Diabolik

C'est le bonus de Turin ! A l'aéroport, je n'ai pas résisté à ces deux numéros de Diabolik. A 3€ pièce, ce n'était pas un achat ruineux...

Fumetti

Dans les années 50, la BD se développait en France. Mais cela restait des histoires très corsetées. Effrayés par un éventuelle censure, les éditeurs avaient peur de leur ombre. En particulier en matière de violence et de mœurs. Chez Dupuis, on s'interdisait tout simplement les femmes ! Ou alors, comme la mère de Boule, c'était des personnages très secondaires, qui n'apparaissaient qu'en début ou en fin de gag.
D'où des BD excessivement moralisatrices, jusqu'au ridicule. Comme ici, Spirou commandant un jus d'oranges dans un saloon...

La première génération de dessinateurs s'en fichaient. Ils avaient une mauvaise image d'eux-mêmes et de leur œuvre. Il était déjà content de vivre de leurs "petits miquets".
Mais une nouvelle génération arrivait au début des années 60. eux, ils avaient davantage d'ambition. Aussi, ils pressentaient que les premier lecteurs avaient vieillis et qu'ils n'allaient plus se contenter de Quick et Flupke ou de Buck Danny... 

De l'autre côté des Alpes, les BD s'adressaient à un public de jeunes actifs. Des personnes qui voulaient quelque chose de simple, à lire dans le métro. Pour les Italiens, les phylactères sont des signaux de fumée, d'où le nom de fumetti. Dedans, on y trouvait du sang, de la romance et de l'action !

Les auteurs Italiens s'inspiraient des serials d'Hollywood et ils produisaient à la chaine : Akim, Pépito, TexSergent Kirk (dessiné par un tout jeune Hugo Pratt), Scotty Long Rifle, Vampirissimo...
De micro-éditeurs Français (Aventures et voyage, éditions Canal, Evifrance, Gémini, Sagédition...) repèrent le filon. C'était simple : vous preniez un fumetti, vous demandiez à un tâcheron d'en traduire les bulles, un typographe se chargeait de refaire les bulles et de coller le nouveau texte sur l'ancien, puis voilà ! Pas besoin de dessinateurs. Et en prime, ces "BD Américaines" se vendaient comme des petits pains !

Diabolik

Angela Giussani était dessinatrice de livres pour enfants. La genèse de Diabolik est floue. A-t-elle eu un éclair de génie en voyant un Fantomas abandonné dans un rame ? Ou bien a-t-elle réalisé une étude de marché ?

En tout cas, en 1962, elle lança Diabolik. Pas facile de dessiner et de scénariser un album par mois. Sa petite sœur Luciana vint à la rescousse. Puis elles firent appel à des exécutants, dont les noms n'apparaissaient pas.

Diabolik est un voleur de bijoux. Il possède des masques ultra-réalistes, qui lui permettent de passer incognito. Très utiles pour effectuer des repérages ou échapper à un contrôle d'identité.

Diabolik fait ses emplettes chez les mafieux et les politiciens véreux. Il adore neutraliser ses adversaires avec du gaz soporifique. Mais à l'occasion, il leur jette un poignard en plein cœur. Y compris lorsqu'ils ne sont pas agressifs.

Même sans parler Italien, on comprend facilement l'action. 

L'action se passe non pas en Italie, mais à Clerville. Pour ajouter sur le côté "international", Dabolik conduit une Jaguar Type E série 1 noire.

Il n'y a pas d'arc narratif. Chaque album peut se lire indépendamment.

Les seuls personnages récurrents sont Eva Kant, la copine/homme de main du héros et l'inspecteur Ginko. Ce dernier est censé pourchasser Diabolik avec acharnement... Mais il a une rare habilité pour négliger les pièces à conviction et autres indices qui pourraient confondre le cambrioleur...

Les sœurs Giussani étaient douées pour le marketing. Elles n'hésitaient pas à survendre (euphémisme) les albums.

Imaginez, on est au petit matin, vous avez l'esprit embrumé. Sur l'étale du libraire, vous voyez un nouveau numéro de Diabolik. Il s'appelle "Destin Tragique" et on y voit deux personnes porter le corps inanimé du héros. Diabolik meurt ? A l'intérieur, une image de voiture de police Américaine avec des policiers tirant... (NDLA : scène qui n'apparaissait pas dans l'album.) Vous voulez en savoir plus ! Mais votre métro va partir... Alors vous payez 150 lires et ce n'est qu'ensuite que vous réalisez que vous vous êtes fait avoir...

Notez aussi que les personnages féminins sont presque toujours dessinés en contre-plongée ou de dos...

