Les Chinois à l'assaut de l'Europe ?

Il y a très exactement 20 ans, Geely s’offrait un stand au salon de Francfort. C’était le tout premier exposant Chinois. Les observateurs annonçaient un tsunami Chinois sur l’automobile. 20 ans plus tard, ce discours persiste. Sur les huit premiers mois, il s’est vendu 790 177 voitures Chinoises en Europe, (en incluant les MINI et autres Tesla fabriquées en Chine.) Soit moins d’une vente sur dix. Années après années, les Chinois progressent, dans un marché globalement stagnant. De quoi renforcer les craintes, d’autant plus que les acteurs Européens sont fragilisés, quand ils ne servent pas eux-mêmes de Cheval de Troie du Pays du Milieu (cf. Leapmotor avec Stellantis, Geely avec Renault…) Pourtant, la situation est très contrastée en Chine.

Cela fait une trentaine d’années que la Chine connaît une motorisation de masse. Les images de la nouvelle classe moyenne découvrant les joies du capitalisme, c’est terminé. Les jeunes conducteurs de 2025 ont toujours vu des voitures dans les rues. Y compris dans les bourgades de province. Leurs parents ont eux-mêmes possédé une voiture.

Néanmoins, le marché Chinois reste très volatile. La clientèle est peu fidèle et aucune marque ne domine vraiment. Volkswagen, Hyundai ou Toyota qui pensaient « tenir » le marché Chinois, ont vu le sol s’ouvrir sous leurs pieds, dans les années 20. L’arrivée de VE a bouleversée la donne, avec une interdiction des thermiques dans certaines zones. Seuls trois des dix modèles les plus vendus en Chine sont issus de marques étrangères. Dans les joint-ventures, ce sont désormais les constructeurs étrangers qui s’appuient sur leurs partenaires Chinois pour créer de nouveaux modèles !

A l'étranger, le temps des aventuriers a vécu. Ceux qui exportent se donnent les moyens. Mis à part l'Amérique du Nord (hors VU), les constructeurs Chinois sont présents partout... Sachant tout de même qu'il n'y a pas un constructeur qui aurait posé des pions dans toutes les régions. Pour l'instant, il y en a un qui domine tels pays, un autre qui est présent dans telle autre région, etc.

Les colosses

Les cadors, on les trouve aux belles places. Ce sont ceux qui, à l’heure actuels, possèdent les moyens techniques et industriels d’envahir l’Europe. Sans oublier l’ambition.

SAIC (à prononcer « S.A.I.C. » ou « saïque », c’est selon) est un constructeur étatique. En Chine, il y a une rivalité forte entre Shanghai et Pékin. Xi Jinping est Pékinois et le « S » de SAIC signifie « Shanghai ». Donc, SAIC n’a pas droit à un traitement de faveur. Du moins, dans un secteur automobile très subventionné, SAIC n’est pas plus subventionné que les autres.
SAIC a mangé son pain noir avec MG. Les ventes, en Chine, via ses joint-ventures avec GM et Volkswagen, lui ont permis de patienter. Pendant une quinzaine d’années, son seul débouché international, c’était la Grande-Bretagne… Atteindre la centaine de ventes mensuelle fut une gageure. MG a même offert de l’essence à ses clients ! Au moins, ça lui a permis d’apprivoiser la clientèle Européenne. En 2020, en plein Covid, MG débarquait en Europe Continentale. Avec ses SUV suréquipés et bons marchés, il a pu conquérir des parts de marché : 240 000 ventes dans l’UE – dont 25 782 en France – en 2025. Il progresse également en Asie du Sud-Est. La prochaine étape sera de produire sur le sol Européen. Notez qu’il compte dupliquer ce succès dans les utilitaires, avec Maxus.

