Grimpeur libre

En apparence, ceci n'est qu'un vieux 4x4 qui a connu des jours meilleurs. Mais le "b" sur la calandre ne laisse aucun doute : c'est un très rare Bertone Freeclimber II.

Dans les années 70, les constructeurs japonais de motos balayèrent les marques Européennes. En quelques années, de grands noms comme les Anglais BSA et Norton, l'Allemand Zundapp, le Français Motobécane ou les Italiens Aermacchi, Benelli et MV Agusta disparurent corps et bien. Les Japonais possédaient 99% du marché Européen, dans les années 80.

En fait, les Japonais n'étaient pas complètement responsable de la mort des Européens. Dans les années 50, le secteur connu des mutations profondes : rajeunissement radical de la clientèle, nouvelles attentes, segmentation de la demande, apparition de vrais réseaux de distribution... Et création du permis moto (nombre de vieux motards préférèrent passer à quatre roues que de tenter d'obtenir le carton rose.) Dès la fin des années 50, ce fut l'hécatombe. Les constructeurs restants voyaient leurs ventes augmenter, mais ils manquaient de surface financière. Ils avaient tendance à considérer que la clientèle comme acquise. Au nom notamment du patriotisme des motards.
Les Japonais virent les défauts dans la cuirasse. Ils proposèrent des motos plus abouties, avec une vaste gamme, à des prix raisonnables. Tout en s'appuyant sur des campagnes marketing qui faisaient mouche.

La conquête japonaise du marché des motos fit peur. Et si les Japonais faisaient de même avec les voitures ? Dans l'automobile, les Japonais avaient beaucoup de retard. La Honda Civic fut la première production en grande série de l'archipel vraiment compétitive. Néanmoins, la marque au "H" n'aurait pas eu les moyens industriels pour envahir le Vieux Continent. Le reste de la production pouvait faire sourire : voitures sous-motorisées et sous-équipées, lignes banales, approvisionnement défaillant du réseau, image floue...
Pour les pouvoirs publics, mieux valait prévenir que guérir. Les pays de l'Europe des Neuf adoptèrent des mesures d'entraves sur les importations asiatiques (dont Hyundai fut un dommage collatéral.)

La France fut à la pointe de ce combat. Elle refusa une reprise du site de Poissy par Honda. Les six constructeurs présents dans l'hexagone (Honda, Mazda, Mitsubishi, Nissan, Subaru et Toyota) devaient se partager un maximum de 3% du marché. La porte était close. Daihatsu et Suzuki (mais aussi Hyundai, donc) qui tentèrent une arrivée tardive, eurent un fin de non-recevoir. Bien plus tard, lorsque Toyota voulu ouvrir une usine à Onnaing, il dut faire face à une levé de boucliers.

Mais la France était bien seule. L'Allemagne, le Benelux ou l'Italie ne prenaient pas du tout cette menace au sérieux.

Face à la déconfiture de British Leyland et de Rootes, le gouvernement Thatcher proposait aux Japonais de produire en Grande-Bretagne pour contourner les quotas. Quitte à faire du CKD.
Au temps de Franco et de Salazar, la péninsule Ibérique était sous embargo. L'Espagne et le Portugal avaient favorisé l'implantation d'usines d'assemblages locales. Désormais, les dictateurs étaient morts et la péninsule Ibérique se rapprochait de la CEE. Ces usines n'avaient plus de raison d'être et elles cherchaient des repreneurs.

Les constructeurs Japonais profitèrent de ces dissensions et ils eurent une approche souvent multi-dimensionnelle.
Econduit par la France, Honda se rapprocha de la Grande-Bretagne et de British Leyland. Non seulement Triumph -puis Rover- produisirent des Honda rebadgées, mais ils l'aidèrent à mettre en place une usine flambant neuve. Les mesures Européennes portaient sur les véhicules extra-européens et non sur les marques asiatiques.
Toyota construisit ex nihilo sa propre unité d'assemblage en Grande-Bretagne. Sans s'associer à un autre constructeur.
Mitsubishi racheta le Portugais Tramagal. Non seulement l'usine produisit des camions Fuso, mais le Portugal devint le fief européen des utilitaires aux trois diamants. Puis Mitsubishi se rapprocha de Volvo, afin de produire des berlines dans l'ex-usine Daf, aux Pays-Bas.
Enfin, Nissan commença par s'allier à Alfa Romeo pour produire l'oubliable ARNA. Puis, il s'offrit l'Espagnol Ebro. Enfin, il établit une "usine tournevis" en Grande-Bretagne.

