Je pensais qu'il s'agissait d'un ouvrage sur la voiture victorieuse aux 24 heures du Mans 1994 (cf. miniature.) Comme elle, il s'agit d'une Porsche 962, construite par Joest et sponsorisée par FAT International.
Néanmoins, la voiture victorieuse au Mans était 962 176 (alias GT003.) Or, le livre est consacrée à 962 011, une voiture qui a connu de nombreuses vies...
Ce n'est pas non plus la voiture à vendre l'an dernier chez RM Sotheby's. Il s'agissait de 962 117, une Fabcar ex-Brun Motorsport à la livré fantaisiste.
Comme d'habitude, le livre commence par une contextualisation. Idéale pour les personnes peu familières avec l'endurance des années 80.
Lancée en 1985, la Porsche 962 était une évolution de la 956 de 1982. La principale différence étant le retrait de l'habitacle derrière l'axe des roues. La 956 étant elle-même une 936 avec un toit et surtout un profil d'aile d'avion inversée, etc. Le constructeur de Stuttgart courait en endurance depuis le début des années 50. Il était capable de s'adapter à tout nouveau règlement pour créer l'arme absolue.
La 956 avait ainsi été créée pour le groupe C. Aston Martin, Lancia ou Ford avaient tenté de contrer Porsche et ils avaient tous échoués.
Non seulement les 956, puis 962 étaient compétitives, mais Porsche les vendaient volontiers à des clients. Depuis la 935, il avait développé des relations avec un certain nombre d'écuries clients (Kremer, Joest, Konrad, Al Hobert...) Porsche proposaient faisait à la fois du clef-en-main et du sur-mesure :
- Comme John Kitzpatrick ou Walter Brun, vous pouviez commander un châssis neuf.
- Porsche avait pris l'habitude de faire rouler des châssis uniquement lors d'essais privés. Idem au Mans, où une ou deux voitures roulaient en sus des véhicules effectivement alignées. Sans oublier les T-car. Reinhold Joest avait pris l'habitude de racheter ces "VD".
- Enfin, en fin de saison, le constructeur vendaient d'anciennes voitures "usines". Du "VO" encore compétitif pour les petites écuries.
- Porsche pouvait également proposer les plans d'une 962 à des artisans. Fabcar créa ainsi des 962 à châssis carbone (mais numéros de série Porsche) pour l'IMSA. Sachant que c'était Ray Charles qui y gérait l'inspection technique...
- Enfin, le constructeur proposait des éléments (moteurs, boites, etc.) à des tiers comme Cougar/Courage, March, Sauber, etc.
WSC, IMSA, Interseries, ADAC, JSPC... Les 962 étaient invincibles. D'autant plus qu'elles composaient l'essentiel du plateau.
Deuxième partie de la contextualisation : l'Indycar. Serge Vanbockryck la nomme "Lorelei", qui est un peu le pendant allemand de la chimère. Appréciez au passage le niveau des références...
Aux 24 heures du Mans 1987, Porsche annonçait son retrait immédiat du WSC. Raison officielle : entre la fourniture de V6 turbo pour McLaren et le développement de la Porsche 2708 d'Indycar, le service compétition était en tension.
Raison officieuse : la Jaguar XJR-8 avait remporté les quatre premières courses du championnat (NDLA : paradoxalement, la 962 réalisa un doublé aux 24 heures du Mans 1987.) Et en embuscade, il y avait Mercedes-Benz. La Sauber C9 avait fait un flop. Mercedes-Benz absorba l'équipe Suisse et créa une voiture ex nihilo (NDLA : elle s'appellera finalement C9/2.) De même, TWR travaillait déjà sur une voiture inédite, la XJR-9. En tant que participant du Dakar, Porsche savait sans doute que Peugeot songeait déjà au WSC.
Or, en 1987, Porsche n'était qu'un constructeur de taille moyenne, qui vendait une cinquantaine de milliers de voitures par an. Pour rester compétitif en WSC, il aurait eu besoin a priori de créer une voiture complètement inédite pour 1989. Ce qui était bien au-delà de ses moyens.
L'Indycar était une vieille lune du constructeur. La 956 disposait d'ailleurs d'un moteur issu d'un projet mort-né d'Indycar. Avec Al Hobert et Porsche USA, le projet passa à la vitesse supérieur. Mais le pilote-patron d'écurie rejeta la 2708 et Porsche s'orienta vers la fourniture de blocs à Interscope, qui utilisait des châssis March. On sent que l'auteur ne portait ni l'Indycar, ni Al Hobert dans son cœur.
En tout cas, cela libéra du temps pour Norbert Singer, alors patron de la compétition. En 1988, il convainquit le constructeur d'aligner deux 962 usine au Mans (la gagnante de 1987 et un châssis neuf.) Klaus Ludwig, Hans Stuck et Derek Bell frôlèrent l'exploit, avec une voiture tombée de chandelle.
