ChangAn-Suzuki Alto par XCartoys
Faut-il rappeler que XCartoys est sans doute l'un des rois du 1/64e. Il est au niveau d'un Mini GT.
Hasard ou coïncidence, sur la page Wikipedia de l'Alto, il y a une ChangAn-Suzuki Alto Happy Prince turquoise. Non seulement la miniature est fidèlement reproduite, mais le kit "works" est mieux aligné que sur les vraies !
Sur la boite, il affiche fièrement qu'il dispose de l'imprimatur de Suzuki.
ChangAn est une entreprise aux origines remontant à 1862 ! Au train où vont les choses, XCartoys va sans doute prochainement produire une réplique du Suzuki Carry. Ce sera l'occasion de revenir sur son histoire tumultueuse...
A la fin des années 80, la Chine passe une deuxième série d'accords industriels avec le Japon. Il s'agit cette fois de production sous licence de deux micro-citadines : la Daihatsu Charade et la Suzuki Alto. La Charade est attribuée à Tanjin Huali (qui produisait déjà des minivans Daihatsu.) Pour l'Alto, le conglomérat COIC (appartenant à l'armée Chinoise) joue les marieurs. Il attribue des outillages à ChangAn (qui produisait donc des Suzuki Carry), à Beifang (qui avait déjà tenté de produire sa propre voiture) et à un carrossier industriel nouvellement créé, Jiangnan. Trois filiales du COIC. Curieusement, ChangHe, qui produisait également des Suzuki Carry, fut oublié.
Le défaut récurrents de l'état Chinois, c'est de tenter de résoudre dix problèmes avec une solution !
En l'occurrence, voici les objectifs des Charade et Alto :
1) Tout d'abord, motoriser le peuple. Le Pays du Milieu rêvait d'offrir une voiture à ses masses laborieuses. Sur la période 75-85, il leur avait donné des vélos. Puis, sur la période 85-95, il leur donna des 125. A chaque fois, l'état construisait des usines cyclopéennes. Après tout, il devait équiper plusieurs centaines de millions d'ouvriers et paysans Chinois !
Le projet de Jiangnan dérivait d'ailleurs de l'idée de Wu Zuozhi. Un dessinateur qui travailla en France, durant l'entre-deux guerre. Il y théorisa l'idée d'une micro-citadine pour la Chine.
Et puis, Suzuki ne pouvait qu’acquiescer. Avec Maruti-Suzuki et Pak-Suzuki, les Alto avaient envahi les rues de l'Inde et du Pakistan. La Chine de la fin des années 80 avait alors un revenu médian et des infrastructures proches de ses voisins. Donc le succès de l'Alto semblait garanti, là aussi.
2) Faire monter les constructeurs Chinois en compétences. La première vague d'accords avec le Japon visait à moderniser l'outil industriel Chinois. Avec les vans et minivans sous licence, la Chine avait pu former des ouvriers et des ingénieurs, construire des usines d'équipements modernes.
Les Charade et Alto avaient un gabarit proche de leurs minivans respectifs. Elles en reprenaient même certaines pièces.
La troisième étape, c'était que ces entreprises volent de leurs propres ailes et créent des voitures 100% Chinoises.
3) Réguler les flux migratoires internes. Depuis le XVIIIe siècle, Pékin et Shanghai sont submergées de paysans fuyant la misères des campagnes. Les Alto allaient être produites à Chongqing (ChangAn), Xi'An (Beifang/Xianalto) et Xiangtan (Jiangnan.) Trois villes du centre jusqu'ici peu attractives. Avec ces usines (et celle de Tianjin Huali à... Tianjin), le pays allait créer des emplois, détourner les flux migratoires et faire baisser la pression sur Pékin et Shanghai.
4) Le ressentiment vis-à-vis du Japon restait vivace. Pas question de monter une joint-venture avec un constructeur Japonais. Ces accords permettait d'obtenir des technologies et des ingénieurs Japonais pour les mettre en place, sans pour autant qu'ils ne possèdent des parts. Les noms Suzuki et Daihatsu n'apparaissaient pas dans les raisons sociales... Mais ils sont inscrits sur les carrosseries, en alphabet latin (que beaucoup de Chinois ne savaient pas lire.)
A posteriori, c'est facile de voir les erreurs béantes d'analyse.
D'une part, les Indiens et Pakistanais ont souvent des familles nombreuses. Surtout, les lieux d'habitation, de travail et de loisirs sont éloignés : il faut une voiture pour aller de A à B. En Chine, c'est l'enfant unique. Surtout, nombre d'ouvriers et d'employés ont épousé une collègue et ils vivent dans un logement fourni par l'entreprise, de l'autre côté de la rue. Logement qui fait parti d'un complexe avec école, boutiques, etc. Donc ils ne vont nul part et pour les courtes distances, un deux-roues suffit.
