Rétromobile 2025 : 19. Croisières Citroën

Comme à chaque édition, Rétromobile profite de la passerelle entre les pavillons 1 et 2 pour organiser une rétrospective. Cette année, elle est consacrée aux Citroën "Kégresse".

"Kégresse", comme Adolphe Kégresse. Ce Bourguignon parti en 1903 à Saint Pétersbourg, capitale de la Russie tsariste. Nicolas II l'embaucha comme chef-mécanicien de son parc automobile. En Russie, il neige de novembre à mars. Sans oublier la fameuse rasputitsa en octobre et durant mars-avril. Autant de mois où les voitures étaient inutilisables.
En 1910, le tsar confia à Adolphe Kégresse une mission : créer des voitures capable de rouler par tous les temps. Il finit par adapter de longues chenilles sur les roues arrière des limousines du tsar.

En 1917, les Bolchéviks s'emparèrent de Saint-Pétersbourg. A l'instar du joaillier Pierre-Karl Fabergé ou de Pierre Gilliard - précepteur personnel des enfants du tsar -, Adolphe Kégresse dût quitter le pays dans la panique. Adolphe Kégresse arriva à Paris en 1919. Il y rencontre Georges Schwob d'Hericourt, qui l'a recommandé à Jacques Hinstin, directeur commercial de Grégoire.
Le paragraphe suivant est du [citation needed].  Il souhaitait se faire embaucher par les automobiles Grégoire (NDLA : aucun lien avec Jean-Albert Grégoire), car il savait qu'ils aimaient les idées iconoclastes. Adolphe Kégresse arrivait avec des photos et des dessins de ses travaux pour le tsar ; tout ce qu'il avait pu emporter avec lui. A Poissy, Jacques Hinstin doucha l'enthousiasme de son visiteur. Pierre-Joseph Grégoire, le fondateur, s'intéressait de moins en moins à l'automobile. La plupart des ouvriers ont été mobilisés pour le front et peu sont revenus. Grégoire n'avait alors pour tout projet qu'une voiture pour les 500 Miles d'Indianapolis (NDLA : finalement alignée en 1920, elle ne roula que 22 tours.) En fait, Jacques Hinstin était lui-même en recherche d'emploi ! Mais il avait une piste : André Citroën. Fin des supputations.
Jacques Hinstin et lui avaient monté une fabrique d'engrenages, en 1905. Or, André Citroën était en train de se lancer comme constructeur automobile. Jacques Hinstin, Adolphe Kégresse et André Citroën se rencontrèrent en 1920. Jacques Hinstin acheta une Type A, qu'Adolphe Kégresse fit modifier. Les deux hommes firent une démonstration sur un terrain vague de Saint-Denis. André Citroën était emballé. Il voulait utiliser des autochenilles non pas sur la neige, mais sur le sable. Car il voulait traverser le Sahara ! Au 53 rue Ballard, Adolphe Kégresse et Jacques Hinstin travaillèrent sur une adaptation de la Type B2. Expert en engrenages, Jacques Hinstin aurait perfectionné le système de Kégresse.

Cette K1 de 1923 est une B2 adaptée.


Rue de Ballard, c'était avant tout un bureau d'étude. Les autochenilles étaient assemblées à la main. Chaque exemplaire était quasiment un prototype. Néanmoins, Citroën comptait les proposer à la vente. L'armée et les agriculteurs furent démarchés.

Jacques Hinstin profita de la faible activité pour concevoir un cyclecar, l'Hinstin.

Voici une P7 BIS de 1925, produite à 25 exemplaires.

Les Citroën Kégresse trouvèrent enfin une application civile : le halage des péniche.

Citroën se développait et le bureau d'étude était à l'étroit, rue de Ballard. D'où l'ouverture de l'Atelier des chenilles, à Courbevoie. En 1929, Adolphe Kégresse embaucha son neveu, Gustave Kégresse. Bricoleur et autodidacte, comme son oncle. Ce second Kégresse eu un rôle important dans les autochenilles. Notamment en faisant le lien entre la conception et les raids.

On a ici une P19 de 1931, sur base C4.


