Sigma-diesel

On a tendance à souvent évoquer les mêmes constructeurs, les mêmes histoires... Pourtant, en bientôt 140 années d'automobiles, il s'en est passé, des choses ! Et l'on ne parle jamais des équipementiers. Les équipementiers ne parlent jamais d'eux-mêmes, d'ailleurs. C'est bien dommage, car à l'ombre des constructeurs, ils ont contribué au grand livre de l'automobile. Parfois, ils ont connu de beaux succès ou aux contraires de grandes épreuves.

Tout à commencé par une note dans le livre Stratégies pour l'achat gagnant de Claude Marcel :

Moteurs d'avions

De 1932 à 1940, le président Albert Lebrun vit défiler vingt gouvernements. Et autant de politiques d’aviation militaire. Faut-il baisser la voilure, pour assainir les finances d’une France touchée par la crise de 1929 ? Ou bien s’armer face au bellicisme nazi ?
Henry Potez, Marcel Bloch et Louis Bréguet, rois de l’aviation, savaient s’adapter en conséquence : quitte à ouvrir une usine, qui allait être nationalisée, voire fermée, le lendemain. Profitant d’une éclaircie, un consortium comprenant Louis Bréguet, Alsthom et Thomson-Houston créa la Société Industrielle Générale de Moteurs d’Avions, en 1938. Elle fut créée pour décrocher un appel d’offres publique de fabrication de moteurs Bristol-Hercules. Alsthom mit dans la corbeille un site à Vénissieux, où il assemblait autrefois des tramways. La SIGMA décrocha le contrat.
La production ne fut prête qu'à l’été 1940. L’armistice était déjà signé, néanmoins l’occupant ordonna le démarrage de la fabrication de moteurs… Mais sans payer de royalties aux Britanniques.
SIGMA accueillit aussi le Groupe d’Etude de Moteurs à Huile Lourde (GEMHL.) Un bureau d’étude semi-clandestin, qui devait équiper un Potez 25 d’un moteur diesel.
En mars 1944, l’aviation Britannique cibla SIGMA (des bombes sont encore régulièrement retrouvées à Vénissieux.) Le fameux moteur d’avion diesel fut l’une des rares choses épargnées. Il fut envoyé à Suresnes, non pas chez Potez, mais à l’usine Talbot-Lago (de peur que l’avionneur soit lui aussi bombardé.)

Injection diesel
A la libération, la société fut renommée Société Industrielle Générale de Mécanique Appliquée. Ce qui permit de conserver l’acronyme SIGMA. Né dans l’entre-deux guerres, le diesel s’imposa dans l’immédiat après-guerre. En 1947, Bosch développait une branche autour de l'univers du diesel. A la même époque, profitant de l’expérience du GEMHL, SIGMA se lançait dans le diesel : secteur naval, machinisme agricole… Et camions. Sigma-diesel, sa nouvelle raison sociale, fabriqua des pompes à injection pour PL. Berliet avait crû à "l'huile lourde" dès les années 30. Son usine était à un jet de pierre de Sigma-diesel et il allait assurer la prospérité de l'entreprise.

Dans les années 50, 60, l'équipement automobile était balbutiant. La valeur ajoutée était autour du moteur : bougie, allumage, carburateur... Pour le reste, les constructeurs faisaient le tour des PME, des plans sous le bras : "Vous pouvez nous le fabriquer ? OK, ils nous en faut 500 par jour, à partir de lundi !" La France n'a pas encore d'équipementier hégémonique, comme Lucas en Grande-Bretagne, Bosch en Allemagne ou AC-Delco aux Etats-Unis : il y a donc un espace pour des ETI, comme Sigma-diesel. Avec ses pompes à injection, il fournit non seulement Berliet, mais aussi ses concurrents Saviem et Unic. Il distribuait les porte-clefs aux garages PL, le nom du garage (ici, Lille-diesel) étant gravé sur une plaquette. On trouvait également des injecteurs Sigma-diesel sur les Indenor XD des Peugeot J7... Mais curieusement les premières berlines diesel de Peugeot (403, puis 404 et 504) avaient des injecteurs Bosch ou Lucas. Erreur de stratégie ou bien manque de patriotisme d'Indenor ?

Pour ses moteurs, Berliet s'est longtemps fourni chez Perkins, MAN, puis Citroën. Le MIDS 06.20.30 doit être le premier moteur fabriqué en interne. Sigma-diesel doit lui fournir une injection électronique. On est dans un basculement des équipementiers typique des années 70, 80. L'électronique débarque, mais les constructeurs ne veulent pas acheter des diodes ou des résistances et encore moins les sélectionner. Les équipements deviennent donc plus complexes. Surtout, on passe de l’exécution à l'innovation : les équipementiers ont leur propre bureau d'étude et ils développent des technologies qu'ils peuvent ensuite proposer aux constructeurs.

Les années Bosch
Au milieu des années 70, Sigma-diesel possède un carnet de commande bien plein, un nouveau produit dans les tuyaux... Mais les caisses sont vides. Berliet a-t-il mis trop de pression sur les prix ? C'est ce qu'il se murmurait. Berliet, comme les autres, n'aurait eu aucune empathie pour ses sous-traitants. Il y avait une dissymétrie de taille. Il était fréquent qu'un constructeur reçoive une livraison et dise : "Ah oui, au fait, on a changé d'indice. Donc les pièces, là, on ne les prend pas et on ne les paye pas non plus." 
L'entreprise coule, alors que le MIDS 06.20.30 entrait en production. Le 13 mai 1974, Bosch reprit officiellement Sigma-diesel. Le nom, réputé dans les PL, fut conservé jusqu’en 1985. Les donneurs d'ordre ont du regretter Sigma-diesel... Car Bosch était déjà un équipementier de taille et il était davantage en position de force. De plus, il disait aux constructeurs : "Sur telle technologie, on a fait un codéveloppement avec Mercedes-Benz. Il a pris une exclusivité sur n années, vous serez servi ensuite. Mais si vous n'êtes pas content, allez voir... Personne, vu qu'il n'y a plus que nous !" Grâce à Bosch, Vénissieux se diversifiait dans les VL et elle embaucha.

Lente agonie
Les années 80 et 90 furent relativement tranquilles. Paradoxalement, en 2005, alors que le diesel devenait hégémonique, les plans sociaux se multipliaient à Vénissieux. Les normes Européennes, plus drastiques, faisaient monter les coûts. Alors que les constructeurs exigeaient des équipements toujours moins chers. En 2009, les salariés acceptèrent un gel des salaires, mais l’année suivante, la production de pompe à injection s’arrêta définitivement. Bosch proposa alors une reconversion dans les panneaux photovoltaïques. La presse s’enthousiasma (euphémisme) pour ce passage du diesel honni vrs une énergie propre. Mais les Chinois cassaient les prix sur le solaire. En 2014, le Breton Sillia voulait reprendre le site, un projet qui fit hélas long feu. En 2016, Bosch négociait avec la centaine de salariés. L’outillage, quasi-neuf, fut dispersé en 2017. En 2020, un projet baptisé Usin (sans e) devait assurer la reconversion du site, avec création d’une ZI moderne. Notez que la presse lyonnaise continue de parler « d’usine Sigma », 35 ans après...

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