Pirelli par Taschen
Pour mes 40 ans, j'ai reçu le livre Pirelli - The Calendar - 50 years and more.
Au préalable, je vais faire une longue parenthèse sur Pirelli et moi. Ca va être du nombrilisme intégral.
40 ans, c'est forcément l'heure du bilan. Il y a des points sur lesquels sur je considère avoir réussi et d'autres sur lesquels j'ai échoué.
Sur l'automobile, je suis fier de moi. Quand j'étais adolescent, je dévorais Automobiles Classiques, Rétroviseur et Sport-Auto (ci-dessous, les numéros respectifs de décembre 1995.) Ca me faisait rêver. Mais ça me semblait complètement inaccessible. Ma mère me disait : "Réussit tes études, trouve un bon job et ensuite, une fois que tu auras fait des économies, tu pourras peut-être rouler dans de grosses voitures..." Quand vous êtes adolescent, votre horizon correspond à la fin de l'année scolaire. Quant à réfléchir à se fixer des objectifs pour dans 20 ou 30 ans, autant dire jamais... Alors après le lycée, j'ai commencé à acheter moins souvent des magazines, histoire d'arrêter de songer à des chimères.
Et pourtant, c'est devenu une réalité. J'ai conduit des anciennes, j'ai piloté sur circuit, j'ai effectué des road-trips avec des grosses cylindrées, j'ai assisté à des courses depuis les premières loges, j'ai croisé des pilotes de F1, j'ai interviewé des vieilles gloires... Comme dans les magazines, mais en "live" !
En ça, donc, j'ai même fait mieux que ce dont je rêvais étant ado !
Le calendrier Pirelli, je peux dire précisément quand j'en ai entendu parler la première fois : c'était dans ce numéro d'Auto Oggi. A l'époque, c'était encore un évènement très italo-italien. A la fin des années 90, Pirelli a cherché à s'implanter davantage en France. La presse française en parlait. J'écoutais ça d'une oreille distraite. Un calandrier avec de superbes filles, d'accord. Mais le fait qu'il soit produit dans des volumes très confidentiels et donné à des VIP, ça le mettait hors de portée pour moi...
En 2011, j'ai commencé à être invité à des évènements Pirelli France. Mes amis me disaient : "Si ça se trouve, tu vas avoir ton calendrier ! - Arrête, c'est Dominique Chapatte, qui reçoit des calendriers. Moi, je suis personne..."
Et pourtant, je l'ai reçue, mon invitation ! A ce moment-là, j'étais en préavis de licenciement et en pleine procédure de divorce. Mais j'étais heureux comme un pape d'avoir eu ma petite enveloppe noire. C'était une forme de reconnaissance de mon travail de journaliste auto.
Me voilà, moi, à la soirée de présentation du calendrier Pirelli. Parce qu'ils ne faisaient pas que vous remettre un calendrier... C'était dans un lieu exclusif, avec music "live". Il y avait Steve McCurry, le photographe de l'Afghane aux yeux bleus, Hanaa Ben Abdesslem, une mannequin Tunisienne superbe (avec des jambes interminables), les Laffite père et fille et... Moi ! Avec, en fin de soirée, la remise du précieux calendrier. Un objet volumineux, placé dans un sarcophage de carton, lui-même glissé dans un sac noir sur mesure.
J'y étais l'année d'après, l'année suivante et celle d'après. Vous en avez qui les revendent. Moi, je conserve précieusement ces quatre calendriers. Mon préféré, c'est celui de 2015, de Steven Meisel. Dans un but académique, bien sûr...
Taschen a pris l'habitude de publier des livres d'art très épais. Là, il balaye les cinquante premières années du "Cal", avec making of et photos inédites.
Cela commence par les années 60-70. A l'époque, le calendrier était l’œuvre de Pirelli UK. C'était un objet bon enfant. Des mannequins nues et des lieux exotiques. Il n'y avait pas vraiment de recherche, sur le fond, comme sur la forme...
Après une pause de 10 ans, le calendrier reprit au milieu des années 80. Cette fois-ci, c'était la maison-mère qui le prenait en main. Elle voulait une montée en gamme, en donnant carte blanche à des photographes de renoms. Les mannequins se rabillaient et il y avait davantage de travail sur la composition.
Les années 90, c'étaient les années Prêt-à-porter, les mannequins sont devenues des top-model. Les Claudia, Naomi, Linda, Cindy et autres Carla étaient des stars, au même titres que les actrices d'Hollywood ou les chanteuses. La presse féminine était à son apogée. Couturiers, mannequins et photographes auraient tué père et mère pour être en couverture de Vogue ! Et à cette époque, le calendrier Pirelli était un passage obligé pour les photographes, comme pour les modèles. On voyait aussi apparaitre des actrices et des chanteuses, flattées de prendre la pose. Bono fut l'un des premiers hommes à poser.
