La voiture du futur sera banale

Chevrolet a annoncé qu'en 2024, il lancera une nouvelle Camaro. Une Camaro 4 portes et électrique. C'est un sacrilège, c'est le degré zéro de l'imagination... Et c'est hélas, ce qui nous attend.

Je vous préviens d'avance, ma démonstration va être un peu longue. Pensez à regarder votre boite mail ou à aller aux toilettes avant de lire la suite. Au moins, ici, il n'y aura pas de publicité pour Nord VPN !

Plus avec moins

L'automobile connait des mutations et ce ne sont pas forcément des améliorations. Il y a quelques semaines, Stellantis annonçait un grand plan. Les quatorze marques du groupe vont se partager quatre plateformes. Plus précisément, les sept marques Européennes du groupe (Alfa Romeo, Citroën, DS, Fiat, Lancia, Opel et Peugeot) vont se partager deux plateformes. (1)
Et pour faire quoi ? Pas grand chose. Lors du Citroën Born Paris XV, j'avais été frappé en regardant la gamme de la marque aux chevrons, vers 2005. Cela allait de la minuscule C1 à la grande C6, avec un break (C5), deux monospaces (Xsara Picasso et C8), un crossover (C3 X-TR), un cabriolet (C3 Pluriel), un multispace (Berlingo) et une C2 VTS très sportive... Aujourd'hui, la C1 et la C4 Spacetourer étant sur le départ, on se retrouve avec les C3, C4 et C5 Aircross, trois SUV cinq portes. (2) Trois modèles ; du jamais-vu chez Citroën depuis 1967, lorsque la Dyane rejoignit les 2cv, Ami 6 et DS.
C'est une tendance de fond. Les microcitadines n'ont jamais été rentables. Les généralistes ont abandonné les grandes berlines dans les années 2000. Le bonus/malus a tué les moyennes supérieures. Les SUV ont chassé les monospaces. Tandis que les coupés et cabriolets ont été liquidés avec la fin de la sous-traitance (Bertone, Heuliez, Karmann, Pininfarina...) Les futures plateformes avec batteries sous le plancher entérinent une architecture haute. Il n'y aura donc plus que des SUV, même si certains songent à des "berlines hautes".
Le downsizing des gammes, la rationalisation du nombre de carrosseries, les Américains ont tenté cela à la fin des années 90. Jusque là, chaque constructeur proposait une gamme pléthorique, enrichis de modèles extra-américains (empruntés aux gammes Européenne ou Australienne) et de modèles d'origine Japonaise. De quoi couvrir tous les segments et surtout, répondre aussi bien à une clientèle conservatrice, qu'à une clientèle voulant des "import". Las, les gammes fondirent et il n'y avait presque plus de modèles spécifique. Or, le client n'est pas dupe. Les marques déjà affaiblies passèrent à la trappe. Entre Eagle, Mercury, Oldsmobile, Plymouth, Pontiac et Saturn (auxquels il faudrait ajouter Geo et Hummer), ce sont près de la moitié des marques qui disparurent. A se demander si Stellantis n'espère pas secrètement que les clients vont faire le tri parmi ses quatorze marques...

"Choix"

Mais, me direz-vous, rien ne vous oblige à acheter du Stellantis. Or, au niveau Européens, Ford et Volkswagen s'allient dans l'électrique. Avec Renault, il n'y aura plus que trois familles de plateformes et de motorisations.
En 2008, Jeremy Clarkson se plaignait déjà de l'uniformité des voitures. En l'occurrence, dans les compactes sportives, il avait connu la fin des années 70. Vous aviez des tractions et des propulsions, des 2 portes et des 3 portes, des 4 cylindres-en-ligne et des boxer, des turbos, des injections électronique et des culasses 16 soupapes... En 2008, vous n'aviez déjà plus que des tractions 3 portes. En 2021, comme Citroën, les constructeurs n'auront bientôt plus que des SUV 5 portes. Demain, ça sera encore pire, car la X partagera sa plateforme, sa motorisation et ses batteries avec ses concurrentes directes.

