Horse et Ampère

L'électrification et la sortie du thermique bouleversent le marché automobile. Des mutations sont à prévoir. Renault songe ainsi à se scinder en deux entités : "Horse" et "Ampère".

Il ne s'agit pas d'être d'accord ou pas avec cette stratégie, mais d'expliquer la logique de l'idée.

Contexte global
Naissance d'un Dauphine a été écrit il y a plus de 60 ans. Pourtant le paradigme des constructeurs généralistes est resté identiques : créer toujours plus de modèles (afin de répondre aux attentes de chaque clientèle), exporter dans toujours plus de pays et globalement, produire toujours plus.
GM a montré la voie de la restructuration, n'hésitant pas à fermer des pays "historiques" et à réduire drastiquement sa taille.

Globalement, le parc automobile français stagne aujourd'hui à 38 millions de voitures particulières. L'acheteur de voiture neuve est toujours plus vieux : 55,3 ans, contre 49,7 ans en 2010. Seul 13% des acheteurs ont entre 18 et 35 ans. 84% des ménages sont motorisés, un chiffre en légère augmentation, mais il est tiré par les quadragénaires et les quinquagénaires. 27,4% des 18-25 ans n'ont pas de voiture. 24% des 21-24 ans n'ont pas le permis et ils ne comptent pas le passer.
Les chiffres datent presque tous de 2018. Au jugé, on peut voir que la voiture convainc de moins en moins. 3% des Français lui préfèrent le "vélotaf". 2 millions de personnes possèdent une trottinette. Les professionnels tablent sur 1 million de trottinettes supplémentaire en 2022.
Ce n'est plus une lubie de jeunes bobos de l'hypercentre. Les "mobilités douces" attirent des personnes à plus faibles revenus, plus vieilles et ayant moins de moyens. S'ils ont encore une voiture, elle ne sert que pour les cas exceptionnels (voyages, achat de meubles, etc.) et ils ne comptent pas la renouveler de sitôt.

Sur les neuf premiers mois de l'année, il s'est immatriculé 971 008 voitures. Contre 1 467 924 sur les neuf premiers mois de 2019 et 1 513 935 sur les neuf premiers mois de 2017. On est plus bas que sur les neuf premiers mois de 2020, malgré le covid (998 409 unités !) Au-delà de la crise des semi-conducteurs, la baisse correspond clairement à une tendance de fond. Luca di Meo parlait de "right-sizing" de l'outil de production, mais a priori, il va devoir réduire encore davantage la capacité.
Les généralistes Français trinquent : Peugeot à perdu 19 % de ventes par rapport à 2021, Renault, 14,2 % et Citroën, 21 %. Même Volkswagen, naguère premier de la classe, perd 7,4%. Certains segments résistent mieux que d'autres. Les modèles des segments B et C représentent les trois quart des ventes.La plus grosse gamelle est pour les micro-citadines, qui se retrouvent désormais loin derrière le segment D.

L'acheteur moyen est donc plus vieux et il roule dans une voiture plus grosse. Ainsi, le prix moyens des voitures augmente st désormais de 26 146€. Or, Renault est à un prix moyen de 23 826€. Il doit se recentrer et réadapter son offre.

Le Renault post-Carlos Ghosn
La stratégie du "toujours plus" chez Renault, avait atteint son paroxysme vers 2010. Il y avait alors trois Renault :
- Le Renault "historique" pour l'Europe de l'ouest (dit "01") avec un positionnement de milieu de gamme.
- Les véhicules de Samsung, pour l'Extrême-orient, au Moyen-Orient et au Chili (?) avec un positionnement premium.
- Les véhicules de Dacia (dits "entry") pour l'Amérique du Sud, le Maghreb, l'Europe orientale et l'Asie centrale. Sans oublier des Nissan rebadgées pour l'Inde !
La "glocalisation", c'est valable lorsque vous vous appelez Toyota et que vous vendez 9,6 millions de véhicules par an. Pas pour un Renault Group à 2,7 millions d'unités en 2021. Lors du speech Renaulution, Luca de Meo dit clairement que cette stratégie n'était plus valable. Il y avait trop de développement de modèles spécifiques. Surtout, la gamme "entry" offrait une rentabilité faible et elle dévalorisait l'image de Renault. Les volume ne sont pas vraiment là, non plus, vu qu'ils ne représentent qu'un petit tiers des ventes.
Le nouveau paradigme, c'est de vendre moins, mais de repositionner Renault vers le haut et de n'avoir plus qu'une seule gamme à travers le monde.

