Piastrigate
C'est l'occasion de faire un peu de droit, avec les contrats.
Un contrat, quel que soit le domaine, c'est au moins deux parties, leurs rôles respectifs, l'objet du contrat, la durée du contrat et la rémunération. Voilà pour les éléments obligatoires. Concrètement, en F1, c'est "l'écurie X embauche le pilote Y, pour la saison prochaine, au salaire de tant."
Clause de sortie
Après, il y a deux points importants, qui sont la définition précise du contrat et les cas de sortie du contrat. Un constructeur comme Alpine/Renault exigera de ses pilotes à ce qu'ils participent à n events (nouvelle usine, lancement de modèle, animation sur un salon...) par an. La "participation" étant définie par x minutes de présence devant le public. Et certains n'hésitent pas à repartir une fois le temps écoulé, alors que l'animation n'est pas finie...
Ce qui intéresse un pilote comme Fernando Alonso, ce sont les clauses de sortie, afin de conserver la main sur son destin. Chez Alpine, il avait probablement un alinéa lui permettant de partir dans un écurie moins bien classée au championnat (il l'avait déjà chez McLaren, en 2007 et avait ainsi pu partir chez Renault.)
Les contrats, ça a longtemps été le dada de 'Nando. Bien sûr, il ne les rédigeait pas lui-même. Il a longtemps fait appel à Luis Garcia Abad. En septembre 2019, lors du Grand Prix d'Espagne, Getty photographiait ce dernier devant le motorhome Renault. Fernando Alonso venait de divorcer de McLaren et Luis Garcia Abad était visiblement en train de tâter le terrain, en vue d'un retour en F1...
Alberto Fernàndez a succédé à Luis Garcia Abad comme manager d'Alonso. Avec Albert Resclosa, le manager de Clement Novalak (et ancien adversaire du pilote Espagnol en karting), ils ont fondé A14 Management, en mars. Premier job : faire embaucher Nikola Tsolov par l'Alpine Academy. Avec 9 victoires (dont 8 consécutives) en F4 Spain, le Bulgare n'a pas démérité. Restera-t-il néanmoins pilote Alpine Academy en 2023 ?
Un contrat, c'est une négociation. Il est donc classique que les parties cherchent à tourner les choses à leur avantage. Sans remonter à 2007, rien que depuis 2018, Fernando Alonso avait eu successivement une "relation forte" avec Honda, McLaren et Toyota. Pour le coup, Alpine a fait preuve de naïveté, en croyant qu'avec eux, ça allait différent...
En septembre 2019, donc, Luis Garcia Abad approchait Renault. Le pilote Espagnol était alors un has-been de la F1. Un an après, Cyril Abiteboul, le seul à le vouloir, le recrutait pour 2021. Pourquoi lui avoir laissé une porte de sortie grande ouverte ? En plus, lors du changement de nom, il a fallu refaire les contrats (jurisprudence DP World : les contrats de Renault F1 était caduques.) Fin 2021, Fernando Alonso signait un avenant pour 2022. Soit deux opportunités de remodeler le contrat.
Et donc, au printemps 2022, l'Espagnol bâtissait une équipe managériale et Alpine cru que c'était juste pour s'occuper de jeunes pilotes. Il n'était pas du tout en train de préparer une tournée de prospection des motorhomes. Alpine est son écurie de cœur ! Exactement comme chez Sacha Guitry, lorsque l'épouse a soudainement envie de passer toutes ses soirées chez sa meilleure amie et que le mari ne s'en étonne pas...
Cela dit, Fernando Alonso n'agit pas par malice. Dans son esprit, c'est normal en F1 et tout le monde le fait. A commencer par son idole, Michael Schumacher. En 1991, Mercedes-Benz finançait un test chez Arrows, puis une pige chez Jordan, à son Schu-schu. C'était des stages, afin qu'il soit prêt pour piloter la future [Sauber-]Mercedes-Benz F1... A peine arrivé à Spa, Willi Weber -le redoutable manager du Kaiser- négociait un pré-contrat avec Jordan... Mais quelques jours plus tard, c'était avec Benetton, que son poulain signait. Et mi-1995, en pleine course pour un second titre, Michael Schumacher s'engageait avec Ferrari. 14 ans plus tard (dont 4 années sabbatiques), Ferrari lui refusait un baquet, alors il se rabibochait avec Norbert Haug, l'inamovible patron de la compétition chez Mercedes-Benz !
Fernando Alonso est l'un des pilotes les plus populaires de la "comu F1". Son départ fut vécu comme un cataclysme. Otmar Szafnauer (qui avait pourtant été aux premières loge lors du "Buttongate", en 2004) semblait découvrir les dures réalités de la F1. C'est vraiment trop injuste !