Après tout, cela faisait des années que l'on tendait vers cette standardisation extrême. Il suffit de relire la presse au printemps 2000, lorsque GM et Fiat Auto mettaient en commun moteurs et plateformes. On prophétisait déjà une industrie automobile où les dessous seraient communs. Les analystes s'appuyaient sur l'informatique, où 98% des ordinateurs étaient des PC. PC équipés majoritairement de microprocesseurs Intel Pentium et de l'OS Windows 98.
Néanmoins, ces prévisionnistes tablaient sur une différenciation basée sur le marketing et le design. C'était grâce à ces outils que des fabricants comme Acer, Compaq ou Dell avaient pu émerger. Alors que leurs PC étaient similaires à ceux de leurs concurrents.
Or, pour le design, c'est rappé. Les constructeurs sont extrêmement précautionneux. La "personnalité" se limite à des flancs sculptés et à la "signature visuelle". D'ailleurs, lors des présentations, ils s'empressent d'enchainer sur le combiné multimédia, qui se raccorde à vos enceintes connectées.
Et le marketing ? En 1985, un Austin-Rover au bord du gouffre tournait une série de spots (hilarants) avec Eric Idle, Nigel Mansell et Muray Walker. A la même époque, pour lancer la 205, Peugeot utilisait deux des hits du moments : Tell me why de The Communards et Such a shame de Talk Talk. Peu après, pour la 309, la firme au lion faisait appel à un Etienne Chatillez tout juste auréolé du succès de La vie est un long fleuve tranquille. Au Mondial de Paris 1998, pour fêter son partenariat avec Tomb Raider, Seat a distribué des tee-shirts aux visiteurs du salon. Les budgets se sont réduits à peau de chagrin. En 2021, Renault diffuse une pub avec un caméo du maillot de Bernard Hinault et une reprise de Eye of the tiger par une chanteuse sous sédatifs !
Jusqu'à la fin des années 90, on pensait que chaque modèle devait avoir un story-telling, un univers. Le Berlingo eu ainsi droit au raid Paris-Samarkand-Moscou et la Xsara Picasso au hit de Pink Martini, Je ne veux pas travailler. Puis il y a eu la jurisprudence du Porsche Cayenne : ça se vend, alors pourquoi se décarcasser à faire un lancement produit de folie ? D'où des véhicules sans aucun univers, sans aucune profondeur. On les voient défiler, comme si l'on était une vache au bord d'une voie ferrée...
Et ce n'est qu'un début. Pour financer leurs investissement lourds pour électrifier leur gamme, les constructeurs ont levé des fonds auprès des marchés. En échange, ils promettent une rentabilité accrue et des dividendes en fin d'année. C'est par exemple le discours de la pas-très-experte-comptable de Renault : du cash, pas du blabla. Donc ils comptent notamment sacrifier les dépenses marketing. Plus question de pousser un modèle. Alors que le passage à l'électrique pourrait être au contraire l'opportunité de raconter de nouvelles histoires et d'amener les marques sur de nouveaux terrains.

Du réchauffé comme plan-produits

Les perspectives du marché automobile ne sont pas bonnes. Il y a quatre ans, PriceWaterhouseCooper annonçait que le parc automobile Européen allait passer de 280 millions à 200 millions de véhicules, d'ici 2030. Soit des ventes VN qui passeraient de 15,6 millions à 11,2 millions d'unités annuelles. A titre de comparaison, durant l'année 2020, marquée par le Covid, il s'est écoulé 14,1 millions de VN et beaucoup de constructeurs tiraient la langue... Les politiques ont profité de la crise Covid pour accélérer les mesures autophobes : coronapistes, ZFE, etc. Il est encore trop tôt pour mesurer l'affect sur les ventes, mais ça ne sent pas bon... Le gâteau va rapetisser et en plus, il y a plus de monde autour de la table, avec l'arrivée des Chinois. Jusqu'ici, on pensait les nouveaux entrants inoffensifs : les Japonais et les Coréens avaient mis plusieurs décennies à s'imposer. Pour le coup, Tesla a été disruptif : en 2019, neuf ans après ses débuts Européens, le constructeur écoulait 111 728 véhicules sur le vieux continents. Or, plusieurs marques Chinoises ambitionnent de marcher sur les traces de la firme d'Elon Musk...
Comment résister face aux nouveaux venus ? Les constructeurs sont conscients de leur manque de légitimité dans les VE et les SUV. Pendant 50, 100, voire 125 ans pour Mercedes-Benz, ils ont construits presque exclusivement des berlines thermiques. Certains, comme Peugeot, fouillent dans leurs archives pour clamer que oui, ils ont toujours été pro-électrique ! Pour essayer d'intégrer tant bien que mal leurs patatoïdes électriques à leur histoire, il y a la possibilité de l'hommage. Ce qui a marché, en matière d'hommage, ce sont les roadsters et coupé des années 90 : Audi TT, BMW Z3, Fiat Barchetta, MG F, Porsche Boxster... Des dessins qui piochaient discrètement au passé, pour mieux créer un nouveau langage. Hélas, trop souvent, c'est juste un copier/coller de tel modèle. Personnellement, je trouve que c'est de la paresse intellectuelle. Des modèles comme la Chevrolet Camaro, la Ford Thunderbird ou la Volkswagen Coccinelle ne créaient rien, n'apportaient rien. Aujourd'hui, la tendance, c'est de plaquer un avant connu sur un patatoïde. La Ford Mustang E-Mach ouvrit le bal, avec un certain succès. Alors d'autres s'engouffrent dans la brèche. Cela permet de raccrocher le véhicule à son histoire, de vampiriser l'univers du modèle original et de s'adresser aux puristes de la marque (quitte à les tancer en cas de critique.) Opel est ainsi fier de sa future Manta e, Chevrolet prépare donc une Camaro électrique 4 portes et Dodge fera sans doute de même avec la Challenger. Quant à Renault, il annonce une R4, une R5, une R5 Alpine, une Alpine A110 EV et un Lada Niva. A croire qu'ils ont embauché Christophe Schwartz comme responsable produit ! (3)