Jordan Peterson dit que le pouvoir corrompt. Qu'un leader, s'il se sent intouchable, peut avoir des dérives autoritaires.
La dérive de la mode des années 90, elle s'appelle Terry Richardson. C'était l'apôtre du style "porno-chic". Son crédo, c'était de jouer les beaufs pervers, ne photographiant que des filles tout juste majeure, dans des poses lascives. Je n'aimais pas son style, qui était volontiers vulgaire et plat. Surtout, il me mettait mal à l'aise. Parce que c'était malgré tout du premier degré. Il était l'enfant-chéri de Vogue, alors on le laissait batifoler avec des naïades, malgré des témoignages accablants, dès 2001. Et donc, il a signé un calendrier Pirelli. Un calendrier vulgaire et malsain.
Une fois sa protectrice partie, Terry Richardson a été marginalisé, en 2017 et il fut bien sûr en première ligne lors du #metoo. Ce que je reproche à #metoo, c'est de ne s'attaquer qu'à des stars déjà en perte de vitesse, comme Harvey Weinstein, Bill Cosby ou Terry Richardson. Rien n'est fait pour prévenir les agissements de prédateurs en devenir.
Ensuite, ce fut l'internationalisation. Pirelli cherchait à percer dans les BRIC et les pays émergents. Le calendrier se devait de se globaliser. D'où des mannequins plus basanées, des lieux de photographie hors d'Europe et comme certains pays sont davantage pudibonds, on passait de l'érotisme au charme.
Le livre s'arrête sur le calendrier de Steven Meisel. C'est-à-dire l'avant-dernier calendrier que j'ai reçu. Après, je n'étais plus un journaliste auto incontournable. Les invitations et les propositions d'essais se sont raréfiées. Je me suis un peu scié la branche sur laquelle j'étais assis.
Donc le "Cal", pour moi, c'est fini. Plus d'enveloppe noire contenant la précieuse invitation.
Au risque de paraitre aigri, voire hypocrite, je n'aime pas trop les derniers calendriers. On vit une époque de questionnement autour de la place des femmes et des minorités. Avec ses petites femmes dénudées, Pirelli est parfois montré du doigt. Je pense que sa réponse est inadaptée. Les derniers calendriers sont du "purplewashing". Par son passé et ce qu'il représente, Pirelli n'obtiendra jamais l'imprimatur des féministes. Au pire, il passera pour un opportuniste. Tout en se fâchant avec ses fans.
Au préalable, je vais faire une longue parenthèse sur Pirelli et moi. Ca va être du nombrilisme intégral.
40 ans, c'est forcément l'heure du bilan. Il y a des points sur lesquels sur je considère avoir réussi et d'autres sur lesquels j'ai échoué.
Sur l'automobile, je suis fier de moi. Quand j'étais adolescent, je dévorais Automobiles Classiques, Rétroviseur et Sport-Auto (ci-dessous, les numéros respectifs de décembre 1995.) Ca me faisait rêver. Mais ça me semblait complètement inaccessible. Ma mère me disait : "Réussit tes études, trouve un bon job et ensuite, une fois que tu auras fait des économies, tu pourras peut-être rouler dans de grosses voitures..." Quand vous êtes adolescent, votre horizon correspond à la fin de l'année scolaire. Quant à réfléchir à se fixer des objectifs pour dans 20 ou 30 ans, autant dire jamais... Alors après le lycée, j'ai commencé à acheter moins souvent des magazines, histoire d'arrêter de songer à des chimères.
Et pourtant, c'est devenu une réalité. J'ai conduit des anciennes, j'ai piloté sur circuit, j'ai effectué des road-trips avec des grosses cylindrées, j'ai assisté à des courses depuis les premières loges, j'ai croisé des pilotes de F1, j'ai interviewé des vieilles gloires... Comme dans les magazines, mais en "live" !
En ça, donc, j'ai même fait mieux que ce dont je rêvais étant ado !
Le calendrier Pirelli, je peux dire précisément quand j'en ai entendu parler la première fois : c'était dans ce numéro d'Auto Oggi. A l'époque, c'était encore un évènement très italo-italien. A la fin des années 90, Pirelli a cherché à s'implanter davantage en France. La presse française en parlait. J'écoutais ça d'une oreille distraite. Un calandrier avec de superbes filles, d'accord. Mais le fait qu'il soit produit dans des volumes très confidentiels et donné à des VIP, ça le mettait hors de portée pour moi...
En 2011, j'ai commencé à être invité à des évènements Pirelli France. Mes amis me disaient : "Si ça se trouve, tu vas avoir ton calendrier ! - Arrête, c'est Dominique Chapatte, qui reçoit des calendriers. Moi, je suis personne..."
