L'Affaire Bugatti

Un autre exemple de bon album de Michel Vaillant ! En 1991, L'Affaire Bugatti mettait en scène Michel Vaillant et Steve Warson face à un voleur de Bugatti.


L'Affaire Bugatti est l'un des derniers albums de Michel Vaillant réalisé par Jean Graton. Philippe Graton, son fils, prenant le relais en 1994.
Il est sorti au moment de la présentation de l'EB110. C'était le hasard du délais l'impression. Surtout, l'EB110 avait fait figure d'Arlésienne ; impossible pour Graton Editeur d'avoir prévu le coup. Pour autant, l'album profita du "bruit" autour de Bugatti.
Ça serait impossible à rééditer en 2021. Le scénario passerait entre quinze mains et Graton Editeur devrait payer une somme astronomique pour chaque apparition du nom, du logo, etc.

La série part sur un chemin de traverse, loin du championnat du monde de F1. La case ci-dessous est l'unique vue de F1 de l'album ! Notez le long capot arrière, typique des premiers atmo.

Le prologue est un peu interminable, avec un déjeuner de la famille Vaillant (avec Steve Warson et Julie Wood) à la Jonquière, la résidence d'Henri Vaillant.

Visiblement, Jean Graton avait alors la nostalgie des Labourdet. De 1965 à 1972, l'auteur anima cette série, en parallèle à Michel Vaillant. Les scenarii étaient signés par son épouse, Francine. Les Labourdet, c'était l'histoire d'une famille, entre théâtre de boulevard et roman-photo (la fille ainée, Françoise, hésitant entre deux prétendants.) La BD était publiée par l'hebdomadaire féminin conservateur Chez Nous. Puis le magazine changea de main. Le nouveau propriétaire tenta de dépoussiérer (un peu) le titre et les Labourdet partirent à la trappe. Chez Nous disparu néanmoins dans les années 80.
Ici, comme dans Les Labourdet, on retrouve ce goût pour les tirades, les femmes qui parlent chiffon... Francine Graton aurait d'ailleurs soufflé les interactions. L'originalité, c'est qu'Henri Vaillant et sa femme Elisabeth sont au cœur de l'action.

Jean Graton a toujours été persuadé que Les Labourdet étaient une série qui gagnait à être connu. D'ailleurs, Graton éditeur a non seulement réédité les albums, mais également publié les récits de Chez Nous jusqu'ici inédits en album.

En fait, Les Labourdet étaient déjà ringards en 1965 et un quart de siècle plus tard, la scénette de La Jonquière est carrément affligeant. Tant sur le fond, que la forme. A commencer par le vouvoiement, ainsi que la distance entre Henri Vaillant, Elisabeth et les autres.
L'exploitation, en F1, ce n'est pas un métier où vous partez le vendredi à 17h et vous ne revoyez vos collègues que le lundi à 8h... Non, il y a les week-ends de course, les essais, les events, etc. C'est autant de journées entières ensemble, loin de chez vous. Les autres membres de l'équipe deviennent votre famille, vos amis, vos confidents. Aux abords des petits circuits, il n'y a qu'un seul hôtel. Donc vous dînez ensemble, vous dormez au même endroit, etc. Le tout avec des moments forts, dans la victoire, comme dans l'échec. Je suis sûr que Lewis Hamilton connait le patron et la situation de famille de chacun de ses mécanos ou qu'Eddie Jordan est toujours en contact avec nombre de personnes ayant travaillé dans son équipe.
Donc un Henri Vaillant qui vouvoie Steve Warson, ça sonne faux...

Puis Jean Graton nous refait le coup de l'ami perdu de vue depuis des années. Cette fois, c'est pour Steve Warson, qui voit débarquer John Domfries. La ressemblance avec "Johnny Dumfries" (John Colum Crichton-Stuart, marquis de Blume et naguère comte de Dumfries, pour l'état-civil) s'arrête au nom. Dumfries était un pilote Ecossais, au visage juvénile. Domfries, lui, est un homme d'affaire Américain très baraqué.

L'histoire qui suit peut sembler incongrue, dans l'univers de Michel Vaillant. Domfries a contacté Warson pour organiser un évènement autour de Bugatti, à Zandvoort, avec l'aide du musée Schlumpf. On reconnait Jean-Claude Delerm, alors responsable du musée.

