Ayrton Senna, une vie en images

Un livre sur Ayrton Senna ? On s'apprête à fêter les 25 ans de sa mort. Oui, fêter, car pour de nombreux journalistes, éditeurs, producteurs, etc. Senna, c'est un filon inépuisable ! Depuis 25 ans, combien de livres, d'articles, de reportages ou de documentaires ? "Senna, la légende", "Senna, disparu trop tôt", "Senna, le meilleur de tous les temps" : cela confère presque systématiquement des hagiographies.

Disons-le tout net, ce livre n'apporte rien de neuf. De toute façon, que peut-on encore dire d'inédit sur le triple-champion du monde ? Sa vie -y compris privée- a été disséquée. Cet ouvrage de Mario Donnini d'Autosprint s'adresse à ceux qui ne connaitraient pas le Brésilien. Il est illustré par Angelo Orsi, un photographe Italien et il est presque exclusivement composé de photos de Senna lors des Grands Prix.

Pourtant, il s'ouvre sur une coupure de presse. Une photo colorisée d'Ayrton Senna, en 1981, au temps de la FF. Un journal Brésilien se demande si c'est "le nouveau Fittipaldi". Notez que ce n'est pas le premier article consacré au pilote. Par exemple, en France, Auto-Hebdo avait fait un encadré sur un prodige du kart, Ayrton da Silva. Les Brésiliens (comme les Espagnols et les Portugais) accolent le nom de jeune fille de leur mère à leur patronyme. Ayrton s'appelait "Senna da Silva". "Da Silva" étant le nom de son père. Mais en automobile, il devint "Ayrton Senna".
Depuis Emerson Fittipaldi, nombre d'espoirs Sud-Américains traversaient l'Atlantique et s'essayaient à la F3. Senna, lui, prit l'avion en 1979, alors qu'il courrait encore en karting. Son objectif, c'était le championnat du monde du karting. Il termina deux fois 2e. Fin 1980, il testa une FF 1600 et l'année suivante, il se lança en automobile et remporta le championnat Britannique. Pourtant, il disputa encore une fois le championnat du monde de kating, terminant 4e. En 1982, il s'offrit un numéro de soliste en FF 2000 Britannique... Mais il réapparu une ultime fois en championnat du monde de karting ! Il creva en finale ; il ne serait jamais champion du monde. Senna n'a pas non plus disputé le Formula Ford Festival 1981. Son entourage était opposé à sa carrière de pilote ; il rentra précipitamment au Brésil pour se rabibocher avec son père et son épouse. En vain. Senna coupa les ponts et divorça.

Senna, c'était une ambition, voire une arrogance. Déjà, en karting, il n'avait pas que des amis... 1983, c'était l'année de la F3. Vingt courses, douze victoires, deux 2e places... Et six abandons ! C'était littéralement "ça passe ou ça casse" ! Il remporta au passage le Grand Prix de Macao F3, sa première victoire "mondiale".
Le livre suit ensuite le pilote, saison par saison. En 1984, ce fut donc les débuts, avec Toleman. Hasard du calendrier, il disputa son premier Grand Prix à Jacarepaguà. Ainsi, 3 ans après son divorce, c'était en pilote de F1 qu'il revenait au Brésil. D'emblée, il se montra intriguant. Chez Toleman, il fit pression pour avoir l'exclusivité du nouveau moteur Hart à injection... Ce qui ne l'empêcha pas de tester avec Williams et Brabham, en vue de 1985. Il passa chez Lotus, pour sa seconde saison, où il se plaignit du Renault : c'est ce moteur ou moi ! Et lorsque l'écurie signa avec Honda, il profita des liens pour se rapprocher de McLaren, où il signa en 1988.
S'il était arrogant voire arriviste, c'est qu'en retour, c'était un prodige. C'est la différence entre Senna et un Dan Ticktum ou un Alex Lynn (qui retrouve ce week-end la Formule e) ! If you gonna be dumb, you gotta be tough. Chez Toleman, la star, c'était Johnny Cecotto, ex-champion moto et vice-champion de F2. Alors que le Vénézuélien luttait pour se qualifier, Senna amènerait sa voiture sur le podium (lors d'un fameux Grand Prix de Monaco...) Puis il récidiva deux autres fois. Ce furent d'ailleurs les seuls podiums de Toleman en F1. Idem chez Lotus où il atomisa Johnny Dumfries (alors grand espoir Britannique), puis Satoru Nakajima (censé être le Prost Japonais.) Lotus était déjà à la dérive et le Brésilien fut le dernier à remporté une course avec l'équipe. C'était un incroyable metteur au point. D'ailleurs, après lui, Lotus avait du mal à simplement marquer des points !
L'apogée de Senna, ce fut 1988-1991 ; ses premières années chez McLaren, il faisait équipe avec le roi Alain Prost. Le Français était chez les "rouge et blanc" depuis 1984, après le titre loupé chez Renault. Il avait remporté deux titres de champion du monde. Depuis ses débuts, en 1980, Prost avait presque toujours fini sur le podium du championnat du monde. Dans le plateau de 1988, seul Nelson Piquet, alors en déclin, avait un palmarès aussi fourni.
Pourtant, Senna n'eu aucun complexe. D'emblée, il se mit au niveau de son équipier et il décrocha le titre 1988. En 1989, Prost s'imposa, mais l'ambiance chez McLaren était délétère ; il y avait un champion de trop... Et ce fut le Français qui craqua, signant chez Ferrari, après six saisons chez McLaren !

