Rétromobile 2024 : 16. Dakar
Pour cette édition 2024, Rétromobile s'offrait une rétrospective sur le Dakar. Une épreuve qui, l'air de rien, approche le cinquantenaire. Et qui commence à générer de l'intérêt dans le monde de l'ancienne, avec pour preuve la présence de véhicules ex-Dakar dans les ventes aux enchères.
Le Dakar, c'est 46 éditions et plusieurs milliers de véhicules. J'ai compté une trentaine de constructeurs présents officiellement (auto, moto et camion.) Impossible de faire tenir tout le monde sur la passerelle menant des halls 1 à 2. Sans compter que certains bolides sont désormais au bout du monde et/ou complètement désossés.
Malgré tout, l'organisation a su réunir un certain nombre de véhicules significatif, racontant l'histoire du Dakar.
La rétrospective débute par la moto de Thierry Sabine. En plein Abidjan-Nice (alias rallye Cote [d'Ivoire]-Cote [d'Azur]), il se perdait avec. Il réfléchit alors à une épreuve traversant davantage le désert : le Paris-Dakar.
Thierry Sabine était l'homme idéal. Ancien attaché de presse, il avait le bagout et il savait monter des dossiers de sponsoring. Pilote, il possédait un carnet d'adresse, circuit et rallye. Il y apportait la crédibilité de l'aventurier.
Le placard est surmonté d'une formule très pompier : "Le désert nous a rendu la moto, mais il a repris Thierry Sabine." C'est du David Castera ?
182 véhicules partirent de la place de la Concorde, le 26 décembre 1978. Oasis, alors une simple filiale de Volvic, était le sponsor-titre. Faute de TV, c'est en BD que TSO (Thierry Sabine Organisation) raconta son aventure.
Ce Toyota Land Cruiser J40 s'occupait de l'assistance. Un vrai Saint-Bernard, avec son treuil et ses quatre jerricans.
Il positionna son épreuve durant une période traditionnellement creuse. Il était ainsi sûr de la disponibilité des pilotes. Accessoirement, la presse auto et la presse bien sportive étaient bien content de parler de son rallye, pour meubler !
En 1978, il y avait encore des rêveurs. Daniel Nollan avait sauvé cette Renault KZ de 1926 d'un ferraillage. Elle fut reconstruite en dépouillant d'autres épaves. Voiture improbable, elle arriva au bout. Daniel Nollan et sa KZ revinrent en 1979. Mais cette fois, ils durent renoncer.
L'image de cette R4 construite dans un garage, qui faisait la nique aux gros 4x4, marqua beaucoup. A l'aube des années frics, c'était la dernière victoire du camp baba-cool. La R4 des frères Marreau fut sans doute la plus célèbre R4. En matière de communication, la R4 avait toujours eu un métro de retard sur la 2cv. En particulier, en matière de raids. Mais là, c'était la R4 qui avait grillé la politesse, en matière de Dakar. Et ça n'avait quasiment rien coûté, ni à Renault, ni à Publicis ! J'imagine un bureau sur les Champ Elysées, en janvier 1979 :
"Allo, Jacques ? C'est Maurice. Echec et mat !"
La Yamaha de Cyril Neveu, tout premier vainqueur. Il n'y avait pas encore de classement par catégorie. Il s'est imposé sans gagner de spéciale ! Notez que Jean-Claude Olivier, responsable de Yamaha France, pour Sonauto, gagna une étape, lui !
Seuls un gros tiers des concurrents rallièrent le Lac Rose. Beaucoup n'avaient qu'une hâte : rempiler !
Le règlement des premiers Dakar était encore très libres. Les 4x4 de l'époque étaient encore trop lents et trop rustiques.
Bertrand Roncin construit sa DS avec un avant de DS21 et un arrière de DS break. Il s'inspira sans doute des protos DS raccourcis de rallye, vus au début des années 70. Cette drôle de DS disputa avec les Dakar 1980 et 1981, abandonnant à chaque fois.
Sur deux-roues aussi, il y avait des paris fous ! Jean-François Piot fit parti des "quatre mousquetaires" d'Alpine. Il se reconverti comme responsable de la compétition chez Honda (motos.) A ce titre, il suivit le Dakar 1979. Puis il passa chez Vespa, où il fit préparer quatre scooters 200cm3 pour le deuxième Dakar !
