Un détour à Capri [mis à jour]

Samedi dernier, c'était jogging. La police avait fermé une rue et j'ai du prendre un détour, c'est comme cela que je suis tombé sur cette Ford Capri (Mk1) 1600 GT.
La Capri fut lancée en 1968, un an après la création de Ford Europe. Pour autant, l'ex-Ford UK et l'ex-Ford-Werke GmbH conservaient une grande autonomie. Si les voitures produites à Halewood disposaient de moteurs Kent, celles sorties de Saarlouis avaient des V4 issus de la Taunus.

En 1972, la Capri fut reliftée et il y eu un rapprochement des motorisations. Exit, les V4, place aux 4 cylindres (et au V6) Britanniques. D'où cette 1600, proposée en finition GT.
Pour le look, c'était le top. A fortiori avec ces Cibie. On se croirait au col du Turini ! Pas toutes en même temps, les filles, il n'y a que 4 places ! Hélas, au tour de clef, c'était autre chose : 88ch, une boite à 4 rapports et 13 secondes pour atteindre les 100km/h ! Une fois lancé, ça allait mieux et elle atteignait un 170km/h plus que raisonnable pour l'époque.
La Capri fut la dernière vraie création de Ford UK à rayonner sur l'Europe (et même le monde.) La Granada traversa la mer du Nord dans l'autre sens. Puis la Fiesta matérialisa la prise de pouvoir de l'ex-filiale Allemande (j'y reviendrai...)

Lorsque l'on pense voiture Britanniques de grande série des années 60, 70, on pense à Austin, Triumph ou MG. Mais la vraie success story, c'était Ford UK.

Ford UK ouvrit en 1903. Le vrai décollage eu lieu avec l'arrivée de la T.
Pour Henry Ford, elle devait être une "voiture universelle". Avec le taylorisme, plus besoin d'ouvriers spécialisés. N'importe qui pouvait assembler des T. Pour Ford, fils d'immigrés Irlandais, l'ultime symbole de ce "n'importe qui", c'était cette Irlande rurale et misérable. Il voulu ouvrir une usine à Cork, la ville que son père avait quitté un demi-siècle plus tôt. Hélas, ce dernier, mort en 1905, ne la vit jamais. En attendant, face à une demande grimpant en flèche, Percival Perry persuada Henry Ford de produire la T en Grande-Bretagne. Une ex-usine de Tramway, à Trafford, près de Manchester, fut reconvertie, en 1911. Perry était également le représentant officiel de Ford pour l'ensemble du vieux continent, ainsi que l'empire Britannique.
Après la guerre, Henry Ford reprit de plus belle son rêve de produire des voitures partout dans le monde. Il fit bâtir des usines à Bordeaux (1916), Cork (1917), Cadix (1920), Berlin (1925), Yokohama (1925), Gorky (1929)... Il songea même à un site en Chine. L'Italie fasciste lui fit des appels du pied, mais Fiat organisa un lobbying pour torpiller l'éventuelle arrivée d'un concurrent dans la péninsule. A l'époque, les droits de douane étaient tels qu'il était plus facile de produire sur place, que d'importer, y compris d'un pays frontalier. Henry Ford se croyait omniscient et infaillible ; il écarta Perry de son poste. En 1923, l'ovale bleu annonça la construction d'une usine à Dagenham, près de Londres. Elle devait être la plus grande usine automobile du continent.

En 1928, Ford se rendit bien compte que son équipe de yesmen était nulle. Il rappela Perry et en fit un petit roi. Dagenham ouvrit ses portes en 1929, remplaçant Trafford. La Ford A était bien trop chère pour les Britanniques, alors que la crise de 1929 pointait son nez. Perry fit concevoir la Y, une A miniaturisée. Produite également en Allemagne, en France et en Espagne, ce fut un best-seller.
Puis la géopolitique entra en scène. Première Ford produite à Cologne, l'Y fut le champ du cygne de l'influence de Perry en Allemagne. Henry Ford regardait avec complaisance l'arrivée des nazis. Ford-Werke GmbH prit ses distances avec sa maison-mère Britannique. La Rheinland, puis l'Eifel furent des modèles spécifiques et Ford fut ensuite nationalisé, toujours avec la bienveillance d'Henry Ford. Cadix était un fief franquiste. Les Républicains le bombardèrent et Ford jeta l'éponge. En France, Ford SAF patinait. L'ovale bleue s'associa avec Mathis, pour former Matford. De son côté, Ford UK faisait tout pour devenir un constructeur Britannique à part entière.