L’autre constructeur internationalisé, c’est Byd : 5 415 ventes dans l’hexagone en 2024, soit une progression de 941% ! Même si, comme pour MG, la Chine représente encore l’essentiel de ses ventes.
Il y a une quinzaine d’années, Warren Buffet avait eu le coup de foudre pour ses voitures électriques. Il traina Bill Gates dans les usines de Byd. Les cours flambèrent et cela permit à Byd de se constituer un trésor de guerre. Les sommes ayant été investi dans la R&D et l’outil industriel. Comme SAIC avec MG, il donna du temps au temps. Byd s’offrit un fabricant d’autobus, qu’il converti à l’électrique. Ca lui permit de rôder sa chaine de traction, mais aussi de s’implanter à l’étranger. Pour autant, c’est l’expansionnisme de MG qui le poussa à sauter le pas en Europe. Aujourd’hui, il propose une large gamme de voitures hybrides et électriques. Il s’offre le luxe de doubler Tesla en terme de chiffres de production de VE. Byd sera également le premier à disposer d’une usine Européenne.
Le premier métier de Byd, c’était les batteries de téléphones portables. Batteries qui équipent aujourd’hui ses voitures. Il commercialise également des chargeurs. Il maitrise donc parfaitement le « hard » des VE. Entreprise privée, à capitaux étrangers, Byd n’est pas en odeur de sainteté à Pékin. Mais son principal défaut, c’est l’âge du capitaine. Fondateur de Byd, Wang Chuan Fu est l’archétype du patron Chinois omniscient. A 59 ans, il devra prendre sa retraite à moyen terme. Et comme beaucoup de patrons Chinois, son fils s’avère être un glandeur. Lian Yubo, éternel N°2, a été gentiment écarté. Place à la "jeune" Stella Li, 55 ans. Il existe un vrai risque qu’au départ de Wang Chuan Fu, Pékin n’organise un démantèlement de Byd.

Avec SAIC, GAC est le seul constructeur étatique à avoir bâti une vraie marque propre. Le constructeur Cantonais est venu tardivement à l’automobile. Il a commencé par racheter des compatriotes moribonds (ChengFeng, Gonow et Zhongxing) et à négocier des transferts de technologie auprès de Fiat. Ses joint-ventures avec Honda et Toyota lui permirent de financer ses projets. D’abord dans le thermique, puis dans l’électrique. En une quinzaine d’années, avec ses marques pures, il s’est hissé au cinquième rang des constructeurs Chinois.
Désormais, GAC lorgne sur le marché Européen. Il a déjà posé des orteils en Pologne, au Portugal et en Finlande. Il espère couvrir l’ensemble de l’UE à l’horizon 2028. Comme SAIC et Byd, il a suffisamment de réserves pour prendre son temps.
Le bémol, c’est que GAC communique beaucoup. Dans la vieille école Chinoise, il multiplie les effets d’annonce. Impossible de prendre tout ce qu’il dit pour argent comptant.

Geely est un cas très particulier. Franc-tireur de la fin des années 90, il fut le tout premier constructeur privé Chinois. Li Shu Fu, son fondateur, est un fils d’agriculteurs qui n’a jamais été au collège. Il fut longtemps perçu comme un gêneur par le Parti. Hu Jintao le prit malgré tout sous son aile, dans une politique de rapprochement avec les milieux d’affaires. Puis Xi Jinping lui offrit quasiment un chèque en blanc.
Fait unique en Chine, Geely cru en rachetant des constructeurs étrangers : Volvo, London Taxi (devenu LEVC), Proton/Lotus, Smart et désormais Renault Korea. Son oublier les moteurs thermiques de Renault, HORSE, dont il est coactionnaire.
Li Shu Fu a toujours voulu créer des nouvelles marques. En Chine, le nom Geely s’est effacé derrière les labels Geometry, Zeekr ou Farizon (utilitaires.) Volvo s’est dédoublé en Polestar et Lynk&Co. Chaque entité possédant une grande autonomie. L’inconvénient, c’est qu’il n’existe pas de réelles concertations entre les pôles Chinois, Suédois ou Anglo-Malaisiens. Li Shu Fu tient les cordons de la bourse et il donne à bon lui semble, quand il lui semble.
Et comme Wang Chuan Fu, Li Shu Fu ne rajeunit pas. Là encore, son petit-frère et son fils se sont avérés être de piètres pilotes de navire. D’où des inquiétudes sur le moyen terme. Sachant aussi, à plus court terme, que Xi Jinping change fréquemment de meilleur ami. YT Jia (LeTV, un proto-Netflix Chinois) ou Jack Ma (Alibaba) en ont fait l'amer expérience. Li Shu Fu et Geely ne sont donc pas à l'abri d'une disgrâce mortifère.