Si quelqu'un vous montrait sa Vespa en disant "J'ai fait le Dakar avec", vous seriez suspicieux, non ? Ils ont été préparés, mais les coques et nombre d'éléments sont d'origine.
Deux d'entre-eux arrivèrent à bon port.
Thierry de Montcorgé est célèbre pour sa "Rolls-Royce Silver-Shadow" du Dakar 1981. Mais il revint en 1985 avec cet incroyable 6-roues. C'était le temps des bricoleurs. On créait un engin pour le Dakar. Certains optaient volontairement pour des véhicules insolites. Un reportage-photo sur le Dakar, c'était au maximum vingt photos. Soit à peine un dixième du peloton. Avec un véhicule insolite, vous maximisiez votre chance d'être parmi ces "vingts". De quoi faire plaisir à un commanditaire...
Très vite, la notoriété du Dakar dépassa l'hexagone. Vainqueur 1983 avec un "G", Jacky Ickx proposa à Porsche de sauter le pas. Le cigarettier "Roughroads", sponsor de Porsche et de Ickx en endurance, fit la soudure. La 911 SC RS fut réhaussée et préparée. En 1986, elle évolua en 959. René Metge s'imposa.
Terminées, les voitures construites dans un garage par des Géo Trouvetou. Porsche fut le premier constructeur présent officiellement. Surtout, il fut le premier à faire appel à une équipe d'ingénieurs, à réaliser des séances d'essai, etc. Qui plus est, ses pilotes étaient rémunérés pour conduire. C'était un gros virage dans l'histoire du Dakar.
Thierry Sabine avait compris qu'en invitant des célébrités, il se garantissait une audience. Daniel Balavoine fut ainsi invité. Il participait à un programme caritatif, lié à Band Aid. Le chanteur était au top avec son album Sauvez l'amour et Antenne 2 lui offrait un direct quotidien. Après un match de foot, il monta dans un hélicoptère avec Thierry Sabine et Nathalie Odent. Faute de place, l'équipage fut sans cesse modifié, Patrick Poivre d'Avor et Jean-Luc Roy décidèrent de rentrer autrement. L'appareil a-t-il été volontairement abattu par des rebelles Tchadiens ? Daniel Balavoine était-il "gênant" pour la DGSE (on était six mois après l'affaire du Rainbow Warrior) ? Ou bien était-ce une bête faute de pilotage avec une visibilité réduite et du grand vent ? En tout cas, il n'y eu aucun survivant.
Sur deux roues aussi, on haussa le ton. Les Japonais souffraient d'une image de conquérants froids et opportunistes. Le Dakar leur donna une âme. Les ventes de trails explosaient et ils surfèrent sur la vague avec des modèles évocateurs : Yamaha Ténéré, Honda Africa Twin...
La plupart des constructeurs Européens avaient été balayés sur la période 75-80. Les marques survivantes ne pesaient plus que 1% du marché européen ! Pour BMW, Cagiva, Gilera, puis KTM, le Dakar fut un moyen de sortir de la marginalité.
La BMW R80 G/S gagna quatre fois l'épreuve (dont deux avec Hubert Auriol.) De quoi dynamiser une marque jusqu'ici assimilée aux motos de flics et aux tempes grises des concentrations type Eléphants...
Jean-Pierre Jaussaud le pilota aux Dakar 1988 et Mitsubishi commercialisa une petite série de "Pajero Torpedo" au Japon. Il y eu aussi un Pajero à carrosserie de F40 !
Chassé du Groupe B, Peugeot prit ses quartiers aux Dakar, avec Ari Vatanen et Juha Kankkunnen. En 1989, pour des raisons commerciales, les 205 Turbo 16 furent maquillées en 405 Turbo 16. A l'arrivée du Groupe A, le plateau s'était réduit à peau de chagrin. Nombre de pilotes se retrouvèrent au chômage technique. Ari Vatanen fut le premier à utiliser le Dakar comme débouché. Même s'il faudra attendre les années 2000, pour que les exclus du WRC ne toquent systématiquement à la porte du Dakar..
