The Reveal - Lynk & Co


Oyez, oyez braves gens ! Une nouvelle marque débarque en Europe : Lynk & Co. En 2021, il sera possible d'acheter le 01, un SUV sino-suédois. La marque l'a dévoilé lors d'une e-présentation de 12 minutes, intitulée The Reveal. Un titre pas forcément heureux, car dans le Nouveau Testament, le Livre de la Révélation, c'est l'Apocalypse...

Made in China
Durant ces 12 minutes, jamais les mots "Chine" ou "Geely" sont évoqués. Lynk & Co préfère s'étendre sur son bureau de conception en Suède et son cousinage avec Volvo.

Surtout, il y a tout ces plans très impersonnels de jeunes gens qui s'amusent. On dirait des stock-shots Getty. On pourrait les reprendre pour une pub sur un nouveau forfait téléphonique ou d'achats de vêtements en ligne. Paradoxalement, ces images génériques et hors-sol sont très Chinoises.
D'une part, pour les Chinois, le 外国 (littéralement "pays des étrangers") est un ensemble aux contours flous, mais aussi hétérogène que l'est la Chine. D'autre part, il y a cette inhibition des Chinois à parler d'eux-mêmes aux occidentaux.

C'est dommage, car Geely possède une histoire intéressante. Li Shu Fu, son fondateur, était un fils de paysans du Zhejiang. Il n'a jamais mis les pieds au collège, il ne parle que son dialecte local et il n'était pas membre du Parti. Pourtant, à 35 ans, en 1998, il devenait le premier acteur privé à produire une voiture, en Chine. Aujourd'hui, il tutoies Xi Jinping.  Surtout, son groupe s'est offert Volvo (dont il a extrait Polestar) et London Taxi (transformé en London Electric Vehicle.) Il contrôle Proton (donc Lotus) et il est le premier actionnaire de Daimler. Dernière prise en date : Smart, qui est désormais une joint-venture entre Daimler et Geely.

Lynk & Co est une filiale de Geely. Notez que des berlines Lynk & Co courent en WTCR, via le Cyan Racing.

Mais le constructeur préfère faire un gros plan sur un vague sosie de Greta Thunberg.


Alain Visser est notre sherpa du jour. Ancien de GM Europe, puis de Volvo, le Belge est à la barre de Lynk & Co depuis sa création. 

Apparemment, c'est aussi le fils biologique d'Alain Afflelou et de Philip Seymour Hoffman.


96%
Ce n'est pas le titre du nouvel opus de Frederic Beigbeder, mais le premier thème. Votre voiture est inutilisée durant 96% du temps.

C'est un chiffre très répandue. Mais à l'instar de "vous n'utilisez que 10% de vos capacités cérébrales", il est faux.

4% d'utilisation, cela correspond à 58 minutes. Effectivement, en 2015, le ministère du travail nous disait qu'en moyenne, le trajet travail-domicile quotidien prennait en moyenne 50 minutes, pour les Français. Pour les automobilistes, le trajet moyen était de 35 minutes... Oui, mais d'après l'étude, pour les habitants des grandes villes et de leurs banlieues, ce temps était doublé. Et depuis 2015, les choses ne se sont guère améliorées... Surtout, c'est en admettant que vous n'employiez pas votre voiture pour d'autres activités. Et c'est sans compter les phases de recharges, pour les VE...


Membership/Sharing
La conclusion de Lynk & Co, c'est qu'en fait, la plupart du temps, votre voiture ne sert à rien. Alors pourquoi ne pas la partager ? Le 01 sera proposé sous la forme d'une location mensuelle. Le prix du loyer est fonction de votre propension à partager votre Lynk & Co.
Car en face, il est possible de télécharger une appli. Elle vous indique où se trouve le 01 libre le plus proche et vous pouvez ainsi l'emprunter.
Et si le propriétaire est très généreux sur la mise à disposition de sa 01, son loyer sera gratuit ! Dans le pire des cas, il sera plafonné à 500€.

L'idée sous-jacente, c'est de passer d'un modèle de "propriété" d'un véhicule, à un modèle "d'usage". C'est un concept qui fait tâche d'huile. La première fois que je l'ai lu,  c'était dans une tribune d'un élu Nordiste EELV, dans Le Monde (NDLA : je n'ai pas retrouvé l'article), vers 2015. L'exemple pris, c'est celui de la musique ou des films, où l'on s'abonne à un service et où l'on vient piocher ce qui nous intéresse. Cela plait beaucoup aux 18-25 ans. Ils cherchent de la flexibilité dans leur vie y compris professionnelle et sentimentale ; pouvoir tout quitter du jour au lendemain. Accessoirement, cette économie de partage, de troc ou d'échange (cf. Airbnb) permet un accès (notamment à l'immobilier) qui n'est plus possible autrement.

Mobility
Enfin, à 8'15, on parle (et l'on voit) enfin le 01 !