Pierre-Jean Rémy, responsable de la communication du musée Schlumpf, avait fait des appels du pied auprès de Jean Graton. L'auteur visita le musée, en 1989. Cela abouti à la création par l'école des Beaux-Arts de Nancy de la maquette de la Vaillante Grand Mystère. Puis son exposition au musée Schlumpf.
En 1991, Jean Graton proposa cette fois de faire apparaitre le musée dans un album. Guillaume Lopez s'occupant de reproduire les bolides anciens. L'Affaire Bugatti était une discrète publicité. Le paradoxe, c'est qu'à l'époque, le musée Schlumpf voulait se défaire de l'image de "musée Bugatti" (d'où la création de la Vaillante Grand Défi.) Or, l'album était justement centré sur la marque !

Quoi qu'il en soit, c'était fait avec subtilité et discrétion. Contrairement, aux partenariats ultérieurs noués par Philippe Graton...

Dans la troisième parti de l'album, nous voilà à Zandvoort. 

En une semaine, Domfries a pu réserver le circuit Néerlandais et y faire venir du public. Ils ont également pu trouver une trentaine de voitures de Grand Prix en état de marche (dont deux douzaines de Bugatti du musée Schlumpf) et de vielles gloires pour les piloter ! En prime, Vaillant a fourni des combis sur-mesure à tout le monde.
La prochaine fois que vous croisez un responsable de com' et qu'il se plaint du planning, traitez-le de fainéant !

Les "vieilles gloires", ce sont de vrais pilotes, lecteurs de la série et parfois amis personnels de Jean Graton. Jacky Ickx en est, bien sûr. On croise également Alain Dex (Alain Semoulin ; pilote de tourisme belge des années 60, 70), Pierre Dieudonné (ancien pilote de tourisme et d'endurance, ainsi que grand journaliste auto), Hans Hugenholtz (pilote d'endurance et fils du co-créateur de Zandvoort), Ben Huisman (pilier du circuit), Jan Lammers (qui, a l'instar de Michel Vaillant, ne vieillit pas), Fabien Giroix (Garage du Bac en force !) et Jean-Denis Delétraz (quasi-retraité en 1991 et pourtant pilote de F1 trois ans plus tard !) On retrouve également de vieux personnages fictifs, comme le pilote de Grand Prix Bill Rix, Yves Douléac (cousin de Michel Vaillant et pilote de silhouette) et sa compagne Gabrielle Spangenberg (sa coéquipière.)

L'ambiance est à la camaraderie, avec des joutes amicales (en piste et dans le paddock) entre Jacky Ickx et Steve Warson.

La force de L'Affaire Bugatti, c'est que le scénario est imprévisible. On a à peine passé la mi-album lorsque l'action bascule : Steve Warson s'est fait doubler par John Domfries. Même un adulte ne l'aurait pas vu venir.
Michel Vaillant bouscule son équipier et il prend les commandes de la narration. L'occasion très rare de voir un Michel Vaillant hors de ses gonds, prenant Warson à parti. Et un tout aussi rare Warson sidéré, faisant le gros dos et battant sa coulpe.

Mais il y a un second rebondissement, tout aussi imprévisible...

Comme d'habitude, Jean Graton donne l'impression d'avoir eu peur d'être "court". Total, en page 38, l'aventure est finie. Il fait alors appel à Monsieur Meuble pour l'épilogue...

Après le feu d'artifice de l'intrigue principale, il y a de quoi rester sur sa fin. D'autant plus que ce n'était pas très réaliste. Au départ, le cyclecar BNC Sport de la collection Schlumpf restait dans l'échappement du Bugatti Type 35 trois fois plus puissante ! Une frêle Gordini T15 F2 tentait de doubler une grosse Talbot-Lago T26C, alors qu'elle lui rendait 70km/h en vitesse maximale (en plus, avec son quatre cylindre Simca gonflé, la Gord' avait besoin de beaucoup d'élan pour atteindre les 200...)

Dommage aussi de ne pas davantage mettre en valeur le circuit, avec ses dunes et son tracé assez viril (y compris dans la configuration du début des années 90, la plus courte.)

En définitive, L'Affaire Bugatti était un album en marge de la série. On y a vu Henri Vaillant en patriarche. Puis Steve Warson fut tour à tour altruiste, complètement dépassé par les évènements, puis rusé. On sent encore une certaine spontanéité. Jean Graton a mis ses idées sur le papier, sans trop se poser de questions (alors qu'il avait créé lui-même pas mal de dogmes sur le personnage principal, la série, etc.) C'était aussi un Michel Vaillant presque sans Michel Vaillant, alors que bientôt, on allait avoir un Michel Vaillant sans Jean Graton...

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