C'était aussi l'époque où d'anciens pilotes comme René Metge, "Fenouil" ou Cyril Neveu allèrent créer leurs clones du Dakar : Rallye des Pharaons, Rallye de Tunisie, Rallye du Maroc, Paris-Pékin...
Désormais, le Paris-Dakar passait en direct sur La Cinq. Ari Vatanen et Jacky Ickx jouent la gagne. Jean Todt tira à pile ou face, le Finlandais gagna et le dernier jour, le Belge planta les freins.
"Napoléon" se fit prendre en photo avec la célèbre pièce de dix francs. C'était la face sombre de Jean Todt, qui remit cela aux 24 heures du Mans et surtout, au Grand Prix d'Autriche 2002...
Dans les années 90, le Dakar était devenue une machine. Le groupe Amaury (L'équipe et le Tour de France) racheta TSO, formant ASO. Le Dakar s'imposait encore un simili-départ en région Parisienne, mais en 1992, c'est au Cap que la course se termina. Ensuite, le Paris-Dakar connu diverses villes de départ et d'arrivée. En 2003, ce fut carrément un Marseille-Charm el Cheikh.
Côté TV, France Télévision avait succédé à La Cinq. C'était le temps des directs de Gérard Holtz, baroudeur des bacs à sable, qui portait cheche et barbe de trois jours, dès la Porte d'Orléans... Les chaines du câble, puis de la TNT s'invitaient. Bientôt, à chaque bivouac, une nuée de micros accueillirent les pilotes.
Côté voitures, Citroën disposait d'une armada invincible. Mitsubishi arrivant à peine à les chatouiller. Puis il y eu la domination de Jean-Louis Schlesser.
C'était aussi la grande époque des T2. Groine ou Dessoude construisaient en moyenne série des véhicules clef-en-main. L'idéal pour un amateur ou un pro désargenté. Johnny Halliday en pilota un, en 2002.
En 2008, la géopolitique se rappela à la fête. Plus question de traverser le Sahel. Les pays d'Amériques du Sud cassèrent leur tirelire pour obtenir le Dakar. Autant les Africains n'avaient été que des spectateurs. Autant les Sud-Américains eurent eux, un rôle actif. Les concurrents vinrent gonfler les rangs. Aussi, on vit poindre des Chinois et surtout, il y eu l'armada Russe avec leurs Kamaz.
Puis ce fut le huis clos en Arabie Saoudite. Le peloton fut divisé par deux. Le rallye doit circuler sur un axe nord-ouest/sud-est, pour éviter des zones instables. France Télévision, naguère télédiffuseur exclusif, dut se retirer. ASO, longtemps méprisant envers internet, se mit aux réseaux sociaux.
L'Audi RS Q E-Tron est représentatif du Dakar 2024 : une voiture électrifiée, pilotée par des vétérans (Carlos Sainz, 61 ans, Stéphane Peterhansel, 58 ans et Mattias Ekström "que" 45 ans.) Cette année, on a connu un match à trois -Audi vs Toyota vs Prodrive-. assez inédit. Par contre, avec Nasser Al-Attiyah (53 ans), Giniel de Villiers (51 ans) et Sébastien Loeb (49 ans), le Dakar fait face à un vieillissement de son plateau, alors que le WRC ne peut plus représenter un réservoir de pilotes.
Depuis 1980, il y a toujours eu des personnes pour se plaindre que le Dakar "n'est plus le Dakar", que ce n'est plus que "une histoire de fric", etc. En tout cas, la physionomie a bien changée. La difficulté est là. Alors qu'en Amérique du Sud, les concurrents passaient plus de temps en liaison, qu'en spécial. Néanmoins, comme dans tous les évènements du Golfe, il y a un côté hors-sol, artificiel. Terminés, le départ Place de la Concorde ou même la grande présentation au Studio Gabriel. Les spectateurs au bord des pistes sont rares.
Le Dakar actuel ne laisse plus beaucoup de place aux amateurs. Les T2 ont disparu et les T3, des SSX débridés, ne ressemblent à rien.
Depuis 2020, la caravane se double d'un Dakar Classic. Il permet à des anciennes de rouler sur leur propre parcours, moins difficile. L'occasion de voir des véhicules plus originaux, comme ce Lada Niva.
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