Quid de Daihatsu ou de Suzuki ? Petits Poucet du Japon, ces deux constructeurs n'avaient pas les moyens de racheter une entité ou de bâtir une usine. Alors, ils ont rusé...

Suzuki s'est associé à l'Espagnol Santana. Les Jimny et Vitara furent produits en Espagne. Et en les badgeant "Santana", ils purent contourner les quotas, en Europe du Sud.
Daihatsu, lui, avait plutôt des contacts en Italie. Cela avait commencé avec la fourniture de moteurs pour Innocenti. En retour, Alejando de Tomaso avait conçu une Daihatsu Charade ultra-sportive (et réservée au Japon.) Puis il se rapprocha de Piaggio. Le constructeur de scooters et de triporteurs était passé aux utilitaires de poche avec l'Ape Poker. Le minivan Porter était un bon complément de gamme. Piaggio le produisit sur son site de Pontedera. C'était le temps de Giovannino Agnelli, héritier biologique des empires Agnelli et Piaggio, destiné aux plus grandes fonctions. Hélas, il fut terrassé peu après par un crabe. Quoi qu'il en soit, Daihatsu voulait faire produire d'autres véhicules en Europe. Il se trouva un autre interlocuteur : Bertone.

A l'instar de (Pinin)Farina, Bertone débuta comme simple carrossier. Puis, au lendemain de la guerre, il se mua en bureau de design et en prototypiste. Dans les années 50, il commença à produire des voitures en petite série. Bertone construisit un atelier d'assemblage. Puis, en 1959, il bâtit une vraie usine, à Grugliasco, près de Turin. La NSU Sport Prinz et sa fausse-jumelle Simca 1000/1200 S coupé, inaugurèrent la chaine. Désormais, il était capable de faire de la sous-traitance intégrale, de la conception à la fabrication.
Mais cela signifiait que désormais, Bertone devait trouver des clients pour faire tourner son usine, agrandie en 1970. En 1972, il récupéra la production des coques de Fiat X1/9 (qu'il avait dessiné.) L'assemblage final ayant lieu au Lingotto. En 1982, Fiat décida d'arrêter la production de la X1/9. Le Lingotto avait fermé et Bertone devait désormais gérer tout l'assemblage. Le carrossier poursuivit l'aventure. La voiture était badgée "Bertone", mais distribuée dans le réseau Fiat. Miro Kefurt l'importa aux Etats-Unis, en s'appuyant sur le défaut réseau Bricklin de la Pininfarina 124 Spidereuropa. Officiellement, Bertone arrêta la production des X1/9 en 1989, faute de pièces. Effectivement, le spider reprenait des éléments de Ritmo, qui venait de quitter le tarif. Plus prosaïquement, la demande était d'un petit millier de voitures par an, loin des 30 000 unités, à la belle époque. Qui plus est, le projet de Miro Kefurt semblait avoir fait long feu. La X1/9 était condamnée, quoi qu'il arrive.


Nous avions donc d'un côté, un constructeur Japonais qui cherchait un partenaire Italien. De l'autre, un carrossier Italien avec une usine tournant à vide. Ils étaient fait pour s'entendre !

