Hispano-Suiza H6A "Roi de Grèce" par GLM

Sur ce blog, je parle à 95% des voitures sorties d'usine après 1945. Il faut dire que les voitures de l'entre-deux guerre sont devenues bien rares. Et très précieuse. C'est tout juste si j'en surprend une sur une remorque, de retour de restauration ou bien sur le chemin de Vincennes en Anciennes. Rétromobile permet également d'en approcher de près. Mais le reste du temps, nada.

Alors je vais d'autant plus profiter de cette Hispano-Suiza H6A 1922 "Roi de Grèce" carrossée par Henry Binder au 1/43e.

A l'origine, GLM devait m'expédier une Cadillac Allante pace-car des 500 Miles d'Indianapolis 1993. Une miniature inédite, en exclusivité pour Joest F1. 7 mois après, je l'attends toujours.

N'ayant vu rien venir, j'ai râlé et GLM m'a laissé choisir 3 voitures parmi celles qu'ils avaient en stock. J'ai ainsi opté pour une Mercedes-Benz 500SL (R107) AMG, une Chrysler Voyager 1 FL et donc, une Hispao-Suiza H6A 1922 "Roi de Grèce" carrossée par Henry Binder. Une vraie Hispano, pas comme celle de mon grand-père !

Dans mon planning d'articles, la Mercedes-Benz AMG devait être évoquée la première. Mais tout ceux à qui j'ai listé les miniatures se sont focalisés sur l'Hispano. "Attends, attends, attends ! Redis-me le moi ? Une Hispano-Suiza à six roues ? Une Hispano-Suiza à six roues ?"

J'avais l'impression de percevoir une cascade de messages d'erreurs Windows sur leur cerveau !

Au bout du troisième, je m suis dit qu'il fallait plutôt commencer la Française...

Il faut dire que les voitures à six roues sont très rares dans l'histoire automobile. A fortiori dans les voitures civiles. La plus connue, c'est la Tyrrell P34.

A 4,3m de long, la Tyrrell P34 était une géante. Mais à échelle égale, à côté de cette Hispano-Suiza, elle semble bien minuscule !

Six roues, mais aussi capot interminable, traitement art-déco de l'avant et armoiries sur les portes : cette H6A semble très particulière. Un la croirait sortie d'un dessin animé de Tex Avery ! GLM a prit l'habitude de reproduire des véhicules existants, mais parfaitement inconnus. Je ne savais rien de cette Hispano-Suiza, mais je me doutais bien qu'elle possédait une histoire particulière. Et c'est pour cela que je l'ai choisie.

Déjà quatre paragraphes et toujours pas d'historique ! Je traine trop sur Watch Mojo... A propos, avez-vous pensé à vous abonner à mon site ?

Je l'ai toujours désignée comme "Hispano-Suiza H6A "Roi de Grèce"." Pourtant, elle n'a jamais mis les pieds sur le sol Grec et en plus, le souverain qui l'avait commandé ne s'est jamais assis dedans !

Contextualisons. La révolution Française aurait du être un avertissement. Désormais, ce n'était plus au monarque de décider le destin de son peuple, mais au peuple de décider le destin de son monarque. S'ils voulaient d'un monarque. Pourtant, un siècle un quart plus tard, l'absolutisme dominait l'Europe. Juste avant la Première Guerre Mondiale, le Portugal rejoint la France et la Suisse dans le club très privé des Républiques. 30 ans plus tard, il ne restait plus qu'une poignée de monarchies parlementaires en Europe. L'absolutisme avait été balayé et les monarques écartés de force du pouvoir.
Le dix-neuvième siècle avait été un temps de transformation sociale très profonde. La féodalité était adaptée à une société rurale ; pas à ces contrées désormais urbaines et industrielles. La liste des prérogatives s'allongeait sans cesse. D'ailleurs, les souverains Britanniques et Prussiens choisirent d'anoblir massivement les grandes familles bourgeoises, les nouveaux maitres des rouages. Le petit peuple gardait en mémoire la jurisprudence française. C'était également le temps de la sécularisation, de nationalisme (or, la plupart des souverains étant d'ascendance Anglaise ou Prussienne.) La personne du roi n'était plus taboue. Entre 1860 et 1914, les attentats contre les souverains et leurs héritiers se multiplièrent. Le tsar Alexandre II fut ainsi victime de quatre tentatives d'assassinat ! La cinquième fois, quelqu'un lança une bombe sous son carrosse blindé. Encore raté ! Le tsar sorti du carrosse pour examiner les dégâts et un second terroriste profita qu'il fut à découvert pour lancer une autre bombe...

Malgré tout, les souverains Européens restèrent sourd aux revendications. Le XXe siècle vit l'émergence d'une nouvelle génération de monarques, pire que la précédente. Des souverains autistes, enfermés dans leurs luxueux palais, accrochés à leurs privilèges et incapables de prendre les bonnes décisions pour leurs pays. Seul le Portugais Manuel II admit que le vent de l'histoire soufflait contre lui.
 

En Grèce, le roi Constantin 1er, pro-Allemand, finit par être déposé en 1917. Son fils Alexandre fut couronné. En 1920, Alexandre fut mordu par un singe échappé d'un zoo et il mourut d'une maladie exotique. Constantin 1er revint d'exil. Lui qui était destiné à reprendre Constantinople poursuivit la "Grande Idée" d'Alexandre. Il parvint surtout à perdre la Thrace Orientale et la Ionia (l'Anatolie Occidentale.) En 1922, il dut abdiquer de nouveau et mourut peu après.
Georges II, le fils cadet, fut ainsi propulsé roi. La Grèce était alors ruiné par la guerre Gréco-Turque, un quart de la population était des Grecs et des Chrétiens orientaux ayant fuit les persécutions en Turquie. Il y avait des problèmes récurrents de corruption. Donc, logique, la première décision de Georges II fut de commander une somptueuse Hispano-Suiza !

