Une jonquille en hiver

Nos banlieues parisiennes sont bizarres. Vous avez de larges zones où l'on prépare le terrain du futur Grand Paris Express et son cortège de programmes immobiliers. Des zones déjà reconditionnées, toutes proprettes. Et puis, ici et là, vous avez des quartiers encore intacts, avec des petites rues et des pavillons... Mon GPS m’emmena dans l'un de ces quartiers et j'y découvris cette Daf 66...

Elle est là, avec ses bleus et ses points à réparer, coincée entre deux modernes. Elle attend une remise à neuf et la pellicule de gel et de neige y ajoute à l'aspect Belle au bois dormant... 

Enfin, s'agit-il une Daf 66 ou bien une Volvo 66 ? La seconde était la continuation de la première. Les différences se situant au niveau de la calandre (qui est cachée) et des rétroviseurs (qui ne sont pas d'origine.) Le badge latéral, 66 DL, indiquerait une Volvo. Mais était-il bien là depuis le début ? Car après tout, à l'arrière, il y a des feux fantaisistes...

Les livres d'histoires automobiles nous disent grosso modo qu'en occident, le 9 mai 1945, l'homme de la rue s'est écrié : "La guerre est finie, je veux une voiture !"

En fait, la motorisation de masse était une vieille lune. L'automobile fut d'abord un loisir de riches excentriques. Puis elle se diffusa de manière horizontale, vers les élites occidentales, à l'aube du XXe siècle. La production progressa de manière exponentielle et elle s'accompagna d'infrastructures (routes goudronnées, stations-service, garages, signalisation...) Au début, la voiture ne servait qu'à aller de la gare à chez soi. Puis elle s'imposa comme moyen de transport intercité. Et surtout, elle pénétrait des couches toujours plus larges de la société.
Dans la ferme où il a grandit dans le derniers tiers du XIXe siècle, Henry Ford a vu débarquer des produits de consommation courante : lampes à pétrole, armes à feu... En tant qu'ouvrier d'Edison, il assista au développement de l'électricité. Alors pourquoi ne pas mettre aussi une voiture dans chaque ferme ? C'était son idée, en 1896, alors qu'il concevait son Quadricycle. 31 ans plus tard, la dernière Ford T sortait de chaine. 14 689 525 exemplaires furent produits aux USA. Par projection, on peut estimer -en comptant large- qu'il y avait alors 30 millions de voitures en circulation, pour une population Américaine de 119 millions d'habitants. On n'était pas encore tout à fait à la motorisation de masse.
Dans les années 30, motoriser les classes moyennes étaient une obsession en Europe. Austin Seven (et ses cousines Rosengart et Dixi-BMW), Citroën 5cv "Trèfle", Fiat 500 Topolino (Simca Cinq, de ce côté des Alpes), etc. furent autant de demi-succès. N'oublions pas que deux des best-sellers de l'immédiat après-guerre, la Volkswagen Coccinelle et la Citroën 2cv furent conçues à cette période. Elles avaient atteint le stade de la pré-série au déclenchement des hostilités.

En 1945, le contexte avait changé. Non seulement en Europe, mais aussi au Japon et plus tard, en Corée du Sud. Il y avait un exode rural massif. On construisait de grands ensembles et des zones industrielles en rase campagne. Il n'y avait pas d'accès par les transports en commun et les distances étaient trop longues pour être parcourues à vélo. La traction animale était vue comme désuète. Enfin, il y avait le baby boom : difficile de se déplacer à vélo avec deux ou trois enfants en bas âge... D'où une demande pour un moyen de transport individuelle et très bon marché.
Il existait des voitures destinées aux mutilées de guerre (AC Type 57, Fend Flitzer...) on leur ajouta un second siège et cela devint des microcars ou motocars. Vers 1950, ce fut l'explosion avec de nombreux entrants. Des industriels de l'aviation en mal de production (Messerschmitt, Dornier, Tanaka/Fuji/Subaru...), des francs-tireurs (comme le Biscooter de Gabriel Voisin.) Les constructeurs de luxe, en plein naufrage prêtaient volontiers leurs usines (cf. Delaunay-Bellevilleet Rovin, Bugatti et OTI ou les BMW-Isetta.)
Dès 1955, la situation changeait. L'après-guerre, c'était également une croissance économique à deux chiffres. Pour leur seconde véhicule, nos primo-accédants de 1945 disposait d'un budget bien plus important. Et il pouvait envisager une vraie voiture. En France, l'omniprésente 2cv barra la route des artisans qui aurait souhaité accompagner leur clientèle. En Allemagne, au prix d'un investissement lourd, Goggomobil/Glas et BMW furent les seuls à réussir la transition. Néanmoins, cette demande pour une voiture de petite cylindrée motiva de nouveaux entrants. Ils venaient presque tous du deux-roues : NSU en Allemagne, Lambretta/Innocenti en Italie, Honda et Suzuki au Japon, Kia en Corée du Sud... La seule exception, c'était Daf. Hub Van Doorne avait débuté avec des remorques pour camion, avant de devenir carrossier PL. En 1949, il produisit ses propres camions. Les Pays-Bas n'avaient pas de constructeurs de VL. Il existait donc un espace et en 1957, Daf dévoila son premier prototype.