Alain Visser ne s'en cache pas : il repose sur la plateforme du XC40. C'est aussi un moyen de rassurer la clientèle. Il en reprend le 3-cylindres 1,5l et grâce à une batterie 14kWh, il possède 50km d'autonomie en mode électrique pur.

L'équipement, les performances ? "Je ne veux pas vous ennuyer avec cela !"

Le 01 sera proposé en version hybride et hybride plug-in. Il n'y aura pas d'options et seules deux teintes sont proposées : noir ou bleu.
Voilà qui nous ramène à la fin des années 70 avec Japauto et la Honda Prélude. Dans les deux cas, il s'agit de réduire la diversité au maximum face à la faiblesse des volumes attendus. Qui plus est, il y a la question de la gestion de la chaine logistique. Les Honda arrivaient du Japon ; les Lynk & Co, eux, sont produis à Taizhou, en Chine.
Au moins, le client pourra de suite repartir au volant d'un véhicule.


Community
Pas facile d'écouler une marque inédite.
Le réseau Volvo ? Il doit déjà se charger du maladroit van VN5 de LEVC. Il ne faudrait pas les prendre pour des canards sauvages...
Créer un réseau ex nihilo ? C'était le pari de MG UK, à l'ère NAC-SAIC. 10 années de traversée du désert et maintenant, la marque à l'octogone doit refaire le chemin en Europe Continentale. C'est long et pénible. Qui plus est, Byd et dans une moindre mesure GAC et Haval, sont en embuscades.

D'où la solution de voir grand d'emblée. Et pour faire face au foncier, Lynk & Co a prévu de rentabiliser les lieux avec des évènements sportifs et culturels. Le constructeur glisse un sibyllin : "Nos portes seront ouvertes à tout ceux qui respectent nos valeurs." Pas sûr donc qu'ils autorisent les représentations de Shen Yun ou les retransmissions de matchs des Houston Rockets...


Le debrief
Lorsque la présentation se termine, mon premier constat, c'est que je n'ai pas appris grand chose sur Lynk & Co et le 01.

Trêve de plaisanterie, Lynk & Co a conscience que le marché Européen est saturé. Geely avait tenté deux fois d'y percer. En 2006, Li Shu Fu effectua une présentation dans un hall d'hôtel de Detroit, en marge du salon. En 2011, Geely fit passer le crash-test EuroNCAP à sa berline EC7 (obtenant un appréciable score 4 étoiles.) Mais aucun distributeur n'en voulu.

Pour faire son trou, elle vise une clientèle urbaine, n'ayant pas ou plus de voitures. Son offre est assez radicale et axée sur les services.
On retrouve néanmoins des lubies de Li Shu Fu. Il a toujours songé à vendre des voitures autrement. En 2010, à Pékin, il avait dévoilé la Gleagle IG, une voiturette qui aurait été vendue 1000€... Mais l'acheteur devait se débrouiller pour la motorisation ! L'année suivante, le Gleagle TMall proposa des citadines Panda sur internet. Ce furent deux flops.

Je suis très dubitatif sur l'ambition de révolutionner à la fois l'achat et la possession d'un véhicule.

Une marque inédite, qui tente de donner un coup de pied dans la fourmilière ? Voilà qui rappelle Smart, en 1999. J'ai justement conservé reduce to the max, le livre distribué aux clients potentiels, lors du lancement de 1999.

Je soupçonne que l'ouvrage était sur la table du service marketing de Lynk & Co. On y retrouve plusieurs éléments. Comme les interviews de djeuns branchés et urbains :


En 1999, Swatch et Mercedes-Benz fondaient MCC (Micro Car Company.) Outre une voiture complètement inédite, MCC devait proposer des services. Il devait être possible de changer les panneaux de carrosserie (hors arceau) en 20 minutes, pour coller à l'humeur du jour du conducteur. On devait payer le stationnement à moitié-prix (vu que l'on n'occupait qu'une demi-place.) Surtout, les Smart devaient être vendues dans des tours en verre. On pouvait choisir son véhicule et repartir avec dans la foulée ; pas de bon de commande, ni de négociation. La vente sur internet était à l'étude.

Toutes ces idées ont fait long feu. Pour éviter le naufrage, Mercedes-Benz a du racheter les parts de Swatch et transformer Smart en constructeur plus classique.

L'un des freins, c'est l'âge du capitaine. D'après la New Car Buyer Survey de 2015, l'acheteur de VN a en moyenne 55 ans. Un quart des acheteurs de VN ont même plus de 65 ans. C'est une clientèle conservatrice, voire frileuse. En 1999, Mercedes-Benz s'était rendu compte que la réalité des acheteurs de Smart ne correspondait pas du tout à la cible visée (les jeunes) et il avait du corriger le positionnement en conséquence. Pas sûr que notre djeun de 55 ans veuille que son SUV Lynk & Co neuf reçoive le traitement d'une Autolib...



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