Les anciens nouveaux

Dans les années 2010, les cadres dirigeants des joint-ventures s’ennuyaient. Ils souhaitaient voler de leurs propres ailes. Un peu plus tôt, Hu Jintao avait mis en place la « Muraille de Chine électronique ». Entre volonté de contrôle (donc de censure) et protectionnisme farouche, l’internet Chinois fonctionne davantage comme un intranet. Le pays vit donc émerger ses propres GAFA. En contrepartie, Xi Jinping leur demanda de financer les volontés entrepreneuriales des cadres de constructeurs.
D’où une vague dite de « nouveaux constructeurs ». Quatre ont émergé. Jusqu’à présent, aucun ne vendait suffisamment de véhicules pour équilibrer ses comptes. D’où des tours de table permanents avec autant de changement de stratégie. 

LiAuto est le N°1, en terme de ventes. Contrairement aux autres, il est plutôt discret. Qui plus est, il n’a aucun projet d’exportation, alors que le marché Chinois arrive à saturation. Personnellement, je vois LiAuto davantage comme une anomalie. Les volumes ne font pas tout et il pourrait disparaitre à terme.

XPeng est le plus célèbre en France. He Xiaopeng se verrait bien en Elon Musk Chinois. Dans ses keynotes, il ose l’humour et utilise des meme dans ses pubs. Le fondateur de XPeng cultive également une image de geek cool. Tout cela est du jamais-vu dans un monde des affaires Chinois très protocolaire ! He Xiaopeng rêve également de voitures volantes et de chevaux robots. Notez que Joseph Tsai, ex-N°2 d'Alibaba, fut présent aux premières heures de XPeng. En 2023, les ventes plafonnèrent. Henry Xia, le cofondateur, fut éloigné au profit de Wang Fengyin. La tonitruante ex-N°2 de Great Wall est étonnamment discrète. Elle semble surtout là pour rassurer les investisseurs.
XPeng a déjà posé le pied en Europe. Il espère écouler 3 600 unités dans l’hexagone, en 2025. Son point fort, c’est une maîtrise des logiciels, notamment pour la conduite autonome, où il possède une longueur d’avance.

Le modèle de William Li, c’est plutôt Steve Jobs, quitte à passer pour un gourou. Le fondateur de NIO aime considérer ses clients comme des bêta-testeurs. Ses keynotes sont ouverts aux propriétaires de NIO. Certains propriétaires travaillent également bénévolement à l’organisation d’évènements !
NIO s’est fait connaître avec une hypercar électrique, l’EP9. Mais il rentra vite dans le rang, avec une gamme classique de SUV et de berlines. Dans son premier tour de table on trouvait Tencent (éditeur de QQ et surtout de Wechat, le WhatsApp chinois.)
Comme XPeng, NIO est propriétaire de ses logiciels de gestion de batteries et de conduite autonome. Pour l’anecdote, NIO possède son propre assistant personnel, Niomi. Il tente également d’imposer sa solution de remplacement rapide des blocs batteries (sur le modèle de Better Place, mais qui fonctionne.)
NIO tente également de s’implanter en Europe. Présent dans cinq pays d’Europe du Nord, il n’a vendu que 370 unités au premier semestre. Signalons que NIO a lancé Firefly, une marque qui produit une citadine. Elle est également disponible en Europe.
Après XPeng vers 2023, c'est au tour de NIO de connaître un trou d'air. Alors que Li Auto et XPeng ont déjà dépassé les 300 000 ventes en 2025, NIO franchit à peine les 200 000 unités. La nouvelle itération de son best-seller ES8 devrait tout de même lui permettre de redresser la barre.