Et pourtant, je l'ai reçue, mon invitation ! A ce moment-là, j'étais en préavis de licenciement et en pleine procédure de divorce. Mais j'étais heureux comme un pape d'avoir eu ma petite enveloppe noire. C'était une forme de reconnaissance de mon travail de journaliste auto.
Me voilà, moi, à la soirée de présentation du calendrier Pirelli. Parce qu'ils ne faisaient pas que vous remettre un calendrier... C'était dans un lieu exclusif, avec music "live". Il y avait Steve McCurry, le photographe de l'Afghane aux yeux bleus, Hanaa Ben Abdesslem, une mannequin Tunisienne superbe (avec des jambes interminables), les Laffite père et fille et... Moi ! Avec, en fin de soirée, la remise du précieux calendrier. Un objet volumineux, placé dans un sarcophage de carton, lui-même glissé dans un sac noir sur mesure.
J'y étais l'année d'après, l'année suivante et celle d'après. Vous en avez qui les revendent. Moi, je conserve précieusement ces quatre calendriers. Mon préféré, c'est celui de 2015, de Steven Meisel. Dans un but académique, bien sûr...
Taschen a pris l'habitude de publier des livres d'art très épais. Là, il balaye les cinquante premières années du "Cal", avec making of et photos inédites.
Cela commence par les années 60-70. A l'époque, le calendrier était l’œuvre de Pirelli UK. C'était un objet bon enfant. Des mannequins nues et des lieux exotiques. Il n'y avait pas vraiment de recherche, sur le fond, comme sur la forme...
Après une pause de 10 ans, le calendrier reprit au milieu des années 80. Cette fois-ci, c'était la maison-mère qui le prenait en main. Elle voulait une montée en gamme, en donnant carte blanche à des photographes de renoms. Les mannequins se rabillaient et il y avait davantage de travail sur la composition.
Les années 90, c'étaient les années Prêt-à-porter, les mannequins sont devenues des top-model. Les Claudia, Naomi, Linda, Cindy et autres Carla étaient des stars, au même titres que les actrices d'Hollywood ou les chanteuses. La presse féminine était à son apogée. Couturiers, mannequins et photographes auraient tué père et mère pour être en couverture de Vogue ! Et à cette époque, le calendrier Pirelli était un passage obligé pour les photographes, comme pour les modèles. On voyait aussi apparaitre des actrices et des chanteuses, flattées de prendre la pose. Bono fut l'un des premiers hommes à poser.
Jordan Peterson dit que le pouvoir corrompt. Qu'un leader, s'il se sent intouchable, peut avoir des dérives autoritaires.
La dérive de la mode des années 90, elle s'appelle Terry Richardson. C'était l'apôtre du style "porno-chic". Son crédo, c'était de jouer les beaufs pervers, ne photographiant que des filles tout juste majeure, dans des poses lascives. Je n'aimais pas son style, qui était volontiers vulgaire et plat. Surtout, il me mettait mal à l'aise. Parce que c'était malgré tout du premier degré. Il était l'enfant-chéri de Vogue, alors on le laissait batifoler avec des naïades, malgré des témoignages accablants, dès 2001. Et donc, il a signé un calendrier Pirelli. Un calendrier vulgaire et malsain.
Une fois sa protectrice partie, Terry Richardson a été marginalisé, en 2017 et il fut bien sûr en première ligne lors du #metoo. Ce que je reproche à #metoo, c'est de ne s'attaquer qu'à des stars déjà en perte de vitesse, comme Harvey Weinstein, Bill Cosby ou Terry Richardson. Rien n'est fait pour prévenir les agissements de prédateurs en devenir.
Ensuite, ce fut l'internationalisation. Pirelli cherchait à percer dans les BRIC et les pays émergents. Le calendrier se devait de se globaliser. D'où des mannequins plus basanées, des lieux de photographie hors d'Europe et comme certains pays sont davantage pudibonds, on passait de l'érotisme au charme.
Le livre s'arrête sur le calendrier de Steven Meisel. C'est-à-dire l'avant-dernier calendrier que j'ai reçu. Après, je n'étais plus un journaliste auto incontournable. Les invitations et les propositions d'essais se sont raréfiées. Je me suis un peu scié la branche sur laquelle j'étais assis.
Donc le "Cal", pour moi, c'est fini. Plus d'enveloppe noire contenant la précieuse invitation.
Au risque de paraitre aigri, voire hypocrite, je n'aime pas trop les derniers calendriers. On vit une époque de questionnement autour de la place des femmes et des minorités. Avec ses petites femmes dénudées, Pirelli est parfois montré du doigt. Je pense que sa réponse est inadaptée. Les derniers calendriers sont du "purplewashing". Par son passé et ce qu'il représente, Pirelli n'obtiendra jamais l'imprimatur des féministes. Au pire, il passera pour un opportuniste. Tout en se fâchant avec ses fans.
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