DongFeng EQ240 au 1/50e

L'autre jour, sur Twitter, j'ai vu photo une photo d'un collectionneur de miniatures. Il collectionne exclusivement les M3 (E36) et il en possède à différentes échelles.

Que j'envie les monomaniaques ! Moi, j'aime les voitures, en général. J'aime retrouver les voitures de mon enfance et les F1 de mon enfance... Mais j'adore aussi les productions exotiques. Ma grande passion, ce sont les voitures Chinoises, mais j'en ai très peu, en miniatures. Et puis, vu mon amour des Berliet, il m'en faudrait un...
En résumé, mes étagères débordent et en permanence, il y a de nouveaux arrivages... Comme ce DongFeng EQ240.
La boite est très jolie, avec une vue stylisée du vrai, au dos. Trèès viril !

Ce qui casse un peu l'ambiance, c'est le camion DongFeng façon Cars, en bas, à droite...
La miniature est belle. Les roues tournent. Il est livré avec un clef, afin d'ouvrir plus facilement les ouvrants... Or, a priori, portes et capots sont scellés !

Notez aussi que la boite possède une poignée !
Qu'est-ce qu'un DongFeng EQ240 ? Si vous vous y connaissez un minimum, "DongFeng" doit évoquer pour vous le partenaire Chinois de PSA (et depuis une dizaine d'années, l'un de ses actionnaires.) Et il y a aussi l'utilitaire de poche Yu'an, avec sa face avant singeant BMW...

Quel rapport, donc, avec ce camion militaire ?
Retour il y a exactement 70 ans. A l'automne 1949, la guerilla communiste Chinoise chassait le Kuomintang, qui s'est retranché à Taïwan. Mao proclamait la République Populaire de Chine.

Le pays sortait d'une quinzaine d'années de guerres (au pluriel) et d'une cinquantaine d'années de gabegie. Cette superpuissance régionale, qui rayonna pendant plusieurs millénaires à travers tout l'est Asiatique (jusqu'au Pacifique) et sur les plaines d'Asie Centrale (ses soieries arrivant en Europe dès la haute antiquité), n'était plus qu'une ombre.
Dans les villes, l'élite et les classes moyennes ont disparu. La nourriture et les médicaments manquaient. Les campagnes étaient livrées à elle-même. Il y avait régulièrement des famines. Dans ce pays précurseur de l'éducation de masse et des études universitaires, la quasi-totalité des paysans étaient illettrés. Un Chinois pouvait s'estimer chanceux s'il fêtait ses 40 ans.

Donc, face à toutes ses urgences, les communistes décidèrent que la priorité des priorités c'était...
Vous l'avez deviné : se doter d'une armée moderne !

La logique (si tant est que l'ont puisse utiliser ce mot), c'est que le collectif prime. Dans l’inconscient collectif chinois, les gens sont mortels, les dynasties défilent, mais par contre, la Chine est éternelle. Bien sûr, cette conception va à l'encontre du dogme marxiste-léniniste, disant que le communisme est la fin de l'histoire. Pourtant, les nouveaux maitres de Pékin se voyaient en locataire de la maison Chine. Charge à eux d'en assurer la pérennité.

Or, le PCC souffrait du complexe de Massada. Il est vrai que nombre de cadres avait participé à la Longue Marche, cette interminable errance où les communistes fuyaient le Kuomintang, mais aussi les Japonais et parfois, les Soviétiques !
L'armée impériale Japonaise les avait particulièrement marqué. Elle avait envahi facilement le nord-est, puis la façade est de la Chine, semant la mort. La seule chose qui la freinait, c'est que l'armée était en tension (car impliquée également sur des théâtres dans le Pacifique et l'océan Indien), même en recourant à des supplétifs locaux, elle pouvait à peine contrôler ses conquêtes existantes. Malgré la capitulation du Japon et sa mise sous tutelle Américaine, les nouveaux mandarins sont persuadés que l'armée impériale peut renaitre de ses cendres et franchir la mer de Chine...
Puis il y eu la Guerre de Corée. En 1950, la Chine s'invita aux côtés des troupes du frère Nord-Coréen. Vers 1953, alors que le front était stabilisé, les Américains songèrent à percer les lignes, jusqu'en Chine. Le but était davantage de mettre à genoux la future Corée du Nord et peut-être qu'avec cette humiliation, les Chinois allaient chasser les communistes. En tout cas, il n'était pas question de marcher jusqu'à Pékin et d'y envoyer un "MacArthur Chinois". L'élection du général Eisenhower et la mort de Staline abrogèrent le plan, au profit d'un cessez-le-feu. Du côté Chinois, il en resta une peur d'une invasion Américaine, qu'elle vienne de Corée, de Taiwan ou du Vietnam.
Mais ils avaient également peur des Soviétiques. Staline et Nikita Kroutchev avaient des réserves sur ce Mao impétueux, qui refusait d'être le vassal de Moscou. Il y avait des conflits territoriaux, l'URSS lorgnant sur les territoires frontaliers, notamment à l'ouest et au nord-est. Et il y eu ce "projet 571", un projet d'assassiner Mao (571 et coup d'état s'écrivant "wu qi yi".) Lin Biao, le dauphin de Mao, fut le chef des conspirateurs. Une fois démasqué, il tenta de s'enfuir en URSS (son avion s'écrasant sur le chemin.) Pour Mao, aucun doute : l'URSS était derrière ! A son crépuscule, il fit préparer un plan en cas d'attaque nucléaire sur Pékin.
Face à toutes ces menaces plus ou moins imaginaires, il fallait une armée. Et pour se déplacer dans l'immensité Chinoise, le camion s'imposait.