Alors que les constructeurs Chinois sont parti d’en-haut pour descendre ensuite en gamme – l’école Tesla -, Leapmotor fait l’inverse. L’avantage, c’est qu’il fait du volume, avec près de 400 000 unités sur les 9 premiers mois, rien qu'en Chine. Il a produit sa millionième voiture cet été. Mais tout cela, c’est au détriment de sa marge.
Leapmotor sorti du bois en 2023, avec son accord avec Stellantis. L’UE considéra que les T03 assemblées à Tichy n’étaient pas « Européennes » et ne pouvaient donc pas échapper aux surtaxes. Leapmotor continue néanmoins de s'appuyer sur Stellantis pour distribuer ses voitures en Europe. Une économie de poids face à XPeng et NIO. Il a écoulé 20 000 unités sur le vieux continent et rêve désormais d'une vraie usine de production européenne.

Les mères porteuses

Pékin voulu aller encore plus loin dans les « nouveaux constructeurs ». Cette fois, les gens de la tech Chinoise devaient non seulement offrir leurs capitaux, mais également leurs technologies.
Héritage soviétique, pour produire des voitures, il faut une licence d’état. Dans les années 2000, Pékin délivra ces licences au compte-goutte. Les aspirants constructeurs vendirent une partie de leurs capitaux à des constructeurs établis (cf. Geely et Brilliance avec FAW, Chery avec SAIC, etc.) pour profiter de leurs licences. Aujourd’hui, ce sont aussi leurs moyens de production, que les constructeurs mettent à disposition des novices. Un moyen de maintenir l’activité, alors que nombre de marques « pures » sont complètement moribondes.
Car la Chine va mal. Le pays paye notamment une explosion de la bulle du BTP et le ruineux projet de "Nouvelle Route de la Soie". Le taux de chômage du pays est de 5%. Un jeune sur cinq est au chômage ; ils sont forcés d'accepter des "996" (NDLA : travailler de 9h à 21h, 6 jours par semaine.) Or, la protection chômage, l'assurance-maladie ou les pensions de retraite sont embryonnaires. Les Chinois préfèrent épargner pour faire face à d'éventuels coups durs. Pékin pourrait renforcer sa protection sociale, afin de rassurer les Chinois... Mais le PCC préfère investir. Le pays construit des villes fantômes, des autoroutes circulants au milieu de nul part, des infrastructures ferroviaires que personne n'emprunte ou des usines qui ne produisent rien. La raison : à chaque projet, le donneur d'ordre doit "remercier" ses parrains au Parti. Or, certains exigent d'être fréquemment "remercié". Donc, il faut construire ! Cela explique pourquoi les constructeurs annoncent régulièrement de nouveaux sites. Même si leurs sites actuels sont sous-employés.
Pour en revenir aux constructeurs "historiques", en particulier les entreprises d'état, ce sont les grands perdants de la migration vers les VE. Ils n'étaient pas prêts et leurs partenaires étrangers, non plus. FAW a vendu 3,2 millions de voitures ; c'est presque son niveau pré-Covid. Oui, mais pour atteindre un tel chiffre, il a du solder des voitures aux flottes d'état. Du coup, son chiffre d'affaires s'est contracté de 8,5 milliards d'euros, soit 12%. BAIC, très dépendant de sa co-entreprise avec Hyundai, subit la déconfiture du Coréen. Sa production a baissé d'un gros tiers, entre 2019 et 2024. D'où le recours aux nouvelles marques pour faire la soudure. On arrive fréquemment à des situations où un constructeur se retrouve lié à plusieurs projets de « nouvelles marques ».

