EV Day 2021 Stellantis

Un peu moins de six mois après l'annonce de la création du groupe, Stellantis dévoile son premier grand plan. Un projet ambitieux d'électrification de sa gamme mondiale. Un défi technique, commercial, mais également financier.

Carlos Tavares ouvrait la marche. Un exercice difficile, car il s'adressait non seulement à la presse, mais surtout aux marchés financiers.

Eu égard de l'enjeu, les différents intervenants auraient du sans doute davantage répéter. A commencer par le PDG, lui-même...

Ainsi, il avait tendance à baisser les yeux en plein milieu de phrase, pour lire ses notes. Le plus beau moment : "Les collaborateurs de Stellantis sont mus par... (baisse les yeux) la passion." Cela rappelait le sketch Video Gog des Inconnus. 

Plus sérieusement, on sent qu'il n'a pas rédigé lui-même son discours et qu'il lit sans enthousiasme son texte. Alors qu'un Luca di Meo s'offre de micro-improvisations pour faire vivre ses mots et y donner davantage de conviction.

Le trait d'humour involontaire du jour fut pour Thierry Koskas, vice-président ventes et marketing. S'adressant à l'animateur, Paul Barrett, à propos des inconvénients des VE, il lança : "Oui donte ignore zat, Paul, fort sri risonze..." What the fuck, France ?

La douloureuse

Plus sérieusement, si l'enjeu est grave pour Stellantis, c'est que le passage aux VE coute cher. Très cher. Le groupe a estimé qu'il allait avoir besoin de 30 milliards d'euros pour financer les nouvelles plateformes, les recherches sur les batteries, les gigafactory, etc.
Cela correspond peu ou prou à son chiffre d'affaires au premier trimestre 2021 (34,7 milliards.) A titre de comparaison, pour Push to Pass, en 2016, ce même Carlos Tavares n'avait eu besoin que de 100 millions d'euros, pour financer la croissance de PSA. Les marchés sont réservés sur les constructeurs automobile, jugés peu rentables. Et ces 30 milliards ne serviront qu'aux VE ; ils ne couvriront pas la marche classique du groupe (ouverture de pays, développement de l'outil industriel, marketing, etc.) Le PDG se devait donc sortir des arguments de poids.

Principal objectif de Stellantis : passer de 14% à 70% de VE dans les ventes Européennes et de 4% à 40% de VE dans les ventes Américaines, à l'horizon 2030.

Marque par marque

Ensuite, exercice classique, chaque marque dévoila son plan pour atteindre l'objectif... Du moins, Paul Barrett nous expliqua que Stellantis possédait trop de marque. Donc ils se sont concentrés sur six marques principales.
De quoi renforcer l'idée, chez ceux, comme moi, qui pensent que le groupe sera forcé de lâcher du lest...

Michael Lohscheller, PDG d'Opel, fut le premier à intervenir.

D'après lui, Opel a toujours été un pionnier de l'électrique. Il en veut pour preuve l'Elektro GT de 1971. Et après tout, n'a-t-elle pas un éclair dans son logo ?
Désormais, la marque au blitz va proposer du "VE cool". A commencer par un SUV Manta e, à l'horizon 2025. Et à partir de 2028, Opel ne proposera plus que de l'électrique.

L'autre grande annonce, c'est un retour en Chine. Opel y avait tenté sa chance à la fin des années 90, puis dans les années 2000, essentiellement avec des Astra Cabriolet (Buick proposant des Corsa, Astra et Insignia sur le marché Chinois.)
Michael Lohscheller précisa que ce serait uniquement avec des VE. Ce qui permettra à Opel de se passer d'un partenaire Chinois. Faut-il en déduire que Stellantis va ainsi produire en direct au Pays du Milieu (comme Tesla et bientôt, Scania) ? En effet, si le groupe a du mal à y percer, c'est principalement la faute de ses partenaires (à commencer par DongFeng.) Ce revirement ne peut qu'être salutaire, mais il mettrait DongFeng dans l'embarras jusqu'au cou...

Chez Dodge, Tim Kuniskis s'est vanté du pouvoir d'attraction de sa marque auprès des millenials.

Cela faisait quelques années que la rumeur parlait d'un modèle unique pour remplacer à la fois les Charger et Challenger. Ça sera chose faite en 2024. Mais attention, ça ne sera pas une voiture électrique, mais une e-Muscle car ! 😂 [Dab] #imded [corne de brume] Ça y est ? C'est bon ? Les millenials l'achèteront ?

Chez Peugeot, Linda Jackson s'est félicitée du succès de sa marque dans les VE. Au sein de Stellantis, c'est le premier de la classe. 3 ans après le lancement de l'e-208, 70% de la gamme européenne est proposée en version VE. Les e-208 et e-2008 sont deuxième de leurs segments.
Clin d’œil à l'intention des financiers, Linda Jackson a précisé que les VE contribuent à la marge de Peugeot et que les finitions supérieures sont sur-représentées dans le mix-produit de l'e-208.

