F1 : le retour des motoristes ?

Audi poursuit son teasing autour de son arrivée en F1. Voilà que maintenant, Ford songe à un retour en 2026. Tandis que Honda, jamais vraiment parti, va apposer de nouveau son logo sur les "power unit" de Red Bull et Alpha Tauri en 2023. En admettant que personne ne parte, on aura six motoristes en F1, à l'horizon 2026. Soit plus d'un moteur pour deux équipes. Du jamais vu, dans l'ère hybride. Dire qu'au début, chaque équipe motorisait trois, voire quatre équipes...

L'arrivée d'Audi part de deux hypothèses (au sens scientifique du terme.)

Hypothèse N°1 : la sortie du thermique sera un séisme dans l'automobile. ECG prévoit un niveau de vente de 18 millions de voitures en Europe, en 2035. Soit environ 2 millions d'unités supplémentaires qu'aujourd'hui... Mais Deloitte tempère en précisant que 80% de la croissance sera captée par les constructeurs Chinois. Ce sera également une redistribution complète des cartes, dans le secteur premium.
La firme aux anneaux compte bien sortir son épingle du jeu. Comme le prouve ses ambitieux concept-cars "Sphère" (dont un quatrième avatar sera dévoilé en janvier.)

Hypothèse N°2 : la F1 est le meilleur vecteur de promotion. Audi a toujours eu une politique de mise en valeur de ses technologies par le compétition, quitte à devoir repartir d'une feuille blanche. Il y a eu le Quattro avec le rallye, dans les années 80. Le TDI, via l'endurance, dans les années 2000. Pour l'e-Tron, la Formule e semblait idéal.
Audi fut l'un des tous premiers constructeurs à sauter le pas. Avec quatorze victoires (+1 en tant que vraie-fausse structure privée), un titre pilote et un titre équipe, c'est l'un des plus beaux palmarès de la FE. Mais les retombées sont nulles. Au bout de sept saisons, l'engouement n'était toujours pas là. Il préfère miser sur une valeur sûre : la F1.

Si Audi craint pour sa place après la disruption de l'électrique, pour Ford, c'est encore pire. En tant que généraliste et avec une notoriété faible (en qualitatif), il a tout à perdre dans la bataille.
D'autant plus qu'à l'instar de son stand au Mondial de Paris 2022 (si, si, il était là !), la marque à l'ovale bleu est très discrète en occident. La Mondeo et la Fiesta sont parties sur la pointe des pieds. La Mondeo est sa dernière voiture basse. Ford Europe compte rebondir avec le Bronco (100 000 ventes par an, aux USA.) En attendant un plan de scission des activités (Blue Ford vs Green Ford.) Otosan devant a priori récupérer le "Blue"...

Pour rebondir, il faudra plus que les photos jaunies de la Mustang et du Bronco ! Jusqu'ici, Ford s'appuyait sur le WRC. Or, clairement, plus personne ne s'intéresse au rallye et l'ovale bleu cherche une alternative.
La FE ne décolle pas (et ne parlons pas de l'Extreme E...) Le public boude le WRC et le WRX. Le WTCR et le DTM se sont sabordés. Bref, le sport auto va mal. D'autant plus qu'aucun nouveau constructeur n'ose miser sur une discipline en perte de vitesse ; accélérant son trépas. Le WEC s'en sort avec une formule low-cost, le LMDh, où le constructeur se contente de fournir le moteurs et de mettre son logo sur un châssis existant. Néanmoins, il affiche déjà complet.
Aussi, il ne reste plus que la F1. Elle seule offrirait une visibilité globale à Ford. Qui plus est, il y possède une légitimité, avec une présence des années 60 aux années 2000. Le constructeur pourrait choisir de s'appuyer sur son partenaire historique, Cosworth, afin de limiter les coûts.

On ne peut que se réjouir d'une multiplication du nombre de motoristes présents en F1. Cela pourrait libérer des équipes comme McLaren, Haas et bien sûr Sauber/Audi, qui n'auront plus de compte à rendre à un "grand frère".