Lors de ce speech, les présidents de Nissan et de Mitsubishi se sont contentés d'un coucou. En janvier dernier, l'Alliance a dévoilé le plan "Alliance 2030". Rien de transcendant ou de concret n'y était annoncé. Juste de vagues promesses de coopération renforcée. Le projet tourne à vide. Un signe qui ne trompe pas, c'est que l'Alliance est passée de dix communiqués en 2019 à trois par an, en 2021 et 2022.
L'Alliance fut fondée en 1999, son paradigme était alors :
- Réaliser des économies d'échelle, tant sur le développement que les achats.
- Offrir à Nissan davantage de compétitivité en Europe, avec des diesel Renault et des coopérations industrielles.
On voit aujourd'hui que l'impératif de "faire du volume" disparait. Les diesels, n'en parlons pas (et sur les moteurs électriques, il y a moins de pièces, donc moins de synergies possibles.) Nissan avait investi lourdement dans les années 2010, afin de redevenir un grand généraliste. La Pulsar (produite à Barcelone) et la Micra (produite à Flins) ont été des bides. Depuis, les Japonais ont largement réduit la voilure en Europe (fermeture partielle de Barcelone, recentrage sur les gros SUV...) Quant à Mitsubishi, son projet "Small is beautiful" fait quasiment l'impasse sur le vieux continent.
Dans l'industrie, les grandes structures ont souvent été bâties autour de la volonté d'un seul homme. Jürgen Schrempp fut l'architecte de Daimler Chrysler. Jacques Nasser fut le père du Premier Automotive Group. Quant à Carlos Ghosn, il personnifiait l'Alliance Renault-Nissan. De par son parcours, il connaissait assez bien les deux entreprises et avait une vision globale. Or, l'autre caractéristique de ces méta-structures, c'est qu'une fois son pilote parti, on a perdu le mode d'emploi. Ainsi, dans l'Alliance Renault-Nissan, il n'y a plus d'horizon commun. A priori, à moyen terme, l'Alliance implosera.

Horse et Ampère
Dans le plan Renaulution, Luca de Meo annonçait une sortie du thermique pur à l'horizon 2025. A cet date, tous les moteurs essence posséderont une hybridation et seuls les utilitaires seront proposé en diesel. En 2030, le losange n'aurait plus que 10% d'hybrides. Dacia, lui, passerait plus lentement à l'électrification. Notamment pour ménager les "Global Overseas Market".

En 2035, il ne sera plus possible de vendre des voitures thermiques -même hybrides- dans l'Union Européenne. C'est un problème de pays riches. Au Brésil, par exemple, les VE ne représentent que 2% des ventes. En Afrique du Sud, le parc total de VE est estimé à un milliers d'unités !
La faiblesse du réseau électrique et le prix d'achat de VE sont prohibitifs pour nombre de pays émergents. Mais pour Renault, plus question de faire de gros efforts.

