60 ans de la 4L

Cela faisait quelques temps que je ne suis pas allé à l'Atelier Renault. Il faut dire qu'avec les fermetures des différents show-rooms, les Champs Elysées perdent de leur attrait... Dernier survivant, l'Atelier Renault consacre actuellement une mini-expo à la Renault 4. Mon père et mon oncle en ont une. Alors forcément, je suis nostalgique...

Renault "4" comme "4cv". En 1960, après une quinzaine de bons et loyaux services, la 4cv quittait la scène. La Régie souhaitait marquer la rupture : la nouvelle venue passait du tout-à-l'arrière au tout-à-l'avant et elle se voulait plus moderne, plus spacieuse. D'où cette nouvelle numérotation.

La R4 débuta en trois versions, fin 1961. La R3 se contentait d'un 600cm3 22ch, de quoi en faire une 3cv. Missile anti-2cv, elle se voulait ultra-spartiate, de quoi offrir un prix de vente légèrement inférieur à sa concurrente. La R4 reprenait le 747cm3 26ch de la 4cv. La R4L disposait du même moteur, mais avec quelques équipements en plus. Dont les troisièmes vitres latérales.

A la surprise de Renault, la R4L prit le pas sur les autres. D'ailleurs, d'aucuns l'appelaient désormais "4L". La R3 n survécu pas au millésime 62.
Jusqu'ici, le consensus, c'était que la clientèle cherchait à acheter la plus grosse voiture possible. Les CSP++ devaient donc rouler dans de grosses cylindrées et les petits gabarits étaient destinés aux ouvriers. Presque par hasard, Renault avait découvert que les gens pouvaient opter pour de plus petites voitures. Il y avait même des citadins qui cherchaient une voiture facile à garer, mais confortable. Il y eu ainsi un glissement sémantique. On passa de voitures "populaire" à "citadine".
Renault tâtonna. Après tout, cela défiait des théories remontant à la Ford T, un demi-siècle plus tôt ! Dès l'été 1963, le constructeur s'associa au magazine Elle pour proposer une R4 plus cossue, la Parisienne. La principale différence, c'est le noir Médicis, très chic et surtout, le cannage sur les portes.

La Parisienne évolua au fil des millésimes. En 1968, Renault dévoila une première vraie citadine, la R6. Elle remplaça de facto la R4 Parisienne. Ce fut un demi-succès. Mais l'idée germera avec la R5, en 1972...

Deux ans après le lancement de la 4L Parisienne, Renault et Elle s'associaient de nouveau. Cette fois, il s'agissait d'un raid avec quatre femmes (les "quatre Elle") de l'Alaska à la Terre de Feu. Dans les années 60, l'Amérique Latine était en ébullition (dans le mauvais sens du terme) : dictatures sanglantes, guérilléros et bientôt, narcos. Ces quatre femmes prirent de gros risques.

Après, en terme de communication, Renault a eu un métro de retard. 1965, c'est cinq ans après le raid de Jean-Claude Boudot et Jacques Séguéla, qui clôtura les épopées en solitaire, à bord de 2cv. Jacques Wolgensinger prenait la direction de la communication et bientôt, il allait lancer le Paris-Kaboul, ouvrant l'ère des grands raids 2cv.
Renault n'a pas eu son "Jacques Wolgensinger" et la R4 manqua la génération mai 68. La Régie était plutôt radine et plutôt veille France. Il fallu attendre 1973 pour que Maurice Levy (Publicis) dépoussière son image avec le spot Fais un tour en Renault 4. Puis il y a eu François Guiter, En tant que patron de la compétition chez Elf, il commandita le Renault Cross Elf (un clone du 2cv Cross), puis la fameuse voiture des frères Marreau...