Quelques années plus tôt, Fissore avait commercialisé le Rayton Fissore Magnum. La recette était simple : un châssis 4x4 d'Iveco VM90, une carrosserie signée Tom Tjaarda, des moteurs BMW, une finition flatteuse. Secouez le tout et vous obtenez un simili-Range Rover Italien ! Il a été distribué en France par Auverland.
Sur le même modèle, Bertone parti du tout-terrain compact Rocky. Par lui donner davantage de personnalité, il reçu une calandre quatre phares. A l'intérieur, il s'offrait de meilleur siège, ainsi qu'un arceau de sécurité. Surtout, le paresseux 2,8l turbo-diesel 73ch laissait place au BMW 2,4l M21 116ch de la 324td. Le Bertone Freeclimber apparu en 1988. André Chardonnet venait de perdre Lancia et il tombait bien. Il le proposa à 179 500 francs en version 5 places, un prix légèrement inférieur au Nissan Patrol GR court. L'importateur aimait créer des versions spéciales. Il fit ainsi créer une version avec sellerie cuir alcantara, le Blue Lagoon. Du nom d'un parfum nouvellement créé par Nicolas de Barry.
Avec 2 795 unités entre 1988 et 1991, le Freeclimber se vendait à peine mieux que la Fiat X1/9.

Le Freeclimber inspira Daihatsu, qui lança le Feroza. Une version plus cossue du Rocky, avec une peinture bicolore (faisant croire à un hardtop.)
En 1992, les Rocky et Feroza évoluèrent. Bertone signa leur style intérieur. En parallèle, il revu sa propre copie avec le Freeclimber II : ailes élargies, jantes OZ, peinture métallisée... La carrosserie s'ornait de "built by Bertone" et de "powered by BMW". Justement, le 2,4l diesel céda sa place à un 1,6l essence de 316i. La bonne nouvelle, c'est que le prix fondait à 134 990 francs.
Sur plusieurs sites, on peut voir des images d'un Freeclimber II cabriolet. Étais-je un modèle unique ? En tout cas, je n'en ai pas trouvé de traces.

En France, ça allait vraiment mal pour André Chardonnet. Avec l'Union Européenne, les quotas disparaissaient. Daihatsu et Suzuki débarquaient enfin dans l'hexagone. Suzuki France l'empêchait de distribuer la Maruti 800. Et voilà que S.F.P.P. (alias Daihatsu France) lui prenait le Bertone Freeclimber ! Le 4x4 Italo-Japonais se retrouvait en concession aux côtés de ses cousins Rocky et Feroza.
Bertone n'avait pas vocation à devenir constructeur. Déjà auteur des lignes de la Kadett Cabrio, il récupéra la production de l'Astra cabriolet, en 1993. Il n'avait plus de problème de capacité. Qui plus est les ventes de Freeclimber II restaient modeste. Enfin Toyota dégênait une arme de séduction massive : le Rav4. Impossible de lutter. En 1995, après 2 860 unités, le Freelander II quittait le tarif. Bertone n'essaya plus ensuite de jouer les constructeurs.

En bonus, une Renault 4cv !

La 4cv fut imaginée au lendemain de la capitulation de 1940. L'axe avait alors conquis l'Europe continentale, de grande portion de l'Afrique, tout l'Extrême-Orient et le Pacifique... En résumé, rien ne semblait l'arrêter et la guerre semblait partie pour des années, voire peut-être des décennies. Chez Renault, on imaginait une France en ruine à la libération, entre la prédation de l'occupant et les bombardements alliés.
D'où l'idée de cette voiture minimale, totalement inédite à la firme au losange. Fernand Picard conduisit son développement dans le plus grand secret. Wilhelm von Urach, l'administrateur envoyé par Berlin, fit semblant de ne pas être au courant. Puis il fallu convaincre Louis Renault, qui fut mis devant le fait accompli.
Louis Renault mourut avant de voir la 4cv en concession. Entre temps, la firme au losange était devenue la Régie Nationale de Usines Renault, alias "RNUR" ou "La Régie". La 4cv fut la toute première voiture française de l'après-guerre. Fernand Picard avait imaginé la voiture d'une bourgeoisie ruinée. Elle fut la voiture de la motorisation de masse de l'hexagone. La 4cv fut le premier modèle produit en très grande série. Il y eu une monoculture 4cv. Dans Naissance d'une Dauphine, on voit que chez Renault, on en avait marre de cette monoculture. D'autant plus qu'elle était le symbole d'un état qui souhaitait tout uniformiser.

Pour finir, un clin d'œil. Le Freelander était un 4x4 Japonais qui s'offrit un passeport italien pour tromper le législateur... Mais le Japon surtaxait les importations. Du coup, avec Hino, la 4cv s'offrit un passeport japonais !

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