Lancée en 1919, l'Hispano-Suiza H6 fut la première grande berline de luxe de l'après-guerre. Pro-Germanique face à un peuple pro-Britannique, Georges II avait peut-être sélectionnée une voiture d'un pays "neutre".

Henry Binder créa son entreprise de carrosserie vers 1860. Rien ne fut simple, dans la famille, avec jusqu'à trois maisons Binder différentes existants en simultané ! Le fondateur mourut en 1901. Sa femme, Louise vécu jusqu'en 1918. Un certain M. Cottenet avait repris la carrosserie, tout en conservant la marque "Henry Binder". En 1918, Adèle, qui avait épousé un neveu d'Henry Binder (également prénommé Henry et mort depuis) hérita de la carrosserie. Elle la renomma Veuve Henry Binder. Malgré les vicissitudes, c'était alors l'un des carrossiers d'Hispano-Suiza les plus en vue.
Hispano-Suiza ne vendant que des châssis nus.

En 1922, donc, le roi Georges II nouvellement couronné,  passa commande à Henry Binder. Georges II avait horreur de gérer les affaires d'état. Mais il ne voulait pas être le faire-valoir d'un premier ministre (comme son père et son frère ainé.) Il tenta un coup de force, qui fut un flop et il fut destitué 18 mois après son accession au trône.

Lorsque l'Hispano-Suiza fut achevée, Georges II était donc destitué, la Grèce était devenue une République et Pavlos Kountoriotis ne voulu visiblement pas de la voiture.

Pendant ce temps, Veuve Henry Binder est en difficulté financière. Maurice Binder, un cousin d'Adèle, est nommé par le tribunal de commerce pour trouver un repreneur, qu'il ne trouvera qu'en 1928.

Nul doute que pendant cetemps, Maurice Binder organisait un "Black Friday" dans les stocks de Veuve Henry Binder ! Le cinéaste Américain D.W. Griffith acheta ainsi l'Hispano-Suiza pour 35 000$.
 

En 1933, la voiture apparue dans La quarante chevaux du roi (NDLA : en fait, la H6A avait une puissance fiscale de quarante-six chevaux.) Une comédie où un roitelet d'un imaginaire pays d'Europe tombait amoureux d'une serveuse.
Quoi de mieux pour la voiture du souverain qu'une voiture ayant plus ou moins appartenu à un souverain Européen ? D.W. Griffith, sur une pente descendante, faute d'avoir su négocier le virage du parlant, a sans doute soldé sa voiture. L'Hispano-Suiza fut-elle transformée pour l'occasion ? Avait-elle seulement 6 roues à l'origine ? La calandre en "V", les phares en ovale et cette couleur jaune ne font guère "1923". Est-ce D.W. Griffith qui l'avait modifiée lors de son achat ?
En tout cas, quelques années plus tard, repeinte en kaki, elle joua un rôle de voiture d'état-major de l'armée impériale Japonaise dans un autre film.

Une vingtaine d'année plus tard, J.D. Forney commença une collection de voitures anciennes. En 1961, il fonda un musée à Denver pour les dévoiler au public. 

L'Hispano-Suiza H6A reçu une restauration bâclée, hélas typique des années 60. Elle en reprit même les armoiries imaginaires du roi de La quarante chevaux du roi ! Par contre, le pare-choc fut raccourci et le demi-toit en simili (la capote ne recouvrant que la dernière rangée de siège) disparu.

GLM l'a reproduite tel quel.


Hispano-Suiza connu elle-même un drôle de destin. Dans l'automobile, on a connu des constructeurs de moteurs d'avions s'étant reconverti (BMW, Lincoln, Maybach...) Hispano-Suiza fit quasiment le chemin inverse !
Bien sûr, comme Hispano-Suiza était dans le camp des vainqueurs, elle pu poursuivre la construction de moteurs d'avions après le traité de Versailles. Mais il s'agissait d'une activité annexe. Bien que Le Point d'Interrogation, le premier avion à traverser l'Atlantique d'est en ouest, avait un moteur Hispano-Suiza. Le moteur V12 de la J12 (1934) était directement issu de l'expérience aéronautique.

Au milieu des années 30, la France traversa une crise économique. Hispano-Suiza chancelait. Dès 1936, Léon Blum songea à une nationalisation d'Hispano-Suiza, afin d'en sécuriser la branche aéronautique militaire. Ce fut fait en 1937. La production de voitures fut mise sur une voie de garage et elle s'interrompit en 1939. Même si, après la guerre, Hispano-Suiza songea brièvement à revenir. Après la guerre, la fabrication de moteurs d'avions, en France, fut le pré-carré exclusif de la SNECMA. Hispano-Suiza se spécialisa dans les équipements (alternateurs, systèmes d'éjection) et repris Bugatti, avant d'être elle-même absorbée par la SNECMA.

Régulièrement, il y a des tentatives de ressusciter la marque, en Espagne.

Pour la route, une dernière image de l'Hispano-Suiza "Roi de Grèce" aux côtés de la Tyrrell...

Commentaires

Articles les plus consultés