En Inde et au Pakistan, Suzuki a produit des Alto, puis des Carry. L'Alto s'est donc imposé comme véhicule de choix (notamment pour les taxis collectifs, les artisans, etc.) En Chine, ce fut l'inverse. L'Alto fut donc privée d'une clientèle utilitaire.
Il y eu un time to market défavorable. La bureaucratie Chinoise et le manque de savoir-faire industriel furent des freins à l'industrialisation.
En 1993, ChangAn lança enfin son Alto. Alors que de l'autre côté de la Mer de Chine, Suzuki dévoilait la remplaçante de sa remplaçante ! Voiture minuscule et techniquement démodée, elle fut boudée par une classe moyenne très attachée à l'aspect statutaire. Le Carry occupant l'unité principale, il fallu bâtir une unité dédiée (et perdre le retex des minivans ; Tianjin Huali eu le même soucis.) En plus, Suzuki donna un coup de main et il garda le pied dans la porte. L'usine de l'Alto finit par être transformée en joint-venture (ce que précisément Pékin voulait éviter.)
La Xianalto fut dévoilée en 1992... Mais produite seulement à partir de 1998. Le constructeur se rendit vite compte qu'il allait nul part. La voiture fut largement modifiée pour devenir la Qinchuan Flyer, en 2001. Parce qu'il n'y a pas de petits profits, l'outillage de l'Alto est revendu à Jiangbei, un nouveau-venu. Au passage, il relooke la voiture, qui devient Glow. Quant à Qinchuan, sa Flyer est un flop. Le COIC revend la marque et l'usine à un constructeur de batteries pour portables, Byd...
Dernier arrivé, Jiangnan produisit son Alto en 2001. Le COIC, devenu Norinco, souhaita alors se recentrer sur le Mil-Aero. Il revendit Jiangnan à Zotye. Zotye hésita longtemps entre faire de Jiangnan un simple usine de production pour ses modèles et de relancer la marque. L'Alto de Jiangnan connu ainsi une production en pointillées. Zotye tenta même de la produire en la maquillant en Alto d'une génération ultérieure !
L'état Chinois n'avait pas compris que l'industrie automobile, ce n'était pas que des usines. Il fallait, en amont, des bureaux d'études et en aval, du marketing et un réseau, sans oublier le management. Ce fut une erreur fatale. Les productions étatiques furent d'abord balayées par celles des joint-ventures. Puis les marques privées leur donnèrent le coup de grâce.
La première contribution visible à la reprise partielle de ChangAn par Suzuki fut la mise en production de la Swift 4 portes (alias Lingyang), en 1999. L'Alto eu droit à un lifting, en 2001.
Peu après, SAIC-VW lançait la Polo en fanfare, en Chine. Le coup de génie de la joint-venture fut de faire du petit gabarit un synonyme de dynamisme et non de bas de gamme. Les jeunes citadins plébiscitèrent ainsi la Polo. ChangAn-Suzuki comprit qu'il fallait battre le fer tant qu'il est chaud. Le kit-carrosserie des Alto "Works" des années 80 fut adapté à la carrosserie 5 portes. Cela donna la Happy Prince, une version plus lookée. La prise d'air est factice, tout comme le totocollant "4WD". Pour 2005, l'Alto laissa sa place sur la chaine à la Swift (cette fois, le lancement Chinois suit de quelques mois celui au Japon.)
Un demi-million de ChangAn-Suzuki Alto furent produite en 11 ans. Un chiffre bien en-deça des objectifs. Pourtant ChangAn s'accrocha à son idée de micro-citadine bon marché...
En 2001, il s'allie à Ford. La Focus (qui profite de l'image dynamique des "petites" voitures) devient un best-seller en Chine. ChangAn-Ford produisit également des Mazda et des Volvo (alors dans l'orbite de l'ovale bleu.) Ford lui imposa enfin de reprendre Jiangling (et son fameux Landwind.) En quelques années, ChangAn rejoint ainsi le peloton de tête des constructeurs Chinois.
Mais contrairement à BAW ou DongFeng, il tint à développer sa propre marque. Peu après le départ de l'Alto, on vit une nouvelle micro-citadine, entre les Focus et les Swift : la Ben Ben. Personne n'en veut et pourtant, ChangAn l'a remplacée en 2014 !
Bravo ! Tu arrives a rendre passionnante ce qui devrait être une présentation technique et à nous donner un cours sur l'histoire récente de l'industrialisation de la Chine... Et tout ça en partant d'une voiture que seuls les spécialistes connaissent...
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