D'ici 2025, toute la gamme sera proposée en électrique. Linda Jackson souhaite que Peugeot soit également leader de l'électrique sur les marchés émergents. C'est d'ailleurs la seule référence aux "Global Overseas Markets", en plus de deux heures de show. Les GOM étaient au chœur de la stratégie de PSA pour les plans Back in the Race et Push to Pass. Quid des GOM dans les plans de Stellantis ? 

Mike Koval est intervenu deux fois. Un fois comme PDG de Ram et une fois comme responsable des VU de Stellantis. Sa grosse annonce fut une pick-up 1500 tout électrique en 2024. Son argument principal, c'est que Ram allait proposer de l'électrique offrant les performances (charge utile, masse tractable...) du thermique. Sans expliquer les avantages de l'électrique sur le thermique.

Olivier François, PDG de Fiat, nous a accueilli sur le toit du Lingotto, en cours de transformation en jardin. Le discours était proche de celui de la présentation Rewriting the future of our cities : on ne peut plus respirer en ville, le VE est l'unique solution. Et chez Fiat, le VE se doit d'être accessible. La 500 électrique étant la démonstration d'une électrique (presque) bon marché.

Olivier François était le seul à dévoiler un calendrier de lancements. En 2024, Fiat proposera quatre nouveautés, dont un dérivé du concept-car Centoventi du salon de Genève 2019. 5 années, c'est long pour un véhicule que l'on pensait abouti. Le plus probable est qu'entre le salon helvète et la naissance effective de Stellantis, FCA avait gelé tout développements. De mauvais augure pour le Tonale...
Aussi, cela signifie que Fiat préfère patienter jusqu'à la prochaine génération, plutôt que de lancer une Corsa/208 habillée en Punto.
L'autre annonce du jour, c'est une Abarth 100% électrique en 2024. Carlos Tavares, commanditaire du retour d'Alpine, va-t-il faire avec Abarth ce qu'il n'a pas pu faire avec l'A110 ?

Enfin, Christian Meunier et Jeep fermèrent la marche. Avec ses hybrides rechargeables 4xe, Jeep st l'autre bon élève de Stellantis, sur la voie de l'électrification. Surtout, c'est la seule marque de l'ex-FCA ayant connu une forte croissance. Christian Meunier avait de quoi être fier.

Plutôt qu'un discours, Jeep nous présenta son futur à travers un couple de jeunes amateurs de tout-terrain. En 2025, le constructeur compterait ainsi lancer une Wrangler électrique, avec possibilité pour un véhicule de "donner" de l'énergie à un autre. Il serait même possible d'employer un drone pour évaluer le parcours et l'éclairer la nuit. En 2030, là, on pourrait laisser sa Wrangler à un point A et elle vous attendrait à un point B, avec suivi en temps réel façon FatShark. Ce qui impliquerait un évolution des législations.
Au moins, par rapport à ses camarades, Jeep a présenté une part de rêve.

Technology

Plusieurs constructeurs ont développé une plateforme spécifique pour VE. Dans le cadre de son offensive VE, Stellantis compte en développer quatre. Harald Wester, le responsable technique du groupe, précise que ces plateformes ont été conçues pour pouvoir évoluer. Ainsi, elles auront une durée de vie assez longue. Une manière de dire : "Ne vous inquiétez pas, on ne va pas réclamer 30 milliards tous les quatre matins..."

"Stella Small" sera destinée aux segments A, B et C.
"Stella Medium" sera destinée aux segments D et E. Alfa Romeo et DS seront les leaders de cette plateforme.
"Stella Large" sera conçue pour les marques Américaines.
"Stella Frame", avec châssis séparé sera employée sur les pick-up et vans.

Sachant qu'en parallèle, Stellantis continuera de concevoir des plateformes pour véhicules thermiques.

Bien entendu, ces plateformes seront modulaires, avec des possibilités d'extensions en largeur et en longueur. De plus, elles seront configurables aussi bien en traction, qu'en propulsion et en quatre roues motrices.

Chaque plateforme possédera son propre pack de batterie. Pack qui est lui appelé à évoluer au fil des années.

Les batteries seront intégrées à la structure du véhicule, sous le plancher. Un moyen d'équilibrer les masses. Les esprits chagrins noteront que cela rend impossible l'échange rapide (type Better Place.) Mais le risque d'avoir des batteries accessibles, c'est qu'un bricoleur du dimanche veuille effectuer lui-même la réparation (sachant qu'il s'agit de 400V, pas de 12V) avec un sérieux danger d'électrocution. Accessoirement, cela rend le client dépendant du réseau constructeur, pour la maintenance. Avec toutes les possibilités de dérive. Vers 2016, Apple avait ainsi installé une appli qui rendait inutilisable votre iPhone si vous faisiez remplacer l'écran par un opérateur indépendant.

Dans une logique d'économie d'échelle, Stellantis ne va concevoir que trois moteurs électriques et trois onduleurs.