Les Porsche 962 des 24 heures du Mans 1988 étaient identiques à celles de 1987. Mais Norbert Singer avait réfléchit dans son coin à une évolution.
Le retrait officiel des 962 ne signifiait pas le retrait complet des 962. La FIA encourageait les écuries privées à participer au WSC. Tout simplement pour remplir la grille. Sans quoi, il n'y aurait que trois Jaguar, deux Sauber-Mercedes-Benz et quelques concurrents venant au coup par coup.
Joest Racing participa ainsi au championnat avec deux voitures. L'équipe Allemande ne se faisait pas d'illusions et pourtant, elle termina plusieurs fois sur le podium.
Reinhold Joest connaissait très bien le service compétition de Porsche. Son petit doigt lui disait qu'il y avait un châssis -sans moteur- jamais utilisé en réserve et que Norbert Singer avait conçu un "kit 88". D'où l'idée d'acheter cette voiture et de l'équiper en utilisant les idées du patron de Porsche Motorsport.
Précisons qu'à la même époque, d'autres, comme Richard Lloyd, avait également fait évoluer leurs 962.
Cette fois-ci, pas d'histoire de négociations d'arrière-boutique. On suit l'odyssée incroyable de cette voiture.
Terminée au printemps 1989, elle est alignée en Supercup. Un championnat moins côté que le WSC, mais avec de meilleures primes. Première sortie et premier succès, avec Bob Wollek au volant. Alors qu'elle domine la Supercup, Joest ose l'aligner en WSC, à Dijon. La 962 s'impose, avec Bob Wollek et Frank Jelinski, devant deux Sauber-Mercedes-Benz. Le premier succès d'une 962, depuis Le Mans 1987 !
En 1990, la saison débuta par des sorties aux USA - Daytona et Sebring -. Henri Pescarolo connu une sortie de route violente. Porsche s'est réinvesti en endurance, avec la 962C (ou 962/90.) Le Joest Racing en acheta deux exemplaires. En WSC, la 962/88 joua les mulets. Néanmoins, à Mexico, Bob Wollek et Frank Jelinski tinrent à rouler avec !
Pour 1991, les moteurs turbos étaient lourdement bridés en WSC (pour ne pas humilier les Groupe C usine atmos.) Le Joest Racing mit le cap sur l'IMSA et l'Interserie.
Pour 1992, Gianpiero Moretti joua les pilotes et mécène. D'où la livré Momo. En Interserie, l'ex-pilote de F1 Oscar Larrauri étaient quasi-invincible à son volant.
En 1993, la 962/88 termina sa carrière en IMSA, avec deux podiums, tout de même. Joest expédia la voiture, ainsi qu'une autre 962, à la finale de l'Interserie sur l'Osterreichring (l'actuel Red Bull Ring.) Manuel Reuter domina le meeting, avec l'autre 962, tandis que "John Winter" décrocha un podium.
Pour 1994, seuls les protos ouverts étaient acceptés en IMSA et il n'y avait plus de championnat européen pour Groupe C. Joest Racing se concentra sur la préparation des
962 Dauer.
Le livre se veut exhaustif. Il y a une biographie complète de chaque pilote ayant couru au moins une épreuve avec 962 011. Reinhold Joest visait le podium et il lui fallait des pilotes chevronnés. C'était du sérieux, avec cinq pilotes ayant remporté les 24 heures du Mans. Auxquels il faut ajouter Hurley Haywood, qui allait ensuite s'imposer avec la 962 Dauer.
L'auteur s'étend longuement sur Bob Wollek. Le discret Alsacien, éternel Poulidor des 24 heures du Mans, est un pilote sous-estimé, voir injustement oublié aujourd'hui.
Il y a même une biographie de plusieurs pages sur le mystérieux "John Winter".
Chaque chapitre sur le saison se termine par un compte-rendu des courses.
Tl;dr ? Pas de problème. A la fin, il y a un tableau récapitulatif, course par course et on ne peut plus complet : date, pilote, classement, pression du turbo, rapports de boites, pneus utilisés, modifications apportées à la voiture...
Pour finir, une vue de profil de 962 011 au fil des saisons.
Au final, on est face à un ouvrage, très, très complet. C'est une plongée dans l'endurance, à l'apogée, puis au crépuscule du Groupe C. Comme d'habitude, il y a énormément de détails techniques. Ne serait-ce que dans la description du fameux "kit 88". L'ouvrage peut sembler touffu, mais on arrive facilement à retrouver telle ou telle information.
Le regret, c'est qu'il y a moins de témoignages de premières mains (précisons que parmi les pilotes, six ne sont plus de ce monde.) Et on passe davantage de temps sur les circuits qu'à l'usine Joest.
Après, ce n'est que du pinaillage.
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