En 1945, Henry Ford II prit le pouvoir et il limita l'influence de sa famille dans l'entreprise. Son grand-père, Henry Ford, mourut en 1947. Perry, lui, prit sa retraite en 1949. Ce fut paradoxalement la grande époque de Ford UK. Le constructeur se dota d'une seconde usine, à Southampton, en 1953. Puis une troisième, à Halewood, en 1963. Des investissements qui reflétaient son expansion continue. Il se dota ensuite d'un bureau d'étude ultra-moderne, à Dunton.
Avec les Anglia, Consul et Cortina, Ford UK mena une politique commerciale très agressive. Sans oublier, bien sûr, un engagement sportif. A l'époque, les Britanniques achetaient des Austin et des Morris, par patriotisme. BMC considérait cette clientèle comme acquise et le groupe ne faisait guère d'efforts. A contrario, il était plus attentif aux véhicules destinés à l'export... L'ovale bleu comprit que tôt ou tard, la clientèle Britannique allait se rendre compte qu'elle se faisait berner et le retour de bâton serait violent (et il fut violent, pour BL...) D'où un effort accru sur les motorisations et la qualité de finition. GM fit de même avec Vauxhall, dans les années 70.
En 1975, Ford devint le premier constructeur Britannique. Bientôt, Ford et Vauxhall dominaient le marché, ne laissant que des miettes à un BL devenu Austin-Rover...
Entre temps, Ford SAF était redevenu indépendant. La Vedette, dérivée d'un projet mort-né de petite Ford, connu un succès certain, au début des années 50. Mais le constructeur manquait de moyens, dans un marché automobile Français toujours plus compétitif. En 1955, la filiale fut vendue à Simca, qui s'intéressait surtout à son site de Poissy.
Restait Ford-Werke GmbH... En terme d'influence et de niveau de production, elle était loin de sa cousine Britannique. Dans le bouillonnement permanent qu'était l'automobile Allemande de l'immédiat après-guerre, Ford a survécu, point. Alors qu'Opel était nettement plus ambitieux. Le tournant eu lieu dans les années 60. L'ovale bleue profita du traité de Rome pour s'implanter en France, en Italie et dans le Benelux. Signalons qu'en 1964, elle ouvrit une usine à Genk, en Belgique.

En 1967, Ford UK était un colosse. Mais la Grande-Bretagne n'était pas dans l'union européenne et ses exportations étaient surtaxées. Ford choisit de regrouper ses deux filiales et le QG fut implanté à Cologne. Charge à l'ex-Ford-Werke GmbH de monter en puissance, en récupérant les véhicules de Ford UK.
Le Transit fut ensuite le premier véhicule à franchir la Manche, d'est en ouest. La conception de l'Escort était bien avancée, au moment de la fusion. Néanmoins, elle profita d'un vrai déploiement européen, à son lancement, en 1968. Puis il y eu donc la Capri. A cet instant, les gammes Ford en Grande-Bretagne et en Allemagne commençaient à se ressembler.
Au cours des années 70, le curseur de Ford Europe bascula de la Grande-Bretagne vers l'Allemagne. Le bureau d'étude de Merkenich prit la main sur Dunton. En 1976, Ford Europe ouvrit une usine à Valence et une usine de boite de vitesse à Bordeaux. En parallèle, la Grande-Bretagne entrait dans l'Union Européenne, plus de surtaxe à l'importation ou à l'exportation. A partir de là, la Grande-Bretagne n'était plus qu'un pays parmi d'autres dans la stratégie industrielle de Ford Europe. Il n'était plus obligé de produire un même modèle en Europe continentale et sur les iles Britanniques. La Granada fut ainsi le premier modèle vendu en Grande-Bretagne, à être importé. Cork fut fermé. Une usine de moteurs ouvrit à Bridgend, mais ce fut l'exception qui confirma une tendance à investir sur le continent.
Les choses allèrent de mal en pire dans les années 90. Ford s'était endormi sur ses lauriers. Il se retrouva en surcapacité. Les usines Britanniques étaient vieilles et elles furent sacrifiées. La Mondeo fut ainsi uniquement produite à Genk. Tant pis pour Dagenham, qui produisait la Sierra. La Focus sortait de Valence, alors qu'une partie de Escort était produite à Halewood. L'usine fut "donnée" à Jaguar. En 2002, Valence eu l'exclusivité de la Fiesta. Dagenham abandonna la production de voitures, au profit des seuls moteurs. En prime, Ford lorgnait toujours plus à l'est. Le Turc Otosan récupéra le Transit, en 2012, au détriment de Southampton. Et lorsqu'en 2008, Ford voulu une usine pour le B-Max, elle posa son chapiteau en Roumanie, dans l'ex-site de l'Axel.

Avec le dernier Transit de Southampton, c'était une histoire d'un siècle de Ford produite en Grande-Bretagne qui s'achevait brutalement.
Ford UK n'est plus que l'ombre d'elle-même et hélas, le temps est plutôt couvert. Il est vrai que Ford continue de perdre du terrain en Europe (-15,5% au premier trimestre 2019) et l'heure est donc à la réduction de voilure. De plus, Volvo et Jaguar-Land Rover, ex-filiales du groupe, ont fini par disposer de leurs propres usines de moteurs, ce qui fait ça de moins en volume. A Daghenham, il reste surtout le Dagenham Diesel Center (DDC.) Pas vraiment une motorisation d'avenir... Quant à Bridgend, on lui a préféré Craiova -le site Roumain- pour les futures mécaniques. Seul l'avenir du centre de Dunton semble assuré.
Mise à jour :
Quelques jours, j'ai recroisé cette Capri. Cette fois, j'ai pu prendre son avant.

Commentaires

Enregistrer un commentaire

Qu'est-ce que vous en pensez ?

Articles les plus consultés