est riche. Outre les photos d'agence de presse, l'auteur a pioché parmi les archives d'Anthony Horsley et d'Alexander Hesketh, sans oublier des coupures de presse, affiches, tickets, etc. Tout est fait pour que le lecteur -s'il n'a pas connu les années 70- puissent comprendre le contexte. Tel ce paddock F1 bien loin des standards actuels... 

Lord Hesketh n'était pas qu'un oisif excentrique, jetant l'argent par les fenêtres. Il comprit très vite les limites d'Anthony Horsley et il commença à recruter des gens moins fantasques, mais plus professionnels. A commencer par Harvey Postlethwaite, alors jeune designer de March. Personnage-clef de l'ascension d'Hesketh, il aurait bien mérité un chapitre, comme "Bubbles" et "Superstar".

A la place, le voici derrière sa table à dessin. Car dans les années 70, vous n'aviez ni Catia, ni Autocad...

L'écurie était basée dans... L'écurie du château d'Easton Neston, berceau des Hesketh. Une ambiance typique d'une écurie des années 70. Le temps des ajustements au maillet était fini. Mais c'était le règne du chatterton et du fer à souder...
Quelques années plus tard, Ron Dennis, très maniaque, allait imposer un propreté clinique à McLaren. Vu que c'était l'écurie victorieuse, les autres top-team améliorèrent leur présentation.

Hesketh Racing a été volontiers dépeint comme une organisation philanthropique. Lord Hesketh refusait que ses F1 soient sponsorisées et sur les circuits, l'écurie offrait gratuitement champagne et homards. Tous les membres de l'équipes avaient des sobriquets et ils se voyaient hors des courses.

Néanmoins, Lord Hesketh avait un sens du business. Son logo, le "Superbear" était placardé sur des te-shirts, peluches, etc. qui étaient vendues. Les nombreuses copines de James Hunt s'improvisaient mannequin. L'écurie avait également sa propre lettre d'informations.

Les premières Hesketh 308 avaient toutes la même livrée. Mais l'écurie construisit bien plusieurs châssis. Au Grand Prix d'Autriche 1974, il y eu pour la première fois deux voitures sur la grille, avec les débuts de Ian Scheckter (non-qualifié.)
En 1975, James Hunt avait presque toujours un équipier. Harald Ertl fit sponsoriser la sienne aux couleurs d'un brasseur connu pour ses fêtes d'après course...

A l'issue de la saison 1975, les caisses étaient vide. De notoriété publique, Hesketh Racing allait baisser le rideau. Au moins de novembre, à Thruxton, le BARC remit un trophée à Lord Hesketh en lui disant "merci pour tout".

Harvey Postlethwaite parti chez Williams, emportant avec lui les plans de la 308C. Frank Williams approcha d'ailleurs James Hunt, repêché par McLaren... Où il devint champion du monde.

Harald Ertl tint à piloter une Hesketh en 1976. "Bubbles", Nigel Stroud et la poignée de mécanos encore là, construisirent une 308D. Puis une seconde, pour Guy Edwards. Le Britannique arriva avec Penthouse et Rizzla +, dont hérita Rupert Kegan, en 1977.
Entre temps, Anthony Horsley pu recruter Frank Dernie, un vrai ingénieur. L'équipe semblait donc remonter la pente...

J'entends déjà les féministes : "Hesketh était un repère de machistes ! Il faut les cancel !" Sauf qu'Hesketh fut aussi l'une des rares équipes à donner un baquet à une femme, en l'occurrence Divina Galica. "Trop inspirationnel ! Hesketh étaient des pionniers de l'égalité femmes-hommes !"

En fait, "Bubbles" était un numéro 2, pas un numéro 1. L'équipe manquait d'une vraie vision à long terme, au lieu de simplement louer à des pilotes payants. Plus qu'une évolution de la 308, il fallait une voiture complètement inédite et Hesketh n'en avait pas les moyens. La Grande-Bretagne traversait une crise économique et les sponsors se raréfiaient. Sans parler de l'arrivée de l'effet de sol, puis des turbos et de l'obsolescence des Ford DFV. Hesketh baissa le rideau mi-1978, après une énième non-qualification.
Le livre revient également sur l'étonnante IBEC-Hesketh, conçue par Harvey Postlethwaite pour Ian Bracey et non-qualifiée aux 24 Heures du Mans 1978.