36 heures plus tard, Alpine annonçait le nom du remplaçant de l'Espagnol : Oscar Piastri. En fait, l'Australien était alors en discussions avancées avec McLaren. Alpine espérait sans doute couper la route aux "orange", avec un coup de poker. Après tout, en tant qu'aspirant pilote de F1, Piastri sera content d'être titularisé, non ?
Oscar Piastri, d'ordinaire discret sur Twitter, se fendit d'un Tweet assassin à l'intention d'Alpine : non, il n'a rien signé. Non, il ne sera pas pilote Alpine en 2023. C'était digne de Leonarda Dibrani répondant en direct à François Hollande. Non seulement la stratégie d'Alpine s'effondrait, mais l'image était dévastatrice. Les réseaux sociaux se sont moqué de l'écurie avec le meme : "Officiel : X rejoint Alpine pour 2023."
Oscar Piastri est un pilote de 21 ans. Il a été discret en F4 et n'a vraiment éclos que lors de sa seconde saison de Formule Renault. Pilote rapide et bon finisseur, il remporta le titre face aux pilotes Renault Sport Academy Victor Martins et Ye Yifei. Lui même intégré à l'académie (devenue Alpine Academy en 2021), il enchaina avec les titres en F3 et en F2. Pour le mercato 2021, priorité était donné à Zhou Guan Yu. S'il ne trouvait pas de baquet de titulaire, Alpine lui gardait un poste de 3e pilote au chaud. Sachant qu'en F2, Piastri avait largement dominé le Chinois, il devait se sentir frustré. Zhou finit par signer avec Alfa Romeo et voilà Piastri prêt pour une saison sur le banc de touche. Avec une option pour un hypothétique baquet de titulaire.
Fernando Alonso et Esteban Ocon étant a priori sous contrat pour plusieurs saisons, Oscar Piastri et son manager (JAM Motorsport, formé par Mark Webber et madame, ainsi que l'homme d'affaires Jason Allen) prospectèrent. Selon certaines versions, Alpine avait jusqu'au 31 juillet pour faire jouer son option (la vraie-fausse officialisation ayant eu lieu le 2 août.) Selon d'autres, Piastri et Alpine ouvrirent les négociations le 1er juillet et ils avaient 30 jours pour trouver un accord.
En tout cas, le 2 août, Oscar Piastri avait un pré-contrat avec McLaren et fièrement, il agita son majeur à l'intention d'Alpine.
Oscar Piastri a néanmoins joué avec le feu. Nous sommes le 5 et McLaren n'a toujours rien officialisé.
L'équipe devant solutionner la situation de Daniel Ricciardo. En prime, Pato O'Ward, Colton Herta et Alex Palou sont également en lice pour le baquet. Pilote charismatique, Colton Herta dispose d'un budget et il est troisième pilote de McLaren. Quant à Alex Palou, Ganassi et McLaren se disputent ses services. Le service juridique de McLaren est très occupé ! Et parmi les prétendants, le rapport bénéfice/risque (sur le plan sportif et juridique) n'est pas forcément favorable à Oscar Piastri...
Si Alpine a fait preuve d'amateurisme et de fébrilité, Oscar Piastri n'aurait pas du poster ce tweet. En F1, on dit d'abord oui, puis on dit non. En septembre 2012, Marussia avait "officiellement" recruté Timo Glock et Luiz Razia pour 2013. Mais elle aligna finalement Max Chilton et Jules Bianchi en course ! JAM Motorsport n'est pas A14 Management : aucun de ses membres n'a une grande expérience dans le management. De plus, Mitch Evans est le seul pilote auto de l'agence, qui gère aussi trois motards (piste et circuit) et une perchiste. Comment une agence peut prétendre gérer des sportifs présents dans des disciplines très différentes et qui ne sont même géographiquement proches ? Comme tout espoir, Oscar Piastri pense sans doute être le meilleur et qu'il mérite mieux. Un bon management saurait canaliser son énergie, le calmer. Son père, un patron de PME, manque aussi sans doute d'expérience sur les rouages du sport auto de haut niveau. Bref, le pilote était bien seul, avec ses certitudes et son pouce...
Oui, par le passé, des pilotes comme Jean Alesi, Michael Schumacher, David Coulthard ou Jenson Button ont joué les divas avec les écuries de F1. Mais à chaque fois, ils venaient alors de disputer une ou deux saisons, de glaner des podiums. Ils étaient incontournables. Oscar Piastri, lui, il débute et ses prétentions sont donc disproportionnées. Si la route est bouchée chez McLaren, pas sûr qu'Alpine le reprenne (sauf à ce qu'Otmar Szafnauer solde le peu de dignité qu'il lui reste.) Après, en F1, rien n'est définitif. Rien n'empêcherait Oscar Piastri de retenter sa chance pour 2024, voire 2025.
En résumé, entre Alpine et l'Australien, c'est un match très nul, avec un zéro pointé dans les deux camps.
(Images générées par Dall-e Mini.)
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