Au passage, il y a un changement radical de paradigme. L'ancien paradigme disait grosso modo que les constructeurs tendaient à externaliser toujours plus d'éléments de l'automobile. Sauf que les équipementiers suivirent la même logique. La crise des semi-conducteurs est due à un approvisionnement critique, qui a été complètement négligé.
Les équipementiers sauraient aller très loin dans la conception d'un véhicule électrique. Avec un risque de perte de maitrise de plusieurs drivers, côté constructeurs. D'où un retour de l'internalisation. ACC est ainsi une joint-venture entre Saft (groupe TotalEnergies), Stellantis et Opel, pour la conception de batteries. De même, le groupe s'est associé à Foxconn.

Et bien sûr, Stellantis fera appel à des logiciels avec mise à jour OTA (Over The Air.) Ainsi, votre voiture connaitra des évolutions et disposera de nouvelles fonctionnalités. Fonctionnalités dont vous ne disposiez pas lors de l'achat.

C'est notamment intéressant pour les fonctions d'autonomie. Le hardware est prêt, mais les softwares débogués se font attendre. Sans oublier l'aspect législatif. L'OTA permettra ainsi d'offrir de l'autonomie, au fil des possibilités.

Bornes de chargement

Dans la voiture électrique, le rôle du constructeur ne s'arrête pas à la vente. Avec Free2Move, Stellantis se charge des besoins en bornes de chargements pour les particuliers et les professionnels.

Jeep, de son côté, souhaite mettre en place des chargeurs solaires, complètement autonomes vis-à-vis du réseau, en pleine nature. Afin que les amateurs de randonnées 4x4 puisse recharger leur voiture.

Enfin, Stellantis s'est associé à Engie pour construire un maximum de bornes en Europe. Le réseau extra-urbain étant une vraie plaie.

Recyclage des batteries

On est à la croisée de plusieurs problématiques.

D'une part, une voiture électrique possède moins de pièces en mouvements et moins de consommable. D'où une durée de vie très longue. Renault a carrément évoqué un million de kilomètres pour la Zoé.

Le second point, c'est un gout du public pour des produits reconditionnés (notamment les smartphones.) Le nouveau modèle industriel, ce serait l'aéronautique militaire : avec des retrofits importants, on peut porter la durée d'utilisation d'un vecteur sur plusieurs décennies.

Le troisième point, c'est la conception de batteries performantes. Ainsi, même lorsque leur niveau n'est plus compatible avec un emploi sur un véhicule, la batterie peut servir pour une application industrielle.

Il y a enfin un enjeu industriel : que faire des usines de production. Durant ces deux heures de présentation, Stellantis s'est bien gardé d'annoncer des prévisionnels de vente. Les écologistes les plus radicaux souhaiteraient diviser par 10 le parc automobile en occident.

Or, Stellantis est déjà en surcapacité. Le groupe serait dimensionné pour 12 millions de voitures, alors que FCA et PSA n'en ont produit que 8,7 millions en 2019. Certes, le groupe compte revigorer Alfa Romeo, Fiat et Maserati (dont les sites sont à peine au tiers de leur capacité.)
Pour éviter une fermeture pure et simple, il y a la reconversion d'usine. Stellantis prend l'exemple de Russelsheim, dont une unité s'occupe du reconditionnement de batteries. Un marché appelé à se développer avec la croissance du parc de VE.

Approvisionnement

Michelle Wen, directrice globale des achats, est intervenu sur les achats de batteries. Stellantis envisage de bâtir trois Gigafactories à l'horizon 2025 et cinq d'ici 2030. De plus, il lancera des partenariats avec les fabricants de lithium, un composant clef des batteries.
C'est-à-dire que l'on revient à une stratégie fordienne de sécurisation d'une filière d'approvisionnement. Avec un contexte de pénurie attendue. 

Finance

Richard Palmer, le directeur financier, ferma la marche. Stellantis a expliqué pourquoi il avait besoin de 30 milliards d'euros, le rôle de Richard Palmer fut d'expliquer ce que cela rapporterait aux investisseurs.

Le premier objectif est d'augmenter la rentabilité, avec 30 points de mieux que la moyenne de l'automobile.
De plus, avec un cercle vertueux d'augmentation de la production de batteries et d'économies d'échelles (qui permettent de baisser les coûts, donc de vendre davantage...), le coût des batteries baissera de 40% d'ici 2024.

Surtout le modèle économique de Stellantis prend en compte la fin des aides et autres subventions à l'électrique.

Conclusion

Cet EV Day était avant tout typé technologie et finance. Même si Stellantis n'a pas évoqué sa stratégie pour lever des fonds (ouverture du capital ? emprunt ? vente d'actifs ?)

On note que le sous-texte est : "Le véhicule électrique est là. Dans certaines régions, il ne sera plus une possibilités parmi d'autres, mais l'unique solution. Un groupe comme Stellantis est forcé de s'y préparer au mieux et d'anticiper les futures paramètres (opportunités et contraintes) de ce fait accompli."

(Captures d'écran de Stellantis.)

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