La ruée vers rien

Trêve de plaisanterie, tout cela brosse le tableau de constructeurs occidentaux aux abois. Ils sont forcés d'aller vers des SUV électriques qui leur coutent cher et ils n'ont aucun budget pour les promouvoir. Surtout, les constructeurs semblent sidérés ; la boite à idées est vide. Tous les modèles économiques de ses trente dernières années deviennent obsolètes. L'industrie automobile, comme toute innovation, a connu des coups d'accélérateurs et des arrêts brutaux. Mais le dernier en date remontait à la grande crise du pétrole de 1974. L'automobile en avait oublié les sauts dans le vide. D'où sa fébrilité face au passage au tout électrique. Au moins, cette fois-ci, ils disposent d'un calendrier, afin d'anticiper les coups. Tous ces tumultes s'étaient accompagnés d'une recomposition du paysage automobile. Et personne n'a bien sûr envie d'être le grand perdant de la vague qui vient...

(1) Jeep et Maserati étant des marques de niches, nous ne les compteront pas.
(2) L'Ami est un quadricycle lourd et avec 2 609 immatriculations en 2020, elle ne devrait pas faire long feu.
(3) Pour le Mondial 2008, Le Blog Auto avait confié les interviews de PDG à Christophe Schwartz et à "Blondinet" (votre serviteur se conservant Brilliance.) Fidèle à ses habitudes, Blondinet est arrivé à 11h30 et il a passé la journée à blaguer avec le boss. On a donc laisser faire Christophe Schwartz, qui demandait systématiquement aux PDG : "Quand est-ce que vous allez faire des designs en hommage aux années 70 ?"

Commentaires

  1. La seule Citroën en vp produite en France aujourd'hui, c'est la c5 ac. La ds9 vient de Chine. Mon téléphone, mon ordinateur, les jouets des enfants, la télé, pas mal de meubles viennent de Chine. Alors pourquoi ne pas acheter une voiture chinoise si les prestations sont bonnes ?

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  2. Très clairement, l'Europe abandonne ses avantages technologiques au nom de promesses aventureuses, un peu comme la France qui renonce au nucléaire au prétexte d'un verdissement imposé par des pays qui tournent au charbon. On condamne le moteur thermique comme s'il était sain de condamner une technologie et de produits par dogme, et non par bilan. Quel est le bilan en terme de pollution d'un renouvellement massif de parc automobile, d'une conservation court terme de véhicules ? La voie de la préservation et évidemment moins commode à vendre que celle de la surconsommation, camouflée en préoccupation écologique dont on ne maitrise guère les tenants et aboutissants (comme si les nouvelles technologies en remplacement étant non polluante, comme si le développement technologique n'était pas qu'une longue histoire de substitution d'un polluant par un autre, encore inconnu ou sous-évalué).

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