Renault était une entreprise nationale. Sa dénomination exacte était Régie Nationale des Usines Renault. La RNUR était donc le fournisseur privilégié des services publics : gendarmerie, pompiers, poste, télécoms, EDF-GDF... Jusqu'à la fin des années 80, il n'était pas rare de croiser des R4 aux couleurs de services publiques. Les gendarmes lui étant fidèle jusqu'au bout.
Darty ouvrit son premier grand magasin en 1968. Au fil des années 70, il quadrilla le territoire, étouffant les petits vendeurs/réparateurs de quartier (dont un certain Bernard T., établi au Bourget...) La R4 F6 du service après-vente avait incontestablement un côté franchouillard, donc rassurant.

Précisons aussi que les R4 F4, puis F6, étaient quasiment sans concurrent direct. La 2cv camionnette, puis Acadiane étant vraiment trop poussive. En fait, le seul rival de la F6, c'était l'Express, apparu en 1985. Il finira par pousser dehors son ainée.

8 135 424, c'est le nombre de Renault 4 produites. Avec les séries limitées et les publicités, la R4 put remonter la pente. En 1980, pour la première fois en 5 ans, la production descendait sous les 250 000 unités (hors fourgonnettes)... Puis ce fut le plongeon, avec 177 660 unités en 1981. 1984 fut le dernier millésime au-dessus des 150 000 unités. 1985, le dernier au-dessus des 100 000 unités.
Les séries limitées n'y faisaient rien : la R4 avait perdu la clientèle des villes. Beaucoup de jeunes des années 80 avaient "hérité" de la R4 (ou de la 2cv) de leur parent, le jour du permis de conduire. Et sitôt le premier salaire encaissé, ils s'empressaient d'acheter une R5 de troisième main. La R4 (et la 2cv) avait une alors de voiture des Trente Glorieuses. Une voiture du passé. Seuls les baba-cools, les ruraux et les retraités achetaient encore des R4. En 1986, Peugeot -le seul à ne pas avoir de "popu"- lançait la 205 Junior. Pour à peine plus qu'une R4 GTL ou une 2cv Charleston, vous pouviez rouler en 205. Une 205 sous-motorisée et sous-équipée, mais une 205 quand même. Le pli était pris. Il y eu d'ailleurs une Supercinq Five calquée sur la 205 Junior.

Georges Besse remplaça Bernard Hamon. La Régie perdait beaucoup d'argent et il fallait des mesures fortes. Citroën avait annoncé la fin de la 2cv ; il n'y avait plus de tabou. La R4 était condamnée. La Sixties fut la dernière série limitée. Raymond Levy poursuivit dans sa voie. Il voulait un constructeur avec des produits jeunes et une montée en gamme. Un constructeur qui lorgne sur l'Europe du Nord. Un constructeur qui prend ses distances avec l'état Français.
La R4, vieillotte et franchouillarde, c'était l'antithèse du Renault version Raymond Levy. L'apparition du catalyseur obligatoire fut un prétexte commode. Accessoirement, la R4, c'était l'île Seguin, bastion de la CGT, régulièrement en grève.
En annonçant frontalement la fermeture de l'usine, Georges Besse avait déclenché une levée de boucliers (NDLA : certains dirent qu'il avait même scellé son destin.) Raymond Levy fut plus subtil. En mars 1988, l'usine Citroën de Levallois-Perret, produisait sa dernière 2cv et fermait dans la foulée (les dernières 2cv provenant du Portugal.) L'île Seguin, elle, continua de produire des R4. Elle était alors vraiment obsolète et avec l'arrivée en fanfare de la Twingo, peu de gens regrettèrent la R4...

Contrairement à la 2cv, la R4 n'a pas connu d'emblée un élan de sympathie. Nombre de voitures furent sacrifiées lors des primes à la casse. Renault commença vraiment à la sortir du purgatoire pour ses cinquante ans, en 2011. Aujourd'hui, une R4 récente en bon état vaut 8 000€, voire 9 000€ (sans surcote pour les modèles les plus anciens) et l'on trouve des épaves à 1 000€. On est loin des délires de la deux pattes...

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