Drive my car
Après l'actioner du Grand Nord Canadien, place au film d'art et d'essai, avec Drive My Car. Un film actuellement sur vos écrans.
Sur les écrans Français, les films de genre sont uniquement Français ou Américains. De temps en temps, une comédie Britannique traverse la Manche. Mais il s'agit d'un humour plutôt intello (cf. Full Monty, Billy Elliot...) L'humour pouet-pouet, c'est niet. Cette volonté de ne distribuer que des "auteurs" nous prive de film qui ne rentrent pas dans les cases, tel Veloce come il vento.
En conséquence, quand vous voyez un film Japonais à l'affiche (en plus, j'ai été dans un MK2), vous vous doutez que ça sera forcément de la masturbation intellectuelle. Avec au moins trois Ulysse !
Drive my car, cela renvoi a priori aux Beatles. Ça me parle d'autant plus, qu'au début du Blog Auto, Christophe Labédan faisait régulièrement des vidéos. Il pensait que c'était un développement naturel du Blog et il discutait avec Vivolta. Or, chaque vidéo se terminait par le Beep beep'm beep beep yeah! En 2021, ça ne serait plus possible. Apple Records ferait supprimer la vidéo dans les cinq minutes et à la longue, il aurait eu un procès. C'est dire comment on était libre à l'époque...
Bref, de toute façon, ici, point de Fab Four. Le plus proche, c'était quelques notes d'Alpha Centauri, des Tangerine Dream. Tangerine Dream dont le nom serait un hommage aux Beatles (ce qu'Edgar Froese a toujours nié.)
Le "car", c'est une Saab 900 Turbo "fédéralisée" rouge.
Le propriétaire de la Saab, c'est Yusuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima.) Il en a d'ailleurs une autre, au 1/43e, sur son bureau. C'est un metteur en scène de théâtre. Il parcourt le monde pour monter des pièces polyglottes. Un acteur parle dans sa langue et un autre lui répond dans la sienne. Il faut d'ailleurs en maitriser plusieurs pour percevoir les subtilités. La traduction étant parfois un peu chiche sur les sous-titres...
Très élégant et charismatique, Kafuku a tendance à jouer les petits chefs et les donneurs de leçons. Mais au final, dès qu'on élève la voix, il se couche, pour éviter les conflits. Il y a aussi cette scène dans le village, où Kafuku, mal rasé et à bout de nerfs, craque.
Kafuku écoute en boucle Oncle Varnia de Tchekhov. Un peu pour réviser son texte et un peu pour entendre la voix d'outre-tombe de son épouse. La Saab ayant son Clarion d'origine, l'enregistrement est fait sur une bonne vieille cassette (kaseto, en japonais.)
A chaque fois que Kafuku demande à entendre la cassette, je ne peux réprimer un rire. A l'institut japonais des langues, le prof nous passait régulièrement des scénettes, sur VHS (également désignées par kaseto.) Des scénettes souvent surjouées avec des acteurs mal habillés (euphémisme.) Chaque visionnage était donc une franche rigolade. Et lorsque notre très sérieux prof, annonçait "kaseto", c'était l'hilarité générale.
Du coup, dans ces passages censément sérieux, je suis plié en deux, parce que je repense à nos pitreries...
Bref. Sa Saab, Kafuku y tient comme à la prunelle de ses yeux. Mais par un artifice de scénario, il a un chauffeur. Et bien sûr, c'est l'antithèse de ce quinqua "mondialisé" et beau parleur : une jeune paysanne mutique, Misaki Watari (Toko Miura.)
Au début, chacun reste à sa place. Mais ils finissent par s'ouvrir petit à petit à l'autre.
Moment pas très réaliste : Watari n'a jamais vue de Saab, pourtant, elle trouve tout de suite où insérer la clef de contact.
Un bon film, ce sont des seconds rôles. Il y a notamment Koji Takatsuki (Masaki Okada), le jeune premier. Il voue une admiration certaine à Kafuku, au point de chercher à l'imiter. Ce dernier a l'impression de se voir, il y a 20 ans...
Sauf que Takatsuki est idiot. Ainsi, il ne roule pas en Saab, mais en Volvo V40. C'est Oto, l'épouse de Kafuku, qui présente Takatsuki au metteur en scène. Le novice d'évoquer Oto d'un "oku-san" (plutôt réservé aux femmes mûres.) La coquète Oto le rabrou. Takatsuki lui donne alors un "Oto-san" censément respectueux, mais qui sonne comme "oto-san" (le patriarche.) On comprend ainsi d'emblée que Takatsuki n'est pas une lumière...
Et il y a le contexte. Kafuku doit monter Oncle Vania de Tchekhov à Hiroshima. Capitale autoproclamée de la paix, elle adore le concept de pièce polyglotte avec des Coréens, des Chinois et des Japonais. On est cools, on a oublié les rancœurs du passé... L'occasion d'assister au processus de mise en scène, depuis la sélection des acteurs, les séances de lecture, les phases de répétition, jusqu'à la représentation.
Ce n'est pas un script de George R R Martin. Pourtant, le seul moyen trouver par les scénaristes pour faire avancer la narration, c'est de tuer quelqu'un ! C'est très sanglant et à chaque fois, la responsable du festival (Satoko Abe, avec le tailleur imitation Chanel) offre le degré zéro de la compassion.
Notez que les chefs roulent en Mazda Biante, Mazda étant basé à Hiroshima.
C'est un film sur un Japon qui s'ouvre timidement à ses voisins. On voit tout de même que l'archipel reste très fermé, d'ailleurs, ça se ressent dans le casting : le Coréen est en fait un immigrant de deuxième génération, la Taïwanaise est une sino-Américaine (d'où un accent curieux), etc. Un Japon où les normes sociales et sociétales volent en éclat... Mais où l'on croit toujours dans les kami et la réincarnation.
Les plus chatouilleux diront que c'est une vision de l'Asie avec le Japon au centre. Et que cela se ressent jusque dans le vocabulaire. Pour "pantalon", un acteur Coréen emploi un "zubon" emprunté au japonais, alors que les Coréens lui préfèrent "baji".
Le scénario est inégal. Certaines morts sont purement gratuites. Il y a une pointe de misérabilisme. Certaines surprises n'en sont pas : pour deviner que les deux seuls Coréens parlant le langage des signes étaient a minima des proches, pas besoin d'être devin... Mais cela nous montre aussi un monde des acteurs de théâtre, avec leur travail, leurs émotions qui connaissent des hauts et des bas...
On sent surtout que c'est ce que l'occident attend d'un film Japonais. C'est une ode à la mondialisation, avec des personnages désenchantés qui s'épanouissent au contact de l'autre. En plus, c'est une adaptation d'Haruki Murakami, le romancier Japonais contemporain le plus célèbre hors de l'archipel. Un bon film, certes, mais de là à la offrir la Palme du meilleur scénario...
Ce qui plaira moins à Télérama, c'est que c'est aussi une ode à la voiture. Et l'on parle de voiture thermique Crit'air hors catégorie ! Alors que son monde s'écroule régulièrement, le seul point de stabilité de Kafuku, c'est sa Saab. C'est la bulle où il s'isole pour écouter sa fameuse cassette. Et que ce soit au volant ou comme passager, il apprécie les longues balades. Quitte à errer sans but, juste pour méditer...
(Captures d'écrans de la bande-annonce)
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