Hesketh, c'était de l'humour et du second degré. Superbears en reprend l'esprit, avec ce titre emprunté aux Monty Pythons.

A la fin des années 70, les motos Britannique, jadis dominatrices, étaient une espèce en voie d'extinction. Lord Hesketh se dit donc qu'il y avait un nouveau défi impossible à relever !
Il y voyait aussi une rentrée d'argent, alors que le château familial était un gouffre financier. Un moto fut dévoilée en 1980 et produite à partir de 1982.

L'ouvrage est plutôt complaisant envers l'aventure, racontée par son principal protagoniste. En fait, lord Hesketh fit preuve d'amateurisme (il n'avait même pas le permis moto.) L'Hesketh 1000 de 1980 était lourde et pu fiable. Surtout, la "production" était basée dans les locaux d'Hesketh Racing. Une poignée d'ouvriers jouant de la clef allen. Cagiva et Triumph approchèrent Hesketh, avant de tourner les talons. En 1984, Mick Broom, l'un des ingénieurs reprit la marque et il fit revoir de fond en comble les produits. Lord Hesketh continuait d'apparaitre -en costume- sur les photos presse. D'ailleurs, Mick Broom ne quitta pas Easton Neston. La marque a vivoté jusqu'à aujourd'hui, avec des annonces régulière de grands retour.

James Page fait preuve de la même pudeur sur le devenir du lord. Margaret Thatcher le convainquit d'occuper son siège à la chambre des lords. Il fut ministre "junior" des gouvernements Thatcher et John Major. Trésorier du parti Conservateur, il touchait des jetons de présence au conseil d'administration de British Mediteranean Airways. En 2006, il fut en faillite. Il dû démissionner du parti Conservateur et revendre Easton Neston (liquidant de facto Hesketh Motorcycle, Mick Broom étant désormais SDF.) Il siégea un temps au conseil d'administration d'Air Astana, puis se rapprocha du parti populiste UKIP. On est loin de l'image du lord cool et ouvert d'esprit...

Le dernier chapitre est consacré par le parcours post-Hesketh des principaux protagonistes.
"Bubbles" disparu complètement des écrans de radar.
James Hunt devint champion du monde 1976, puis commentateur TV. Il arrêta les excès, mais son cœur le trahit.
Rupert Keegan parti chez Surtees, ensuite, faute de F1, il se reconverti dans l'endurance.
Harvey Postlethwaite fit parti de l'aventure Wolf Racing, avant de rejoindre Ferrari, devenant champion constructeur en 1982 et 1983. Il parti chez Tyrrell, où il prit sous son aile Mike Gascoyne. Après un passage chez Sauber, il revint chez Tyrrell comme bras droit "d'oncle Ken". Embauché par Honda pour un projet de F1, il fut foudroyé par une crise cardiaque.
Frank Dernie fut longtemps le N°3 de Williams, derrière Franck Williams et Patrick Head. Il fut un pionnier de l'informatique en F1. Parti chez Lotus, pour avoir davantage de responsabilités, il déchanta vite. En 2003, Williams le rappela, espérant retrouver son lustre d'entant.
Quant à Nigel Strout, il fut l'auteur de la Mazda victorieuse aux 24 heures du Mans.

Pour finir, le livre décortique le palmarès d'Hesketh Racing, saison par saison, de la F3 à la F1. Avec également le devenir de chaque châssis.

Un livre très exhaustif, sur un thème original et qui met l'accent sur l'ambiance d'Easton Neston. Un ouvrage accessible au novice, bien écrit et avec de l'humour. Bref, il vous le faut !

Commentaires

  1. Wow ! Vraiment pour les passionnés et spécialistes. Par contre et surtout: merci pour l'article https://joest.skyrock.com/3355580852-Rukihiro-Takahashi-1952-2023-et-Ryuichi-Sakamoto-1952-2023.html ! Un bel hommage.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Qu'est-ce que vous en pensez ?

Articles les plus consultés