Le principal débouché des autochenilles, cela resta l'Armée de Terre. La grosse P107 fut dévoilée en 1935. Après des années de démobilisation, la tendance était au réarmement, en vue du second conflit. Mais Michelin n'y croyait pas. L'entité autochenilles fut vendue à Unic. Ils produisirent plus de trois mille P107.
Adolphe Kégresse prit une semi-retraite. Jacques Hinstin, dont on sait peu de choses, mourut en 1937. Gustave Kégresse travailla un temps pour Unic, sur les futurs camions SU. Puis il revint chez Citroën, au "Lutetia" (à ne pas confondre avec l'hôtel homonyme.) Pour pallier aux ruptures d'approvisionnement en électricité, il monta son propre groupe électrogène !

Voici une P17 de 1929.


On termine ce tour d'horizon des "autres Kégresse" par cette P20 de 1930. Un unique "break de chasse", au sens propre du terme !


Fait exceptionnel, Rétromobile réunit "Scarabée d'Or" et "Croissant d'Argent", deux des six K1 ayant participé à la traversée du Sahara.

L'armée française voulait créer une route à travers le Sahara. Louis Audouin-Dubreuil et le commandant Laperrine étaient chacun en repérage. Laperrine mourut des suites d'un accident d'avion et le projet fut abandonné.
Louis Audouin-Dubreuil était donc un premier choix pour traverser le Sahara. André Citroën mit les petits blancs dans les grands, en l'invitant rue Ballard. Il lui présenta Adolphe Kégresse et Jacques Hinstin comme "deux ingénieurs" (ce qu'aucun des deux n'était.)
Le responsable de l'expédition, ce fut Georges-Marie Haardt, alors directeur commercial de Citroën. Les Estienne père et fils s'occupèrent de monter des points de ravitaillements, en amont du passage des autochenilles. Globalement, le personnel était composé d'anciens officiers en mal d'aventures depuis l'armistice.
A leur retour du Sahara, les autochenilles paradèrent dans Marseille. Jacques Hinstin conduisait la voiture de tête, avec André Citroën et Georges-Marie Haardt comme passagers de luxe.


L'objectif avoué de la traversée du Sahara, c'était d'ouvrir une route et d'assurer des liaisons régulières. Le voyage inaugural était prévu pour le 6 janvier 1924. La CITRACIT (Compagnie Transafricaine Citroën) fut mise sur pied, avec des P7T équipées de moteurs Mors. Mais au dernier moment, il a fallu annuler, face à une risque de révolte dans le sud Marocain. André Citroën accusa Louis Renault d'avoir téléguidé cette rumeur infondée. Renault ayant débauché les Estienne pour organiser sa propre expédition transsaharienne. Signalons que les ex-futures autochenilles de la CITRACIT furent testées par l'armée, sans succès. Ce fut le baroud d'honneur de Mors.

En octobre 1924, Adolphe Kégresse, Jacques Hinstin et Louis Audouin-Dubreuil embarquèrent discrètement à Marseille, avec de nombreuses caisses. Ils les firent charger à Oran dans un train vers Colomb-Béchar. A l'arrivée, le trio rejoint un autre groupe de Français. En fait, il s'agissait d'une expédition transafricaine, avec huit autochenilles P4 ! La consigne était de prendre le maximum de précautions, pour éviter un autre coup fumant de Renault...
André Citroën a voulu transformer son échec transsaharien en victoire. Plutôt que de traverser "simplement" le Sahara, comme Renault, la firme aux chevrons allait parcourir l'Afrique par le chemin des écoliers. Des cinéastes, ethnographes et dessinateurs se joignaient aux habituels "Sahariens" afin de donner une coloration scientifique à l'expédition. Kégresse et Hinstin se jugeaient trop vieux pour l'aventure et ils ne dépassèrent pas Colomb-Béchar. Georges-Marie Haardt restait le principal responsable. Baba Touré était l'unique Africain de l'expédition. On sait simplement qu'il était le "Boy" de Georges-Marie Haardt et qu'il était né à Tombouctou. Une note du journal signalait qu'il était très malade, dans le sud Algérien. A-t-il été abandonné là ?
Quoi qu'il en soit, après avoir traversé le Sahara, l'expéditions fila vers le sud-ouest, direction le Congo Belge (actuel Congo RDC.) Puis ce fut l'entrée en Ouganda. Là, l'expédition se scinda en quatre groupes de deux autochenilles. Chacun devait chercher un passage vers l'océan Indien (via le Kenya, la Tanzanie ou le Mozambique), puis gagner Madagascar. Charles Brull, lui, devait prendre une direction plein sud vers Le Cap. En juin 1925, les trois groupes se rejoignirent devant le concessionnaire Citroën de Tananarive.
Présent sur l'expédition, le réalisateur Léon Poirier en créa un film. Il la nomma La Croisière Noire, qui devint a posteriori le nom de l'expédition.