Senna remporta les titres 1990 et 1991, décrochant trois titres en quatre ans. Trois titres en huit saisons de F1, du jamais-vu dans l'histoire moderne de la F1. Il était au firmament. McLaren battait les records de victoires ou de points accumulés en une saison.
L'époque était à l'arrivée de la TV par câbles et des chaines dédiées au sport. Jamais un pilote n'avait eu autant de caméras sur lui. Très religieux, voire mystique, Senna était un bon "client" pour les journalistes, avec ses envolées lyriques. C'était aussi le temps de la chute du mur et le capitalisme triomphant. L'argent coulait à flot. Senna était un pilote Brésilien, courant pour une écurie Anglaise, sponsorisée par un cigarettier Américain et motorisée par un Japonais. Entre deux courses, il parcourait le monde en jet privé ou avec son hélicoptère personnel. Pendant ce temps, aux quatre coins du monde, son effigie s'étalait sur des pubs ou des paquets de cigarette. Les starlettes Brésiliennes faisaient la queue devant sa chambre.
Puis ce fut un trou d'air. La progression des Williams/Renault était inexorable. En 1992, Nigel Mansell brisait l'invincibilité de McLaren. Honda, touché par la crise Japonaise, choisit de raccrocher, plutôt que de défendre son titre. Senna était sur place, au Japon, lors de l'annonce du constructeur. Il apparaissait vraiment affecté.
Il avait effectué les deux tiers de sa carrière avec un Honda dans le dos. Il tutoyait Soichiro Honda et connaissait bien la poignée de mécaniciens et d'ingénieurs Japonais expatrié en Grande-Bretagne. Mais aussi, cyniquement, il savait que son Honda, McLaren n'avait plus de moteur. Les discussions avec Renault implosèrent sur la question du lubrifiant : Renault, c'était Elf, alors que McLaren était lié à Shell. Pour 1993, Williams avait engagé Prost et pas question d'être son équipier. Senna recommença à intriguer. Il fit pression sur McLaren, qui trouva finalement un Ford "usine", au grand dam de Benetton. Pour 1994, McLaren voulait un poussif Lamborghini. Senna pilota un mulet. Fittipaldi, exilé en CART, lui offrit un test avec sa Penske. Le CART avait déjà récupéré Mansell. "Rouge et blanc", également sponsor de Penske était prêt à faire un juteux chèque au Brésilien. C'était carrément une partie de poker-menteur avec la FIA. Senna disait à Bernie Ecclestone : "Trouve-moi une voiture, où je pars en CART, rejoindre Mansell. Prost va prendre sa retraite et sans aucun de nous trois, personne ne regardera ta F1 !"

Senna signa chez Williams pour 1994, coupant l'herbe sous le pied de Prost et le forçant à raccrocher. A peine arrivé, il discutait avec Ferrari pour 1995 !
Mais une nouvelle génération poussait. Michael Schumacher et Damon Hill était les premiers pilotes des années 90 à s'imposer. L'Allemand, au moins aussi déterminé que le Senna des débuts, impressionnait. Et les Britanniques, eux, se passionnaient pour cet Hill Jr. Les contemporains de Senna étaient en fin de carrière. D'ailleurs, il voulu lui-même adouber son successeur. Après avoir soutenu Mauricio Gugelmin, il prit sous son aile les très jeunes Rubens Barrichello, Helio Castroneves, Christiano da Matta et Tony Kanaan. Le vendredi de ce funeste week-end de Saint-Marin 1994, Barrichello sorti violemment et Senna vint immédiatement le voir à son hôpital.
Le livre s'arrête sur le Grand Prix de Saint-Marin 1994 et la mort de Senna, à 34 ans.

Il y en aurait beaucoup à dire sur "l'après" et ce tourbillon médiatique. Senna fit parti d'une série noire, avec la mort de Roland Ratzenberger, l'accident grave de Karl Wendliger et l'incendie de la Benetton de Jos Verstappen (aussi spectaculaire que sans gravité.) La F1 dut prendre des mesures pour la sécurité (moteur 3l, protection latérale, câbles dans les roues...)

Et puis, il y eu le choc au Brésil. Les immeubles étaient couverts de peintures naïves. On s'arrachait les casquettes "Nacional".
Le pays se chercha une nouvelle idole. Barrichello, héritier désigné, déçut et il fut conspué. Dès qu'un Brésilien gagnait trois courses de Formule Renault, les médias -y compris en Europe- se jetaient sur lui et le désignaient par "nouveau Senna". Quitte à le lâcher aussitôt, lorsque les résultats ne suivaient pas. Tarso Marques et Ricardo Zonta passèrent ainsi de la gloire au lynchage collectif. Sans oublier Bruno Senna, le neveu, qui profita longtemps d'une bulle médiatique, mais le jour où elle creva... Quant à Jaime Melo Jr, nul doute que cela expliqua en partie ses dérives personnelles...

La banque Nacional fut absorbée en 1995 et depuis 2018, il n'y a plus de Brésiliens en F1.

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