Souvent, ces marques démarrent fort, en profitant d’un effet de nouveauté. Mais elles ont beaucoup de mal à s’inscrire dans la durée. Une nouvelle marque leur a soufflé le buzz et les partenaires techniques n’ont pas envie d’investir davantage. Le constructeur qui offre son outil industriel s'en fiche : il est déjà impliqué dans d'autres projets.

Avatr est né sur les cendres d’une joint-venture entre NIO et ChangAn. Le fabricant de batterie CATL et l’équipementier télécom Huawei rejoignirent le projet. La marque démarra sur les chapeaux de roues en 2023. En 2024, elle dépassa les 50 000 ventes. Puis le soufflet est retombé. Aujourd’hui, Avatr a du mal à dépasser le millier de ventes mensuel. Le projet de recapitalisation semble avoir échoué.
Avatr semble condamné, alors que chacun des partenaires est occupé à autre chose. CATL, GAC et le site de vente JD préparent en effet un nouveau projet.

Si Huawei délaisse Avatr, c’est car il travaille sur d’autres projets, avec sa plateforme « Harmony Intelligent Mobility Alliance », HIMA.
Sokon a débuté dans les scooters. Puis il lança un minivan (avec une étonnante calandre à double-haricots…), en s’appuyant sur la licence de DongFeng. Voyant arriver la vogue des SUV électrique, Sokon lança ses modèles, toujours en partenariat technico-industriel avec DongFeng, sous la marque Seres. Seres a répondu présent à l’appel de Huawei. Ainsi naquit AITO, qui remplace de facto la marque Seres. L’intérêt pour Seres/Sokon, c’est une montée en gamme et l’aura de Huawei. Objectif : 500 000 unités cette année !
Précisons que Huawei possède des partenariats similaires avec Chery, JAC et BAIC. Ces trois autres joint-ventures n’ont pas réellement décollé.

Xiaomi est le spécialiste Chinois de l’électrique bon marché. Son arrivée dans l’automobile était attendu. Xiaomi Auto vit le jour en 2021. BAIC lui offre ses infrastructures. Les conducteurs de la berline SU7, on tendance à en perdre le contrôle et à se tuer avec. Les internautes Chinois aiment bien les vidéos gore. L’infortune des propriétaires de SU7 fit le tour des réseaux sociaux. Mais les ventes restent fortes !


Et les autres ?

Vétéran de l’automobile Chinoise, Great Wall a tenté de venir en Europe avec ses marques Ora et Wey. Un flop très couteux, dû notamment à des prix délirants sur ses citadines. L’arrivée sur le vieux continent est repoussée sine die. Il préfère se concentrer sur les marchés émergents avec ses pick-up et ses SUV milieu de gamme. Précisons qu’en parallèle, il assemble les MINI électriques et offre ses moyens de production au « nouveau, nouveau constructeur », Linktour.

Idem pour Wuling. Le roi Chinois du minivan se focalise sur l’Asie du Sud-Est. Tant pis pour ceux qui lorgnaient sur sa microcitadine à prix modique, la HongGuang Mini EV.

Tout premier fabricant Chinois de voitures, Hong Qi est tenu à bouts de bras par le PCC. Le Parti refuse que ses présidents roulent dans autre chose. Xi Jinping impose également des limousines et SUV Hong Qi aux hauts fonctionnaires. Les particuliers, eux, ne se pressent pas. Précisons que Hong Qi est une entreprise d’état, dans sa forme la plus archaïque. Les dirigeants sont nommés par le Parti, dont ils doivent être issus. Le Modèle Berliet, à côté, c’était un exemple d’efficacité !