Le 12 mai dernier, le CCSE de Renault a dévoilé un projet radical de scission des activités, baptisés "Horse" (thermiques et hybrides) et "Ampère" (VE.) L'idée était connue depuis le 8 avril, mais il s'agissait de la première communication officielle. Cléon (moteurs), Douai, Maubeuge et Ruitz (boite de vitesse) deviendraient ainsi "Ampère", tout comme une partie du Technocentre et sans doute Mobilize. "Ampère" serait une nouvelle société et sa capitalisation serait ainsi ouverte (sortant ainsi de l'Alliance ?) "Ampère" et "Horse" auraient une relation client/fournisseur.
Chez Renault, quand le PDG montre la lune, les syndicats regardent le doigt ! A l'issue du CCSE, les syndicats se posent des questions sur les contrats de travail d'Ampère, les droits à l'ancienneté, etc. Mais le vrai enjeu, il est pour "Horse", alors que vers 2030, le losange ne produira plus d'hybrides et de thermiques. Surtout, il y a un précédant. En 2008, GM se scinda en deux, avec la création de General Motors Company (alias "New GM"), qui récupéra l'ensemble des pépites du groupe. Le reste des activités de General Motors Corporation (alias "Old GM") fut bientôt rebaptisé Motors Liquidation Company (MLC.) Comme son nom l'indique, MLC gérait la dissolution des actifs jugés obsolètes par GM. La société fut elle-même dissoute en 2011.
"Horse", dans son entièreté, n'intéresse personne. Deux jours avant le CCSE, Renault avait vendu 34% de Renault Samsung Motors à Geely. Les futures ex-Samsung seront basées sur la plateforme CMA de Geely. Renault pourrait ainsi entrer dans une logique de saucissonage de "Horse". Geely serait intéressé par d'autres sites industriels, mais ailleurs, d'autres Chinois comme Great Wall (qui a racheté une usine ex-GM en Thaïlande et une usine ex-Mercedes-Benz au Brésil) ou SAIC (repreneur d'un site GM en Inde) pourraient sortir le chéquier. Ce dernier cherchant activement un site sur la Méditerranée pour construire le MG destinées à l'Europe (Tanger ou Novo Mesto ?) Un constructeur automobile, ce n'est pas que des usines. Les centres d'essai d'Aubevoye et de Lardy seraient les seuls sites Français à passer "Horse". Néanmoins, il y a aussi ce que Renault appelle son "empreinte immobilière" (succursales, bureaux, entrepôts, etc.)
Le dossier est explosif. Seuls 10 000 des 46 250 salariés français du losange peuvent être sûrs de monter dans le radeau "Ampère". Rien n'a été dit sur Alpine, de Renault Tech, de la ReFactory et des utilitaires. "Ampère" aura-t-il besoin des Ulis (ex-Renault Sport), du Plessis-Robinson ou de la rue Kermen ? Renault doit clarifier son projet à l'automne, lors du "Capital Market Day". Un CCSE est prévu en octobre. Le déploiement n'aurait pas lieu avant 2023.


Conclusion
Quelle ironie ! Pendant longtemps, PSA ne voulait pas entendre parler de fusion-acquisition et le voilà désormais intégré à un énorme ensemble. Quant à Renault, qui avait créé un groupe au sein d'un groupe, il prend son indépendance et s'offre une sacrée cure d'amaigrissement.
Cela prouve surtout la fébrilité du marché. Le sol se dérobe sous leurs pieds et les certitudes du passé s'effondrent. Il n'y a plus de boussole.

A l'arrivée, un Renault recalibré à "Ampère" aurait une taille beaucoup plus petite, donc un point-mort plus bas et davantage de flexibilité. Il ne proposerait que des véhicules électriques de milieu de gamme. Son prix médian serait plus haut, donc avec davantage de marge. Aussi, en tant que "pure player" du VE (et sans doute, de l'hydrogène), il posséderait un bonne notation "verte".
Accessoirement, la marque serait davantage recentrée sur la France. Tant industriellement, que culturellement.

Le risque pour Renault, c'est à force d'enlever le superflu, il devienne une proie. Certains diront même que le but caché "d'Ampère", c'est de rendre le losange attractif auprès d'un raider...

Commentaires

  1. Une marque française qui se découpe en se donnant des noms anglais, ce n'est plus qu'une façade - Renault est clairement dans une phase complètement transnationale assumée. Les syndicats ont peut-être raison de ne regarder que le doigt, plutôt que la lune. Ce qui compte, c'est peut-être juste la casse sociale à venir, plutôt que l'image ou la non-image d'une société sans identité fort, s'étant détaché de son histoire.

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  2. Est-ce qu'on n'est pas en train de tirer des plans sur la comète avec cet impératif de passer si rapidement à l'électrique quand on voit l'état actuel de la production électrique en France (la moitié de nos 56 réacteurs nucléaires à l'arrêt et les 6 prochains -des EPR2, la nouvelle génération des EPR comme celui de Flamanville qui ne fonctionne tjrs pas) ne seront pas dispos avant 2050 ! Et comme les recherches dans d'autres sources d'énergie n'ont pas vraiment le vent en poupe... tout ça semble mal barré (sans parler de l'approvisionnement des matériaux des batteries par ex...).

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