Et les voitures ? C'est un blog de voitures !

Justement, dans Diabolik, elles jouent un rôle central. Rien que dans un album, on a une R5, une Alfa Spider Duetto, une Dyane et une Estafette (notez l'accéssoirisation à l'Italienne, malgré les marquages "Police".) Sans oublier la Jaguar du héros...
Toujours cette obsession de la documentation, typique de l'époque...

Déclin

Les fumetti firent un carton en France. Et si ces micro-éditeurs n'avaient pas de problèmes de censure, les grands éditeurs pouvaient se lâcher un peu, non ?

D'où une explosion de polars et de séries d'action/aventure (Lefranc, Ric Hochet, Archie Cash, Jess Long, 421...) reprenant les codes des fumetti. Les éditeurs osèrent des choses inédites : Natacha, première vraie héroïne de Dupuis, débuta en 1967 !
Et derrière, il y eu toute la BD pour 15-25 ans. Sans les fumetti, aucun éditeur n'aurait accepté les planches de Franck Margerin, Jano, Moebius, Jean van Hamme, Tardi, etc.

Les séries déjà en place furent relookées. Sous la plume de Jean-Claude Fournier, Spirou porta les cheveux longs et il troqua son uniforme de groom pour un jean et des baskets. Ce fut un Spirou plus espiègle, au tempérament plus marqué.
Notez aussi l'apparition d'Ororéa. Seccotine, le premier vrai personnage féminin de la série, était très passive. C'était un boulet pour Spirou et Fantasio. Ororéa, elle, jouait un rôle vraiment actif.

Ces transformations furent souvent progressives. De quoi donner au lecteur le temps de s'habituer. On n'était pas dans les reboot sauvages actuel...

Déclin

En 1968, Dino de Laurentiis voulu adapter Diabolik au cinéma. Le producteur songea à Alain Delon dans le rôle-titre et à Catherine Deneuve en Eva Kant. A la place, il opta pour les méconnus John Phillip Law (visiblement affublé de paralysie faciale) et Marisa Mell.
Mario Bava s'assit sur l'aspect "noir" de la série, au profit d'un style criard, sur le fond, comme la forme. Un vrai monument de kitsch.

Les Beastie Boys en reprirent des scènes pour le clip de Body Movin'. Ad-Rock jouait Diabolik et il s'y livrait à une lutte à mort avec les deux autres membres du groupe pour une recette de sauce tomate !

Sans surprise, le film de 1968 fit un flop. Les fumetti passèrent de mode, les éditeurs français fermèrent boutique dans les années 80 et on les oublia.

En Italie, par contre, Diabolik restait un carton. Au salon de Bologne 2008, Jaguar y rendit hommage avec cette Type E série 1 noire.

La publication de la série a continué jusqu'à nos jours. Soit plus de 700 numéros ! Les sœurs Giussani ne sont plus de ce monde, mais leurs ayant-droits ont poursuivit leur politique zéro scrupules.

Ainsi, ils ont commencé à rééditer les numéros des années 60, ceux-ci devenant des "classiques". A la longue, les numéros des années 90 sont eux aussi devenus des "classiques". Donc réédition ! Mais pour éviter de payer les auteurs, certains dessins ont été refaits. Enfin, comme cela faisait quelques temps qu'ils rééditaient les numéros des années 60, ils ont décidé de les re-rééditer !
Chaque mois, on a donc trois Diabolik : Diabolik Swiisss (réédition de numéro des années 60), Diabolik R (réédition des années 90) et Diabolik inedito.

Pour un album de 2023, certains détaillent sont datés (tenues, coiffures...) et les policiers roulent en Alfa Romeo 156 !

S'agit-il d'un récit inédit des années 90, retouchés à la diable ? La série a toujours privilégié la quantité sur la qualité, mais là, l’exécution laisse clairement à désirer...

Notez que le cambrioleur, lui, roule toujours en Jaguar Type E série 1. Comment se fait-il que l'inspecteur Ginko ne l'est pas coincé ? Des voitures comme cela, il n'en reste plus beaucoup...

Sauf à être un mordu, il n'y a pas vraiment d'intérêt à collectionner les 700 numéros. Les exemplaires des années 60 offrent de la nostalgie. Ce sont un miroir des rêves des jeunes de l'époque (les voitures, les femmes...) et aussi, un flirt avec l'interdit.

En tout cas, entre les rééditions, les reliures, les numéros spéciaux, etc. Vous avez l'embarras du choix ! Et à l'ancienne, chaque numéro se termine par la "boutique"...

Commentaires

Articles les plus consultés