En 1953, l'état fonda une usine. Dans l'esprit soviétique, elle prit le nom de "première usine de voiture" (First Auto Works, FAW.) Elle était à Changchun, dans l'ex-Mandchourie. En effet, les Japonais avaient laissé derrière eux un semblant d'outil industriel.
Le premier camion fut le CA-10, alias "Jiefang" (libération), en 1956. Ce camion tout-terrain était "inspiré" du ZIS 150 soviétique... Qui était lui-même une copie du Studebaker US6 (que les Etats-Unis avait expédié à leur allié, durant la Deuxième Guerre Mondiale.)

La production débuta en 1956.
Mais dans leur paranoïa, les dirigeants Chinois voulaient s'éloigner au maximum des Japonais et des Soviétiques. D'où une seconde usine, à Wuhan, dans le sud.
Canton aurait été encore plus éloigné. Mais pour les communistes, les villes des cotes avaient été perverties par les étrangers. Il fallait les punir en développant économiquement les villes à l'intérieur des terres.

La Second Auto Works vit le jour en 1969. Mais la paranoïa montait encore d'un cran. Avec la Révolution Culturelle, les Chinois se soupçonnaient entre eux.
La conception du camion de la Second Auto Works s'éternisa. Ingénieurs et techniciens étant souvent pris à parti.

En 1975, l'EQ240, alias "DongFeng" (vent d'est, d'après une citation de Mao) fut dévoilé. Il restait esthétiquement proche du Jiefang né 20 ans plus tôt. Dans une uchronie, Studebaker poursuivit la production de l'US6 après la guerre et nul doute qu'il aurait ressemblé au DongFeng...
Il disposerait d'un Cummins diesel 87ch. Certains disent que les Chinois avaient réussi à cloner le bloc US, très rustique. D'autres parlent de société-écrans, à Hong Kong, dont le seul but était d'obtenir des moteurs (et quelques autres pièces) auprès des fabricants du grand satan yankee.
L'EQ240 joua un rôle important dans la politique Chinoise.

Dès les années 50, les Chinois construisirent routes et ponts à travers les campagnes. Vous vous en doutez, ce n'était pas pour favoriser la circulation des ruraux. L'objectif était de désenclaver les régions lointaines. La Chine est composée d'une mosaïque d'ethnies. Certains, notamment les Ouïgours ou les Tibétains avaient profité de l'effondrement politique du XIXe siècle pour profiter d'une indépendance de facto. En 1921, avec l'appuie de Soviétiques, la Mongolie déclara son indépendance. Hors de question que d'autres morceaux de Chine ne prennent le large !
D'où cette technique de désenclavement, accompagnée d’installation de véritables colonies han (l’ethnie Chinoise majoritaire.) Parfois, ces civils au sein de coopératives dépendantes de l'armée. Cette technique avait déjà été utilisée au cours de l'histoire Chinoise.

Quoi qu'il en soit, le voyage en EQ240 était loin d'être confortable, à l'arrière. Il se contentait d'un mince bâche face aux sables du désert ou aux neiges éternelles. Point de bancs et avec 80km/h en descente, on avait tout le temps d'y laisser sa santé...
Pour les Chinois, le DongFeng représentait le premier camion vraiment "made in China" (le Jiefang ne pouvant cacher ses origines soviétiques.)

Au point que 20 ans plus tard, la Second Auto Works fut rebaptisée DongFeng.

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