A Rétromobile, deux des voitures sont exposées.


Puis l'on termine par la Croisière Jaune, avec un trio de P19B. L'occasion de voir que chaque autochenille des expéditions tenait un rôle particulier, avec un aménagement spécifique. Les emblèmes et les noms de baptêmes n'étaient pas qu'une question de références romantiques. Il s'agissait aussi d'accoupler la bonne remorque à chaque autochenille, lors du démontage. Car bien sûr, les remorques avaient été créées sur mesure.

L'objectif était cette fois d'ouvrir la Route de la Soie aux automobiles. Il s'est écoulé six ans entre la Croisière Noire et la Croisière Jaune, tant il était compliqué de mettre en place un itinéraire. La solution de facilité aurait été de traverser l'URSS, sur les traces du Paris-Pékin 1907. Mais le pays refusa le passage. A la place, il fallu négocier des laisser-passer. Sachant qu'entre Beyrouth et Pékin, les royaumes, républiques et autres protectorats avaient une autorité très relative sur leurs territoires... Gustave Kégresse fut du voyage, faisant le lien entre l'Atelier des chenilles et les croisières.


Cela manque de boutique, pour une fois ! Dans le coin des clubs Citroën, il y a un bel alignement de Citroën Kégresse miniature. Hélas, elles ne sont pas à vendre...


La Croisière Jaune a beaucoup inspiré. On pense bien sûr aux premiers raids 2cv : Paris-Kaboul et Paris-Persépolis-Paris. Le Raid Afrique rappelant, lui, la Croisière Noire. L'Opération Dragon citait ouvertement la Croisière Jaune. Le Raid Citroën Berlingo était lui, l'opportunité de passer par cet orient Russo-Soviétique qui avait été refusé à Georges-Marie Haardt. Même l'expédition Silk Road de Renault Trucks s'offrait des clins d'œil discrets...

Puis il y a Eric Massiet du Biest... En 1990, à Dijon, il rencontrait Gustave Kégresse. Il lui raconta comment il s'était retrouvé bloqué à Gilgit, dans le Cachemire Pakistanais. Les sentiers de mules étaient trop étroits pour les deux autochenilles qui avaient tenté l'ascension. En 2019, il avait confié à Rétroviseur son souhait de tenter le passage par l'Himalaya, en Traction Avant. Six ans plus tard, voici la Kegresse Expedition.
"Chrome", l'une des deux voitures du Tour du Monde en Traction, en sera. "Cambouis" est un peu trop fatiguée pour être prête en 2026. Quatre autres Traction Avant seront de la partie. Dont l'étonnante Ulysse, une 15cv/Six posée sur un châssis de Toyota Hilux. Ce sera la voiture "cinéma".
A Rétromobile, c'est Urba (NDLA : du nom de l'affaire qui secoua la Mitterrandie ?) qui est présente.


Apparemment, la Kegresse Expedition en a elle-même déjà inspiré d'autres... Une Traction Avant, une inscription "Paris-Pékin", un décor oriental... En fait, il s'agit de l'affiche du Paris-Pékin 2026 d'ATO. Rappelons qu'ATO organise des formules de raid clef-en-mains pour les propriétaires d'anciennes.

Les deux organisations n'ont rien à voir. Mais a priori, les rapports sont cordiaux. D'ailleurs, lors de mon passage sur le stand d'ATO, Eric Massiet du Biest est présent !


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