Chery fut le N°1 des « marques pures » sur la période 2005-2015. Il profita notamment du succès de sa micro-citadine QQ. Intelligemment, Chery tenta d’en profiter pour monter en gamme et se lancer à l’international. Deux échecs. Il y eu ensuite Qoros, une marque premium destinée à l’occident. Qoros servit surtout à former des cadres Européens experts en voitures Chinoises (et vice versa), cadres qui formèrent l’essentiel de l’organigramme de Lynk&Co. Yin Tongyue, placé à la tête de Chery à sa fondation, est toujours à la barre 28 ans plus tard. Il aurait dû être débarqué depuis longtemps. Mais cet homme d'affaires a pris sa carte au Parti, se rendant indéboulonable.
Puis il y a la malédiction Malcolm Bricklin. L’homme d’affaires Canadien avait financé la conception de toute une gamme moderne, destinée à sa marque Visionnary Vehicle. Chery profita de la manne, mais l’alliance avec Visionnary Vehicle fit long feu. En contrepartie, Chery ne peut vendre aux Etats-Unis, sauf à payer des compensations à Malcolm Bricklin. Par la suite, le jugement fut porté à toutes les marques de Chery (Cowin, Qoros, Jetour, etc.)

Comme SAIC, GAC, FAW et ChangAn, DongFeng est un constructeur étatique. Ou plutôt, un ensemble d’entreprises disséminées dans toute la Chine (et qui s’appellent presque toutes DongFeng !) Ces entreprises sont très autonomes (cf. le cavalier seul de Seres.) Le siège, lui, cherche à s’implanter en Europe. Il y a un an, il avait réuni la presse Européenne en Italie. Ses fers de lance sont les SUV Voyah (produit dans l’ex-usine DongFeng-Renault) et la marque Forthing (alias DongFeng-Liuzhou.) Difficile de prendre « DF » au sérieux. Ses joint-ventures avec Honda, PSA et Kia sont en difficultés. Dans les années 2010, DongFeng avait pu prendre des parts de PSA. Le maire de son fief de Wuhan, Zhou Xianwang, jouant le rôle de caution bancaire. Las, le maire est tombé pour corruption et l’agglomérat étatique n’a plus l’oreille de Pékin.

Puis il y a le vaste cimetière des marques chinoises : Anchi, Brilliance, Etson, Foday, Fuqi, Hafei, Hanjiang, Hawtai, Huali, Jonway, Landwind, Lifan, Polarsun, Senova, Shaanxi Victory, Shuangyuan, Soyat, Tongtian, Wanfeng, Xiali, Yema, Yunque, Youngman-Lotus, Zotye… Et plus récemment Aiways, Human Horizons, ITBox, Qiantu, Weltmeister, Byton ou Evergrande. La liste n’est pas exhaustive. D’ailleurs je ne compte que ceux qui ont au moins produit en série et qui disposent d’un certificat de décès. En Chine, il n’est pas rare qu’un constructeur n’existe plus que sur papier pendant des années, afin de conserver sa licence de fabrication. Licence qui pourra être vendu au prix fort, à un nouvel aspirant-constructeur.
Il faut intégrer que les PDG ont une vision financière de leur entreprise. Leur modèle industriel, ce sont les smartphones : des produits tirés par la technologie et non par la marque. D’ailleurs, les tentatives de bâtir des marques (via des engagements en sport auto, de grandes campagnes marketing, des produits de niche, etc.) ont surtout ruiné leurs constructeurs. Alors pourquoi s’embêter ? Si demain, Byd ou GAC disparaissait corps et bien, personne n’irait pleurer ces marques. Pas plus qu’on a pleuré l’arrêt de Windows Phone ou de Nokia. La hiérarchie se modifie en permanence. Ce manque d’identification des acteurs participe à l’anxiété occidentale. Comment se battre face à un ennemi qui change en permanence ?

Et les Européens ?

Il y a vingt ans, les acteurs Européens semblaient invulnérables. Le Landwind X-Pedition, avec son design et ses prestations des années 90, faisait sourire. Et ce n’était pas avec son usine d’une capacité annuelle de 100 000 véhicules (en comptant large), que Landwind aurait pu inonder l’Europe… Le retournement de situation actuel n’est pas tant dû à une progression des Chinois, qu’à une fragilisation des Européens.