Le risque ça serait de retomber dans les travers de la F1 des années 2000. Les constructeurs s'étaient engouffrés en masse. Souvent, ils débarquaient pour marquer leur frère-ennemi à la culotte (cf. Honda-Toyota, BMW-Mercedes-Benz et un peu plus tôt, Peugeot-Renault.) La FIA, qui avait un volonté d'élite, n'était pas mécontent d'écarter Judd, Hart ou Mecachrome, méconnus du grand public. De même que Bernie Ecclestone avait éloigné les petites écuries au profit de constructeurs.
Or, forcément, il n'y a qu'un seul champion en fin de saison. Un matin, le conseil d'administration du dernier du classement s'impatiente : "A quoi bon claquer des millions pour finir dernier ?" Donc il part. Puis c'est au tour de l'avant-dernier, devenu dernier, de faire ses valises, etc. C'est la théorie du dernier wagon. Aussi, dans le cas des rivaux, lorsque l'un part, l'autre voudra l'imiter.

En quelques années, vers 2005, la F1 perdit ainsi quatre motoristes. Avec l'arrivée de l'hybridation, le deal était de proposer des moteurs clients à divers écuries. Ainsi, cela offrait davantage de recettes. Mais cette F1 à trois motoristes offrait un plateau figé et les constructeurs apparaissaient désormais comme des équipementiers. L'arrivée de Honda permit de débloquer un peu la situation.
L'étape suivante, cela aurait dû être la commonalité des châssis. A minima, des écuries auraient pu vendre des éléments de carrosserie. Mais la FIA resta inflexible sur ce point. Pendant ce temps, avec la réduction du nombre de moteurs par an (y compris les blocs pour bancs d'essai), la logique de vente s'estompa. Renault se retrouva d'ailleurs sans client en 2021.

D'où un retour du paradigme d'avoir davantage de moteurs.

La F1 se félicite de son plafond des coûts et de sa nouvelle réglementation moteur, plus "verte", pour 2026. Elle se vante également que Drive to survive a redynamisé la discipline et rajeuni son audience.

Risque-t-on de retomber dans les travers de 2005 ? Non, car au-delà d'Audi et Ford, aucun autre constructeur n'a laissé entendre qu'il pourrait sauter le pas. Même si, en cas de déconfiture du WRC, Hyundai pourrait miser sur la F1. Quant à Porsche, l'autre éléphant blanc, il a préféré rompre son accord à peine signé avec Red Bull.
Donc aucun risque d'arrivée massive.

Les constructeurs sont sur une ligne de crête. Les voitures électriques coutent cher à produire, les constructeurs possèdent moins de leviers vis-à-vis de leurs fournisseurs et les volumes seront moindre.
L'automobile multiplie les appels du pied auprès des marchés financiers. En échange, ils s'engagent à davantage de rentabilité et à supprimer le superflu. Les Américains se sont engagés dans cette financiarisation au temps du Chapter 11 et ils en payent le prix : pertes de part de marché, absence de nouveaux produits, capacité en R&D nulle... Ford souhaite justement défaire les cordons de la bourse, pour sortir de la marginalisation.
Enfin, comme le souligne Marc Limacher, la compétition n'est plus l'unique moyen de communiquer. Le football, les Jeux Olympiques et quelques évènements annuels (Roland Garros, Tour de France...) touchent un public beaucoup plus large. 3,5 milliards d'habitants ont regardé au moins un match du Mondial 2018, alors que seuls 445 millions d'habitants ont vu un bout de Grand Prix de F1, en 2021. Dans ces 3,5 milliards, il y a notamment les jeunes et les populations extra-occidentales. Or, c'est auprès d'eux que les constructeurs veulent se faire connaitre ; prêcher des convaincus ne sert à rien ! Sous l'influence des marchés financiers sus-cités, les budgets se sont réduits. Et mettre son logo sur un maillot ou dans un stade coûte presque aussi cher que de construire des voitures de course ! Donc, c'est la compétition ou les sports collectifs. Lotus ou MG n'ont pas de programme sportif d'envergure, par contre, ils sont tous les deux présents dans le football.

La conclusion, c'est que les services marketing/communication sont désorientés. Entre des modèles passés qui ne fonctionnent plus et des injonctions contradictoires de leurs directions.

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