La Daf 600 évolua en 750/Daffodil, 33, 44... Le petit constructeur prospéra au cours des années 60 et il rayonna dans le Benelux, en France et en Allemagne. Particularité : tout ces modèles possédaient une boite à variomatic, inédite à ce niveau de gamme. De quoi plaire notamment aux femmes, peu enclines à la gymnastique de l'embrayage/débrayage.
En 1968, la 55 possédait une carrosserie relookée par Michelotti. Surtout, grâce à des accords avec Renault, elle disposait d'un 4 cylindres 1,1l. Notez que la R8, équipée du même moteur disposait, elle, d'une boite automatique Jaeger assez nulle.

Vers 1970, l'usine Daf d'Eindhoven était à l'étroit. Les affaires étaient florissantes, tant dans les autos, que les camions. Avec le F218 (1970), Daf profitait de la déconfiture des constructeurs Britanniques de PL pour conquérir la Grande-Bretagne.
Le gouvernement Néerlandais pousse son fleuron à bâtir un site dédié à l'automobile, à Born. Il est inauguré en 1972 par la 66. Objectif : 200 000 ventes par an (soit autant que le nombre de Daf produites jusqu'ici !) Évolution de la 55, elle reprenait le 1,1l 47ch sur la version De Luxe ("notre" DL) et un 1,3l 57ch. La boite de vitesse avait été revue pour mieux encaisser le couple de ces "gros" moteurs.
La 66 sorti entre la Peugeot 104 et la Renault 5; c'était l'ère des citadines traction 3 portes avec hayon. Or, la 66 restait une 2 portes 3 volumes propulsion. Elle aurait plu en Europe du Sud, mais Daf n'y était pas présent. Le constructeur avait conscience de ses faiblesses et il prépara une compacte, complètement nouvelle, la 77.

Mais le marché automobile Européen connaissait une consolidation. En 1970, il n'y avait pas encore de vrais constructeurs d'envergure Européenne. BLMH, Renault et Fiat étaient de grands seigneurs dans leurs fiefs. Néanmoins, ils étaient peu présents dans les autres pays de l'Europe des Neuf. Volkswagen, seule marque vraiment diffusée dans toute l'Europe occidentale, elle était quasiment mono-produit. Quant à Ford et Opel/Vauxhall, ils commençaient seulement à rapprocher leurs gammes Britanniques et Allemandes.
La décennie suivante fut marquée par une course à l'armement des constructeurs : plus de modèles et plus de marchés. Fiat, Ford et Opel/Vauxhall en furent les grands vainqueurs. Nos nouveaux entrants Européens de la fin des années 50 furent marginalisés. Seul BMW, qui connu une seconde vague d'investissements lourds (avec notamment le rachat de Glas) pu survivre.

Et Daf ? Hub Van Doorne prit sa retraite en 1972. International Harvester, intéressé avant tout par les poids-lourd, racheta la marque. Or, IH connaissait des difficultés dans les utilitaires moyens. Quant à son 4x4 Scout, naguère populaire, il souffrait face à ses clones Chevrolet Blazer et Ford Bronco. IH finira par se concentrer sur les PL, fermant son site de Fort Wayne en 1980.
Daf avait vu trop grand à Born. Au bout de 3 ans, 146 297 unités de la 66 avaient été produites. C'était beaucoup mieux qu'autrefois, mais on était à peine au tiers de la capacité du site... En 1973, Volvo devint actionnaire de Daf Auto. Il en prit le contrôle complet en 1975. La 66 prit alors un badge Volvo. Cela permettait au constructeur Suédois à la fois d'étendre sa gamme vers le bas et de profiter des implantations géographiques de la marque néerlandaise. Volvo étant jusqu'ici surtout présent en Scandinavie (et aux Etats-Unis.)
La Daf 77, devenue Volvo 343 (pour respecter la nomenclature du nouveau propriétaire) fut lancée en 1976. Notez que comme les 55 et 66, elle possédait un moteur Renault "Cléon fonte" (en l’occurrence, en version 1,4l.) Par contre, en plus de la boite variomatic, elle reçu les boites manuelles à 4 et 5 rapports de la série 200. Notre 66 poursuivit pourtant son chemin jusqu'en 1980. Avec 106 000 unités supplémentaires.

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