La cause la plus évidente, c’est les normes toujours plus contraignantes. Le législateur dit où le constructeur peut ou ne peut pas bâtir une usine (avec le zéro artificialisation des sols, les Seveso 2), ce qu’il doit y produire (avec le GSR2 et le zéro ICE en 2035) et même, avec le RSE, qui il doit embaucher ! Sans oublier le futur malus de 100 000€...
Les constructeurs Européens sont méprisés, voir haïs. C’est de l’industrie du passé, celle qui pollue. Les législateurs en sont restés au Temps modernes. Pour eux, c’est un anachronisme. Tandis qu’en Chine, les constructeurs sont choyés. Pékin n’hésitant pas à aiguiller les financements (publics et privés) vers ses chouchous.

Après, ils sont aussi responsables de leur fragilisation. Il y a d’abord l’hyper-concentration autour de trois acteurs (Renault, Stellantis et VW ; Ford n’ayant plus qu’un rôle marginal.) Avec une perte de personnalité des modèles, au sein de ces groupes (au-delà des discours.) Perte de personnalité accentuée par l’absence de modèles de niche (coupé, cabriolet, 4x4…) Maintenant, c’est SUV ou SUV ! On a connu des designers adepte de la photocopieuse : Pietro Frua, Franco Scaglione, Marcello Gandini, Murat Günak… Avec Gilles Vidal, non seulement, ce n’est pas original, mais c’est affreusement banal ! La touche David Goodenough, c’est de mettre une troisième vitre d’un modèle du passé. Sans oublier les « easter eggs » que les médias adorent tant…
Les constructeurs sont devenus accros à la financiarisation chère à Bertrand Rakoto : réduire les coûts et augmenter les marges. La face émergée de l’iceberg, ce sont des véhicules toujours plus chers. Pour 30 000€, on a de l’entry et même à 40 000€, c’est sièges à réglage manuel, sur une citadine ! Et côté finition, c’est vendredi soir tous les jours ! Mais l’autre conséquence, c’est toujours plus d’externalisation et toujours moins d’études en interne. Stellantis a fermé son site de Velizy et Renault a fait du vide à l’Avancée (NDLA : ça me chagrine d’autant plus que j’ai travaillé dans ces deux endroits.) Le développement des équipements technologiques est sous-traité aux équipementiers… Qui eux-même, sous-traitent au rang 2, faute de ressources internes… En cas de crise (semiconducteurs, Puretech, airbags Takata, freinages fantômes…) La chaine de remonté d’alerte est trop longue, lorsqu’elle n’est pas brisée. Le problème finit par connaître un effet boule de neige et ça se termine invariablement par la politique du pire, au détriment du client.
Côté promotion, les programmes sportifs se réduisent à peau de chagrin. Les road shows deviennent ridicule, avec un unique véhicule en statique et trois petits fours maxi par invité. Cela fait longtemps que les pubs sont impersonnelles. Les communicants à cheveux fluos n’ont pas compris que leurs clients, ce sont ces boomers qu’ils haïssent. D’où des pubs wesh-wesh ou de vertu ostentatoire, rejetées par les clients potentiels. Même pour les présentations corporate, la radinerie est palpable (cf. l'esprit Cogip de Stellantis...)
Les prises de contact lors des road shows finissent dans les corbeilles. Le rôle des prestataires, c’est de collecter des contacts, pas de les transmettre… Lorsque malgré tout, vous poussez la porte d’un concessionnaire, il faudrait presque faire comme Michael Douglas dans Chute Libre pour attirer l’intention d’un commercial ! Et lorsque vous paraphez le bon de commande d’un véhicule full option, on ne vous offre même pas une coque de porte-clef à € !
Les constructeurs se comportent comme si le client était acquis. Qu’il reviendra, quoi qu’il arrive. Or, c’est de moins en moins le cas et c’est ce qui ouvre la porte aux Chinois.

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